Par Andréi Akoulov – le 23 février 2016 – Source Strategic Culture
Les États-Unis ont une longue histoire avec l’Islande. Depuis le traité signé en 1951, ils ont pris en charge la défense du pays. L’Islande n’a pas d’armée, même si ses gardes-côtes remplissent surtout des tâches militaires, et en revanche elle est responsable du maintien opérationnel de la base militaire de Keflavik.
Cette base, située à l’Aéroport international de Keflavik, juste à côté de la capitale, Reykjavik, fut tout d’abord ouverte comme base aérienne stratégique américaine pour les bombardiers de l’US Air Force durant la Seconde Guerre mondiale. Et cette base devint stratégiquement essentielle pendant la Guerre froide, permettant un accès facile pour que les Américains puissent patrouiller dans l’Atlantique Nord, et surveiller une éventuelle menace soviétique.
L’armée américaine a quitté Keflavik en 2006, tandis que la Navy s’est recentrée de l’Atlantique Nord sur la Méditerranée. Aujourd’hui, dans leur grand retour vers la Guerre froide, les États-Unis rouvrent leur ancienne base militaire. Bien sûr, sa localisation, à mi-chemin entre les États-Unis et l’Europe, fait de Keflavik la base idéale pour patrouiller loin des côtes britanniques, irlandaises et du Groenland. L’importance de cette infrastructure est énorme pour envoyer des renforts en Europe, en cas de guerre à grande échelle.
Bob Work, Secrétaire adjoint à la Défense des États-Unis, a visité l’Islande l’année dernière pour mettre au point les détails avec les autorités islandaises.
Lors de cette visite, il a déclaré que le pays est «un formidable partenaire. Les Islandais ont une longue expérience de la coordination des vols de P-3 [P-3 Orion, avions patrouilleurs de l’US Navy], et nous allons voir ce qu’ils peuvent faire pour aider les opérations des P-8 [P-8 Poseidon, chasseurs de sous-marins]. Ils se sont engagés à recevoir des F-35, et pensent déjà aux P-8».
Le premier ministre islandais, Sigmundur Davio Gunnlaugsson, a bien accueilli les projets militaires américains pour son pays. «La première fois que j’ai entendu parler de ces projets, c’était que l’armée américaine allait investir de l’argent pour rénover un vieux hangar à avions. Ce ne peut qu’être une bonne nouvelle, si cela crée des emplois à Suournes», a-t-il déclaré à ce sujet.
Quand on lui a demandé s’il pensait que ces projets allaient prendre de l’ampleur, il a répondu : «Les Américains vont probablement vouloir augmenter les vols, comme prévu dans nos accords actuels.»
Selon les médias, l’Islande va augmenter ses crédits militaires dans le projet de budget pour l’année prochaine. Il a été décidé que «l’accent a été mis sur l’augmentation du budget militaire des États membres de l’OTAN pour la défense commune, spécialement dans le contexte des développements de la situation sécuritaire en Europe», comme l’ont rapporté les journaux islandais.
Certaines infrastructures à Keflavik ont été maintenues en état opérationnel ou semi-opérationnel – ateliers, centres de commandement, stockage de carburant, stockage de munitions, et jusqu’à 21 hangars à avions durcis datant du milieu des années 1980, notamment un grand hangar construit pour accueillir des B-52. Des avions américains utilisent encore les infrastructures de la base, de manière occasionnelle. De nombreuses installations sont dispersées et construites comme des bunkers. Un avion patrouilleur de la Navy, un P-8A Poseidon, a aussi séjourné sur la base pendant quelques jours en avril 2015 pour vérifier la possibilité d’opérations menées depuis Keflavik. Il y avait aussi quatre chasseurs F-16 danois à ce moment-là, qui opéraient depuis Keflavik. Depuis 2008, l’espace aérien islandais a été patrouillé par les alliés de l’OTAN au titre d’opération de surveillance pour le compte de l’Islande.
L’US Navy a demandé des fonds pour remettre à jour un hangar d’avion sur son ancienne base de Keflavik, dans le projet de budget du Département de la Défense pour l’année fiscale 2017, selon la déclaration de responsables de la Navy au magazine des forces armées Stars and Stripes.
Cette remise à niveau permettrait aux États-Unis de faire voler facilement des avions de patrouille maritime P-8 Poseidon au-dessus de l’Atlantique Nord – actuellement, les Américains doivent décoller de Sicile pour ces opérations. Un hangar modernisé accueillera les P-8 Poseidon (qui sont des chasseurs de sous-marins). La Navy pourrait éventuellement organiser des rotations régulières sur cette base, comme elle le fait aujourd’hui pour son escadrille de patrouilleurs sur sa base sicilienne de Sigonella, où les équipes tournent tous les six mois.
Tous ces travaux de modernisation d’une importante base stratégique en Atlantique doivent être vus dans un contexte beaucoup plus large.
Les États-Unis se sont engagés sur la voie d’une confrontation avec la Russie. En 2014, le Président Obama a lancé l’Initiative de réassurance européenne – ERI – pour conduire des exercices militaires et pré-positionner des chars et des équipements à proximité des frontières russes. Si le Congrès décide d’accorder ces fonds, l’ERI agrandie sera au centre de cette politique. Parlant de la troisième brigade de l’US Army, le Pentagone dit qu’il serait capable de maintenir une présence constante dans les pays baltes et en Pologne, en plus de déploiements périodiques en Bulgarie et Roumanie.
