Par James Petras – Le 9 août 2018 – Source Unz Review
Quasiment personne ne croit ce que disent ou écrivent les dirigeants et les médias dominants. La plupart des gens choisissent d’ignorer la cacophonie des voix, des vices et des vertus.
Cet article détaille dix caractéristiques de l’Empire étasunien dans le but de susciter un dialogue avec et entre ceux qui s’abstiennent aux élections, pour les inciter à s’engager dans la lutte politique.
Caractéristique n° 1
Les hommes de toutes couleurs et opinions qui ont bâti l’empire américain pratiquent la tactique de l’âne ; ils agitent la carotte et brandissent le fouet pour obliger les cibles du gouvernement à prendre le chemin qu’ils veulent.
C’est ainsi que Washington fait des concessions plus ou moins réelles et menace de représailles ceux qu’il veut faire mettre sur l’orbite impériale.
Washington a appliqué cette tactique avec succès lors de plusieurs rencontres récentes. En 2003, les États-Unis ont offert au gouvernement libyen de Mouammar Kadhafi un arrangement pacifique en échange du désarmement, de l’abandon de ses alliés nationalistes au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. En 2011, les États-Unis et leurs alliés européens ont appliqué le fouet – bombardé la Libye, financé et armé des forces tribales terroristes réactionnaires, détruit l’infrastructure, assassiné Kadhafi et déraciné des millions d’Africains et de Libyens… qui ont fui en Europe. Washington a recruté des mercenaires pour sa guerre suivante contre la Syrie afin de détruire le régime nationaliste de Bachar Assad.
Washington a réussi à détruire un adversaire, mais n’a pas réussi à établir un régime fantoche au cœur du chaos.
La carotte de l’empire a affaibli son adversaire, mais le bâton n’a pas permis de recoloniser la Libye… En outre, ses alliés européens sont obligés de dépenser des milliards d’euros pour absorber des millions d’immigrants déracinés et faire face les troubles politiques intérieurs que cela génère.
Caractéristique n° 2
Les efforts des tenants de l’Empire pour reconfigurer l’économie dans le but de rétablir la suprématie impériale suscitent de l’opposition dans le pays et à l’étranger. Le président Trump a lancé une guerre commerciale internationale, a remplacé les arrangements politiques par des sanctions économiques contre la Russie, fait du protectionniste et fortement réduit les impôts des sociétés. Il doit faire face à une double rébellion. A l’étranger, il a provoqué l’opposition des alliés européens et de la Chine, et à l’intérieur il est l’objet du harcèlement perpétuel des mondialistes du libre marché et des élites et idéologues politiques russophobes.
Il est rare de réussir à mener deux conflits de front. Pour vaincre leurs adversaires, les impérialistes les attaquent généralement à tour de rôle – d’abord l’un, puis l’autre.
Caractéristique n° 3
Les gens de gauche retournent souvent leur veste : ils sont radicaux quand ils ne sont pas au pouvoir et réactionnaires quand ils gouvernent, et ils finissent par tomber entre les deux chaises. Nous assistons à un effondrement phénoménal du Parti social-démocrate allemand, du Parti socialiste grec (PASOK, et sa nouvelle version Syriza) et du Parti des travailleurs au Brésil. Chacun de ces partis a obtenu un soutien massif, remporté des élections, formé des alliances avec les banquiers et l’élite du monde des affaires – et, quand ils ont commencé à avoir des difficultés, ils ont été abandonnés par la population et les élites.
Les élites, habiles mais discréditées, savent que la gauche est opportuniste et, quand il le faut, elles tolèrent temporairement la rhétorique et les réformes de gauche tant que leurs intérêts économiques ne sont pas en péril. L’élite sait que la gauche met son clignotant à gauche et tourne à droite.
