Stressée par une longue récession économique et une crise des réfugiés récente, l’Union européenne a fait des concessions extraordinaires pour éviter que la Grande-Bretagne ne se sépare du continent, mais la colle liant la fragile Union pourrait bien être la peur exagérée de la Russie, écrit Gilbert Doctorow.
Par Gilbert Doctorow, Ph.D. – Le 20 février 2016 – Source Une parole franche.
Ce matin, nous nous sommes levés avec la nouvelle d’une solution aux demandes britanniques pour un statut spécial dans l’UE. Pourtant, la nuit dernière les journalistes d’Euronews étaient tous très occupés à nous expliquer le manque de consensus entre les chefs d’État au Conseil de l’Europe sur les importantes concessions demandées par le gouvernement britannique. Ils nous disaient que le temps manquait, que le débat sur la Grande-Bretagne avait repoussé la pourtant nécessaire discussion à propos des migrants, prévue elle aussi pour ce sommet qui commençait jeudi soir. Pour Cameron, tout retard dans l’accord aurait mis en danger ses plans pour un referendum sur le Brexit au printemps prochain.
Aujourd’hui, les hauts représentants de l’UE étaient tout sourire pendant qu’ils commentaient l’accord de compromis. Juncker, le président de la Commission, et Tusk, le président du Conseil, était visiblement aux anges d’avoir réussi à extirper le lapin du chapeau de magicien. Alors que le langage corporel du président français, Hollande, et du premier ministre belge, Charles Michel, trahissait leur déception et leur résignation.
Même s’il n’est pas évident du tout que les concessions reçues à Bruxelles seront suffisantes pour renverser l’opposition des partisans du Brexit et gagner une compétition très serrée pour l’opinion publique, elles ont été néanmoins tangibles, significatives et immédiates. Pour l’UE, cela remet en question sa dynamique vers une plus grande intégration, car les Anglais viennent de recevoir une possibilité de sortie express. L’accord permet à la Grande-Bretagne de supprimer les indemnités sociales aux citoyens d’autres pays de l’UE résidant en Angleterre et de remettre ainsi en question la liberté de circulation a l’intérieur de l’Union, liberté que tous les continentaux considèrent comme le pilier fondamental de leur association. L’accord remet aussi en question la notion d’une éventuelle universalité de l’euro dans l’Union, ce qui veut dire qu’il restera une contradiction dans les procédures décisionnelles de l’UE en créant deux sortes de membres, ceux à l’intérieur et ceux à l’extérieur de l’union monétaire. Pourtant, des promoteurs bien visibles d’un fédéralisme européen, comme le belge Guy Verhofstadt, soutenaient le statut spécial pour la Grande-Bretagne depuis le début.
Alors que se passe-t-il ?
Je vais maintenant attirer votre attention sur deux signes discrets mais révélateurs de quoi, et finalement qui, a mené vers un consensus avec la Grande-Bretagne, consensus par ailleurs très difficile à atteindre tant il hypothèque l’avenir de l’Europe.
Un des signes est la haute visibilité accordée à un chef d’État, Dalia Grybauskaite, du début à la fin de ce sommet européen. En tant que présidente de la Lituanie, elle devrait normalement être la petite voix d’un petit pays aux confins orientaux de l’UE, et son point de vue ne devrait pas peser dans les décisions prises par les ténors de l’Union. Pourtant, son immanquable entrée au sommet, avec son éclatante robe rouge pompier, fut remarquée par les journalistes qui ne la lâcheront plus. Puis, à la fin du sommet, ce fut un tweet de Grybauskaite qui annonça en premier les résultats au monde, avant ceux du président du Conseil Tusk ou d’autres participants.
La seule explication possible à ce statut privilégié pour Grybauskaite est sa position de meneuse de la faction antirusse en Europe. Depuis le début de la campagne pour attirer l’Ukraine dans une association avec l’UE pour l’éloigner de la Russie, jusqu’au sommet de Vilnius en 2013 que Ianoukovitch, président ukrainien en exercice, a gâché, puis à l’imposition de sanctions contre la Russie pour son annexion de la Crimée et son intervention au Donbass, Grybauskaite n’a jamais cessé de crier au loup contre la menace russe.
Le second signe, venant confirmer le premier, de ce qui a mené à un compromis a été David Cameron lui-même au cours de sa première rencontre avec la presse à la suite du dîner anglais qui a clôturé le sommet à Bruxelles. Cameron n’est pas si malin et son commentaire a rendu public ce qui aurait logiquement dû rester derrière les portes closes du Conseil, c’est-à-dire qu’aboutir à un accord – on pourrait même dire n’importe quel accord avec la Grande-Bretagne – était particulièrement important pour l’Europe si elle voulait être capable de faire face à la menace pour sa sécurité que représente la Russie.
Donc, Cameron explicitement, et Grybauskaite implicitement, nous ont dit que l’accord sur les relations entre l’UE et la Grande-Bretagne et les perspectives d’avenir pour l’UE tiennent à une chose : une vision consensuelle sur la Russie. Pour ceux qui espéraient que les authentiques divisions à l’intérieur de l’Europe sur les sanctions contre la Russie, à cause de leurs intérêts économiques et sécuritaires divergents, pourraient entrainer l’abandon total ou partiel des sanctions, ce qui s’est passé à Bruxelles hier n’est pas une bonne nouvelle. Et pour ceux qui se demandent comment une telle configuration d’intérêts peut se mettre en place, toutes les ficelles remontent à Washington.
Gilbert Doctorow.
Article original paru sur Une parole franche.
Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.