Dans le budget du Département américain à la Défense prévu pour l’année fiscale 2017, les militaires demandent une rallonge de $3,4 milliards pour continuer ce programme. C’est plus que quatre fois le montant que le Pentagone avait demandé pour le budget précédent. Les troupes américaines viendront repérer les lieux et s’entraîner avec les forces des membres de l’OTAN et d’autres pays, notamment celles d’Ukraine, un voisin de la Russie.
Ce n’est pas tout. Cet argent pourra servir à positionner du matériel supplémentaire en Europe orientale – considérée comme une possible future ligne de front. Les infrastructures militaires seront remises à niveau. Et plus important encore, Washington planifie d’envoyer plus de troupes en Europe, à n’importe quel moment – notamment une brigade blindée complète de 3 000 à 5 000 hommes, avec tous ses chars et ses véhicules lourds. Ce serait en plus des 70 000 hommes que le Pentagone entretient déjà dans la région. L’US Army a déjà l’équivalent d’un bataillon de chars et d’autres équipements à Grafenwoehr, en Allemagne, prêt à la moindre alerte. Ces nouveaux stocks seront plus proches de la nouvelle ligne de front potentielle, dans les États baltes et ailleurs. En bref, l’US Army veut avoir l’équipement requis pour une brigade blindée, une brigade d’artillerie et une brigade de soutien, en plus du quartier général d’une division pour l’envoyer de l’autre côté de l’Atlantique. Une fois que tout cela sera en place, le Pentagone n’aura plus qu’à envoyer plus de 10 000 hommes pour que ces unités soient complètes, en cas de crise.
A l’automne 2014, le Corps des Marines a annoncé des plans similaires pour remettre à niveau ses propres centres de stockage, qui sont enfouis dans des grottes cachées en Norvège.
Le Corps des Marines va également continuer à s’entraîner sur des bases proches de la mer Noire.
Les forces spéciales américaines (SOF) devraient recevoir $25 millions pour intensifier leur entraînement avec leurs homologues d’Europe orientale.
Plus au large des côtes, le Pentagone devrait travailler avec ses alliés de l’OTAN et des pays neutres comme la Suède et la Finlande pour s’entraîner à la chasse aux sous-marins russes.
L’US Air Force conservera 20 chasseurs de supériorité aérienne F-15C basés au Royaume-Uni. Elle continuera à envoyer d’autres avions dans la région, par exemple des chasseurs d’attaque A-10, des chasseurs furtifs de 5e génération F-22 et des bombardiers stratégiques B-52. Et le Pentagone veut surveiller la région de la Baltique et l’Europe orientale, pour empêcher que des fréquences radio puissent interférer avec les communications des drones. Au moins 2 MQ-1 Predator sont basés en Lettonie pour améliorer l’appui aérien rapproché aux troupes de l’OTAN, l’interdiction aérienne du champ de bataille et les moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR). Toutes ces activités vont réclamer de nouvelles infrastructures, ou des infrastructures modernisées. L’US Air Force seule pourrait se voir attribuer plus de $63 millions pour construire de nouveaux hangars, des citernes de carburant, des lieux de parking pour ses avions et d’autres constructions sur 5 bases aériennes, en Estonie, Bulgarie, Roumanie et Pologne. Vingt-et-un autres millions de dollars seront affectés à la construction de hangars pour recevoir les chasseurs de sous-marins P-8 de la Navy à Keflavik.
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En juin dernier, le Président Vladimir Poutine, lors d’une conférence de presse avec son homologue finlandais, Sauli Niinstö, a déclaré aux journalistes : «Nous serons obligés de pointer nos armes … sur ces pays d’où vient la menace.»
En répondant à ces accusations répétées d’une agression russe, Poutine a bien rappelé que c’était l’TAN qui s’était étendue jusqu’aux frontières russes. «C’est l’OTAN qui s’est avancée jusqu’à notre frontière, alors que nous n’avons pas bougé», a-t-il souligné. Le Président a aussi rappelé son opposition à ce projet de longue date de l’OTAN de construire un système de défense anti-missile qui aurait été dirigé contre la Russie.
Dans un récent commentaire, le Républicain Dana Rohrabacher, élu de Californie, rapporteur de la Commission des Affaires étrangères consacrée à l’Europe, l’Eurasie et les menaces émergentes, a démonté les accusations selon lesquelles la Russie serait une menace grandissante à la sécurité des États-Unis, comme «une absurdité de la propagande de guerre».
«C’est un fait avéré que les pays de l’OTAN dépassent largement la Russie en termes de dépenses militaires, a-t-il observé. Il n’y a aucune preuve que la Russie, comme c’était le cas du temps de l’Union soviétique, se soit lancée dans une course folle à la domination mondiale. La Russie est un pays qui a retiré unilatéralement ses troupes d’Europe de l’Est, terminant ainsi la Guerre froide.»
Rohrabacher a ajouté : «Il est évident que certaines personnalités très influentes ne peuvent accepter cela et laisser la Guerre froide derrière elles. Leur état d’esprit, leur carrière sont liés à la poursuite de l’inimitié entre le Kremlin et la Maison Blanche. On les trouve en particulier dans les cercles de réflexion stratégique et chez les marchands d’armes.»
La Navy qui revient à Keflavik met en danger la marine russe et les opérations aériennes au-dessus de l’Atlantique. On ne peut comprendre cette nouvelle étape que comme la mise en place d’une préparation plus large visant à lancer une guerre à grande échelle contre la Russie. Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN font monter une tension déjà élevée, dans un jeu dangereux pour pousser le monde plus près de la catastrophe d’un conflit militaire.
Andrei Akoulov
Traduit par Ludovic, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.
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