Caractéristique n° 4
Les élections, même celles qui sont remportées par les progressistes ou la gauche, deviennent souvent les tremplins des coups d’État soutenus par l’impérialisme. Au cours de la dernière décennie, les présidents nouvellement élus, qui ne sont pas alignés sur Washington, ont été victimes de poursuites illicites du Congrès et/ou de la justice. Les élections donnent un vernis de légitimité et, en cela, elles sont toujours préférables à un coup d’État militaire.
Au Brésil, au Paraguay et au Venezuela, les ‘organes législatifs et/ou juridiques’ sous tutelle américaine ont tenté de démettre le président qui avait le soutien populaire. Ils ont réussi dans les premiers cas et échoué pour le dernier.
Lorsqu’ils ne parviennent pas à leurs fins en utilisant les mécanismes électoraux, ils font intervenir le système judiciaire pour empêcher les progressistes d’agir, en tordant le droit. L’opposition de gauche en Argentine, au Brésil et en Équateur a été persécutée par les responsables du parti au pouvoir.
Caractéristique n° 5
Même des chefs dingues disent parfois la vérité à certains pouvoirs. Il ne fait aucun doute que le président Trump souffre d’un grave trouble mental, avec ses crises de nerfs nocturnes et ses menaces démentes contre tout un chacun, depuis des personnalités sportives philanthropiques de classe internationale (LeBron James) jusqu’à l’OTAN, en passant par ses alliés de l’UE.
Mais, dans sa folie, le président Trump a mis en lumière et dénoncé les manipulations et mensonges incessants des médias de masse. Jamais auparavant un Président ne s’était élevé avec autant de force contre les mensonges des principaux organes de presse et de télévision. Le NY Times, le Washington Post, le Financial Times, NBC, CNN, ABC et CBS ont été complètement discrédités aux yeux du grand public. Ils ont perdu leur légitimité et la confiance du public. Un belliciste milliardaire a réussi à faire ce que les progressistes n’ont jamais été capables de faire, en mettant hélas la vérité au service de nombreuses injustices.
Caractéristique n° 6
En passant des aboiements aux morsures, Trump a montré qu’il est bien vrai que la peur invite à l’agression. Trump a frappé ou menacé de sanctions sévères l’UE, la Chine, l’Iran, la Russie, le Venezuela, la Corée du Nord et tous les pays qui ne se soumettaient pas à ses diktats. Au début, ses fanfaronnades doublées d’intimidations lui ont permis d’obtenir des concessions.
Les concessions ont été interprétées comme de la faiblesse, et elles ont été suivies de menaces plus grandes encore. La désunion des adversaires encourageait les tacticiens de l’empire à diviser pour régner. Mais en attaquant tous les adversaires en même temps, on sape cette tactique. A force de menacer tout le monde, on limite son choix de réponses aux dangers venant de l’intérieur et de l’étranger.
Caractéristique n° 7
Les dirigeants de l’empire anglo-américain, se sont toujours immiscé plus que quiconque dans la politique d’autres États souverains. Mais ce qui est le plus symptomatique actuellement, c’est la manipulation qui consiste à accuser les victimes des crimes qui sont commis contre elles.
Après le renversement du régime soviétique, les États-Unis et leurs acolytes européens sont ‘intervenus’ dans des proportions uniques dans l’histoire, en s’appropriant plus de 2000 milliards de dollars de richesses soviétiques, en réduisant de deux tiers le niveau de vie des Russes et en ramenant leur espérance de vie à moins de soixante ans – en dessous du niveau du Bangladesh.
Depuis la renaissance de la Russie sous le président Poutine, Washington a financé une énorme armée d’‘organisations non gouvernementales’ (ONG) autoproclamées pour manipuler les campagnes électorales, recruter des élites médiatiques et diriger des soulèvements ethniques. L’’ingérence’ russe est insignifiante en comparaison des opérations de plusieurs milliards de dollars des Étasuniens.
