La mort d’Al-Baghdadi ne changera guère la situation pour Daesh


Par Andrew Korybko − Le 28 octobre 2019 − Source oneworld.press

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Le chef du groupe terroriste le plus célèbre au monde a été déclaré mort par les forces spéciales étasuniennes, à l’issue d’un raid en Syrie, dans la région d’Idlib, ce week-end. Mais il ne faut pas surestimer l’importance de cet événement : Daesh ressemble plus aujourd’hui à un réseau décentralisé qu’à l’armée de “califat” traditionnelle qu’elle fut, à son âge d’or, il y a cinq ans. L’organisation doit encore être considérée comme une menace sérieuse pour l’ensemble de la région afro-eurasienne.

Al-Baghdadi, le chef de Daesh, semble avoir été tué ce week-end au cours d’un raid des forces spéciales étasuniennes dans la région d’Idlib, en Syrie. Si l’information est avérée, il s’agit d’un coup de grâce symbolique porté au groupe terroriste le plus célèbre du monde. On avait déjà reçu plusieurs fois la nouvelle de sa mort, au fil des années, en diverses circonstances, mais cette fois-ci, elle semble plus solide que les autres : l’homme semble bien avoir été mis à bas, tel que cela est reporté. Si tel est bien le cas, les États-Unis méritent objectivement que sa mort soit portée à leur crédit, nonobstant le fait qu’ils avaient indirectement instrumentalisé son organisation en la guidant vers leur objectif partagé, au cours de la Guerre Hybride sur la Syrie, au lieu de la combattre avec sincérité comme ils prétendent l’avoir toujours fait. Mais au final, la nouvelle de la mort d’Al-Baghadi n’est pas une nouvelle si importante : Daesh, du statut de “califat” conventionnel levant son armée, a muté au fil des cinq dernières années pour devenir le réseau décentralisé qu’il est aujourd’hui : l’organisation reste une menace sérieuse pour l’ensemble de la région afro-eurasienne.

C’est du fait des efforts combinés de l’Armée arabe Syrienne (AAS) et de ses alliés anti-terroristes que sont la Russie, l’Iran et le Hezbollah que Daesh s’est fait écraser militairement, non grâce à la campagne de bombardement menée par la coalition étasunienne, qui n’avait servi qu’à canaliser le groupe terroriste plus près de Damas l’année précédant l’intervention militaire anti-terroriste décisive menée par Moscou dans la République arabe. Du fait du bombardement par les forces aérospatiales russe avec leurs équipements militaires dernier cri, les terroristes ne contrôlent plus aucune portion de territoire conséquente comme tel fut le cas par le passé, et leur capacité à s’emparer et tenir des territoires s’en est également trouvée fortement réduite. La contre-offensive menée sur le terrain par l’AAS, le Corps des gardiens de la révolution islamique, ainsi que le Hezbollah a libéré la plus grande partie du pays, et ces armées sont les seules — outre leurs partenaires russes — à mériter que l’on porte à leur crédit l’élimination de cette menace terroriste, et la sauvegarde du monde des sombres conséquences qui s’en seraient suivies si le “califat” avait été constitué avec succès.

À ce jour, Daesh n’est plus la menace conventionnelle qu’elle fut : l’organisation a repris une forme purement non-conventionnelle par nécessité, et utilise nombre des tactiques précédemment employées par sa rivale Al Qaeda. Mais la principale différence entre ces deux groupes terroristes réside dans le fait que le bref succès de Daesh à se tailler un “califat” auto-proclamé constitue une “inspiration” bien plus forte vis-à-vis des futures recrues et de son audience dans la guerre de l’information jouée pour conquérir la communauté musulmane internationale (l’“Oumah”) que les attentats terroristes du 11 septembre 2001 qu’Al Qaeda revendiqua il y a presque vingt ans. C’est ainsi que le réseau a pu se propager dans l’hémisphère Est, depuis l’Afrique de l’Ouest jusque l’Afghanistan, suivant ce que certains observateurs décrivent comme un modèle “franchisé”, qui a pu l’amener au niveau de constituer une menace très sérieuse pour la stabilité dans ce vaste espace trans-régional s’étalant sur le centre de la zone territoriale afro-eurasienne. L’assassinat de son chef, au rôle très symbolique, n’aura donc pas d’impact notable sur ses activités au-delà des zones immédiatement voisines du lieu où il se cachait.

Contrairement à Al Qaeda qui était beaucoup plus hiérarchisée, Daesh est surtout décentralisée, ce qui la rend d’autant plus dangereuse, du fait de la difficulté qu’il existe à perturber le vaste réseau de “franchisés” qui s’est ainsi formé. La solution idéale serait une action commune par la communauté internationale, unissant ses efforts pour contrecarrer collectivement les terroristes, et s’assurer que ledit “califat” ne se relève jamais nulle part, mais tel ne sera sans doute jamais le cas : la rivalité est ardue entre les grandes puissances mondiales, dans la transition systémique mondiale en cours, et la nouvelle guerre froide qui y est associée. La réponse se trouve donc sans doute plus pragmatiquement dans l’assemblage de plus de “coalitions de volontaires”, menant des activités conjointes en matières militaire, de renseignement, et socio-économique après les conflits, en vue de stabiliser la situation, sous l’autorité des gouvernements reconnus internationalement des théâtres des volets cinétiques de ces campagnes.

Par exemple, le récent Retour en Afrique de la Russie a vu Moscou déployer son empreinte militaire tant au sens conventionnel (des conseillers) que non-conventionnel (des sociétés militaires privées), à l’invitation des nombreux pays hôtes qui restent menacés par les “franchises” de Daesh. La grande puissance eurasienne a ainsi pu améliorer les capacités en matière de “sécurité démocratique”, et éviter une répétition de la création du “califat” de 2014 en “Syrak”. Le triangle ouest-africain Burkina Faso-Mali-Niger constitue le nouveau “Syrak” à cet égard, et pourrait être au cœur de l’attention des activités anti-terroristes menées par la Russie, conduites non pas sur le modèle conventionnel dramatique que fut son intervention en Syrie, mais de manière bien plus discrète, ce qui n’empêche en rien le succès. Quelle qu’en soit l’issue, il faut comprendre que Daesh reste un problème, malgré le signalement de l’assassinat d’Al-Baghdadi, et que la Russie va continuer de tenir un rôle clé dans la lutte contre cette organisation partout dans le monde, sous des formes qui s’adapteront à la nature de la menace.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Kira pour le Saker Francophone

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