Par Andrew Korybko – Le 9 novembre 2018 – Source orientalreview.org
Macron, le président français, a dénoncé la soi-disant « lèpre nationaliste », qui selon lui balaie le continent.
Il a relié les événements contemporains à l’Europe de 1920, insinuant de manière évidente que la vague euro-réaliste qui s’est répandue dernièrement au travers de l’Union Européenne pourrait amener à une résurgence du nazisme. Mais il ne s’est pas arrêté là, tenant des propos alarmistes sur les USA, la Russie, la Chine, et même les intentions du monde de la finance, qu’il a décrits comme « régentés par des puissances étrangères ». Pour être franc, certains de ses propos sonnent vrais, tels les intérêts de plus en plus marqués qu’ont à présent les grandes puissances envers l’Union Européenne pour diverses raisons, ou comme le rôle croissant que les politiques populistes vont prendre dans le bloc. Mais ses conclusions visent surtout à faire peur aux populations européennes, afin qu’elles acceptent les solutions qu’il énonce comme seules en mesure d’éviter le scénario dramatique d’une troisième guerre mondiale.
L’incertitude a marqué le terrain politique en Allemagne au cours de l’année écoulée, surtout depuis l’annonce de Merkel, qui compte se retirer de la vie politique à la fin de son mandat en 2021. Cette incertitude a créé l’espace propice pour que la France devienne le dirigeant du bloc euro-libéral, et c’est de là que vient la haine de Macron pour la tendance euro-réaliste, qu’il a décriée comme « lèpre nationaliste ». Voilà de quoi bloquer toute possibilité pour la France de s’allier avec la Pologne et l’Initiative des Trois Mers dirigée par Varsovie et axée contre l’Allemagne. Une telle alliance aurait présenté un front uni amenant à séparer le bloc en deux « sphères d’influence » une à l’Ouest et l’autre côté Est : Macron préfère jouer sur le terrain de l’UE entière, plutôt que s’en tenir aux centres d’intérêts naturels de la France, centrés sur l’ouest et le sud du continent. Il ne fait aucun doute que la la ligne de fracture entre l’Est et l’Ouest ne va faire que s’élargir avec le temps.
On peut en dire autant du projet, ressorti des placards par le même Macron, d’« Armée européenne » : ce projet va sans doute créer des craintes parmi les membres orientaux les plus récents de l’UE, de voir les pays de l’Ouest, France en tête, se lancer dans la mise en œuvre d’une « Europe à deux vitesses », qui les relégueraient dans un statut de seconde classe, peut-être comme une punition pour leur euro-réalisme. La réaction qu’il faut en attendre est de voir les états européens centraux et de l’Est, Pologne en tête, réaffirmer leur appartenance à l’OTAN, au plus grand plaisir des USA, qui positionne son équilibrage militaire de plus en plus à l’est du bloc européen. La tendance, déjà entamée, de décaler l’importance stratégique d’Ouest en Est, ne va s’en trouver que confirmée. Cela positionne également, de manière intéressante, la France et la Pologne comme rivales sur le terrain géopolitique.
La Pologne ne dispose d’aucun levier sur les affaires européennes à l’ouest, mais la France peut exercer une influence sur l’Europe centrale et de l’Est, en usant de son statut plus influent dans l’UE : toute compétition entre les deux états est donc biaisée dès le départ. Mais cela étant dit, il est difficile d’éviter l’optique de voir un pouvoir euro-réaliste se positionner en défi de la dominance euro-libérale sur le continent, dans pratiquement tous les domaines. Les chances ne sont pas en faveur de la Pologne dans une compétition idéologique contre l’Allemagne, et à présent la France, mais le récent pivot euro-réaliste italien pourrait changer la donne, si Varsovie ralliait Rome à son camp : un agenda de réformes à l’échelle du bloc, partagé entre ces pays, aurait de meilleures chances de succès.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le 9 novembre 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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