De plus, les Israéliens sont passés maîtres dans l’ingérence à grande échelle – ils font la loi au Congrès, à la Maison Blanche et au Pentagone. Ce sont eux qui déterminent le programme, le budget et les priorités pour le Moyen-Orient et qui obtiennent les plus grosses subventions militaires par habitant de l’histoire des États-Unis !
Apparemment, certains s’ingèrent sur invitation et sont payés pour le faire.
Caractéristique n° 8
La corruption est endémique aux États-Unis. Elle y est même légale et des dizaines de millions de dollars changent de mains pour acheter des membres du Congrès, des présidents et des juges.
Aux États-Unis, ce type d’acheteurs et de courtiers est appelé ‘lobbyistes’ – partout ailleurs, ils seraient considéré comme des délinquants. La corruption (lobbying) graisse les rouages de milliards de dollars de dépenses militaires, de subventions technologiques, de l’évasion fiscale, des entreprises et de toutes les branches du gouvernement – au grand jour, à tout moment et en tout lieu du régime américain.
La corruption, sous la forme du lobbying, ne suscite jamais la moindre critique de la part des médias.
Par contre, nos médias ne cessent de dénoncer les élites politiques d’Iran, de Chine et de Russie où la corruption se fait sous la table – même quand, en Chine, plus de 2 millions de fonctionnaires, du hauts et du bas de l’échelle, sont arrêtés et emprisonnés.
Lorsque la corruption est punie en Chine, les médias américains prétendent qu’il s’agit d’une ‘purge politique’, même si cela réduit directement la consommation ostentatoire de l’élite.
En d’autres termes, la corruption impériale défend les valeurs démocratiques, et la lutte contre la corruption est la marque des dictatures autoritaires.
Caractéristique n° 9
Le pain et les jeux font partie intégrante du développement de l’empire – en particulier quand il faut faire sortir les gens dans la rue pour renverser des gouvernements indépendants et élus.
Des manifestations financées par l’Empire ont servis de couverture aux coups d’État impulsés par la CIA en Iran (1954), Ukraine (2014), Brésil (1964), Venezuela (2003, 2014 et 2017), Argentine (1956), Nicaragua (2018), Syrie (2011) et Libye (2011), entre autres.
Les manifestations suscitées par l’empire attirent des combattants de rue parfois volontaires, parfois mercenaires, qui parlent de démocratie et sont au service des élites. La couverture du ‘soulèvement de masse’ est particulièrement efficace pour recruter des gens de gauche qui se font une opinion à partir de ce qui se passe dans la rue et ignorent les véritables tenants et aboutissants du soulèvement.
Caractéristique n° 10
L’empire est comme un tabouret à trois pattes, il se livre au génocide pour accomplir un magnicide et régner grâce à l’homicide. Il envahit des pays en tuant des millions de gens, il capture et élimine leurs dirigeants, puis gouverne à coups d’assassinats – la police tue les citoyens dissidents.
Les exemples ne sont pas difficiles à trouver : l’Irak et la Libye viennent tout de suite à l’esprit. Les États-Unis et leurs alliés ont envahi, bombardé et tué plus d’un million d’Irakiens, capturé et assassiné les dirigeants et installé un État policier.
La même chose est arrivée à la Libye : les États-Unis et l’UE ont bombardé, tué et déplacé plusieurs millions de personnes, assassiné Kadhafi et fomenté une guerre terroriste sans merci entre clans, tribus et marionnettes occidentales.
Les « valeurs occidentales » révèlent, en miroir, l’inhumanité d’un empire qui repose sur les assassinats à la carte [en français dans le texte, NdT], pour priver les pays qu’ils agressent des dirigeants et des citoyens qui les défendent.
Conclusion
Ces dix caractéristiques définissent la nature de l’impérialisme du XXIe siècle – dans ce qu’il a d’ancien et de nouveau.
Les médias de masse mentent toujours au pouvoir : leur but est de désarmer leurs adversaires et d’inciter leurs commanditaires à poursuivre leur pillage du monde.
Traduction : Dominique Muselet