La demande qu’a faite l’Iran au FMI illustre le niveau de désespoir atteint par ce pays


Par Andrew Korybko − Le 20 mars 2020 − Source oneworld.press

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L’Iran subit une combinaison entre les lourdes sanctions étasuniennes, le respect de celles-ci par l’Inde, « partenaire stratégique mondial tous azimuts » des États-Unis (anciennement l’un des partenaires énergétiques de premier plan pour l’Iran) par crainte desdites « sanctions secondaires », l’épidémie incontrôlée de COVID-19 dans la République islamique, et les mauvaises réponses apportées par les autorités iraniennes à l’ensemble de ces points. Tout ceci a amené l’Iran au bord de l’effondrement, et l’a rendu assez désespéré pour demander au FMI un prêt d’urgence de 5 milliards de dollars, une demande sans précédent en soixante ans.

Un pays demandant un prêt au FMI n’est en général pas forcément au bord de l’effondrement, mais la situation est tout à fait particulière en Iran. La République islamique vient de demander une assistance d’urgence de 5 milliards d’euros pour l’aider à gérer une suite de crises en cascades connectées entre elles, qui menacent de retourner tout ce que le pays a réalisé depuis 1979. Subissant la combinaison entre les lourdes sanctions étasuniennes, le respect de celles-ci par l’Inde, « partenaire stratégique mondial tous azimuts«  des États-Unis (anciennement l’un des partenaires énergétiques de premier plan pour l’Iran) par crainte desdites « sanctions secondaires », l’épidémie incontrôlée de COVID-19 dans la République islamique, et les mauvaises réponses apportées par les autorités iraniennes à tout ceci, le pays se trouve sur la voie d’un changement de régime, comme le présent auteur l’avait vu venir dans son analyse précédente publiée sous le titre : « Iran : changement de régime par Coronavirus?« , avec la pandémie mondiale qui pourrait tenir lieu de catalyseur pour faire éclore ce sombre scénario.

Il est important de porter attention au fait que l’Iran n’a pas demandé publiquement d’aide d’urgence à ses partenaires stratégiques russe ou chinois, ce qui indique que, de deux choses l’une, ou bien le pays a fait ces demandes discrètement et s’est fait rejeter (que ce soit pour des raisons politiques, peut-être en lien avec la stratégie d’« équilibrage » russe, dans le cas de Moscou, ou simplement parce que les deux puissances ont besoin de toutes leurs ressources disponibles pour soutenir leur propre économie), ou bien n’a même pas estimé pouvoir compter sur ces pays, et n’a pas pris la peine de leur demander. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : tout ce qu’on a pu dire sur une soi-disant « alliance multipolaire » entre la Russie, la Chine et l’Iran était une prévision prématurée présentant un scénario qui ne s’est pas encore produit, et qui pourrait ne jamais se produire si la situation continue de se dégrader en Iran par suite de son échec potentiel à sécuriser l’aide économique d’urgence que l’Iran demande désormais (et si la Chine ne propose pas une aide de dernière minute pour sauver l’Iran).

Au sujet de la Chine, l’auteur se sent obligé de rappeler au lecteur la fake news virale de septembre dernier, qui avait allégué que la Chine allait investir le montant colossal de 120 milliards de dollars dans des projets de connectivité iraniens. Cette infox avait provoqué une psychose collective dans la communauté des médias alternatifs à l’époque. L’auteur avait prévenu tout le monde : « Montrez-vous sceptiques, le dernier rapport en date sur la Chine et l’Iran est probablement un faux« , mais cela n’avait pas empêché des délires bercés d’illusions, imaginant que leurs « rêves » devenaient réalité et que la République populaire avait décidé sans explication d’investir un montant équivalent à celui du Couloir Économique Chine-Pakistan dans des projets mystérieux jamais annoncés publiquement ni même fuités. Ces fausses affirmations étaient donc particulièrement difficiles à croire rationnellement, mais pourtant, la communauté des médias alternatifs était tombée dans le panneau de la ruse de cette fake news. Le simple fait que l’Iran en soit aujourd’hui à demander une aide d’urgence au FMI prouve sans doute possible que la Chine n’a jamais investi ces 120 milliards de dollars.

Accepter cette réalité « politiquement inconfortable » va donc devenir un enjeu en soi pour la communauté des médias alternatifs dans son ensemble, mais il est également intéressant de suivre s’ils vont se montrer critiques vis-à-vis de l’Iran — les prêts accordés par le FMI ne viennent le plus souvent pas sans des contraintes économiques importantes, ou s’ils vont simplement laisser passer l’information sans trop la commenter, de crainte de se voir accusés de « soutenir le Sionisme » ou de quoi que ce soit d’autre. Après tout, la communauté des médias alternatifs se trouve à la pointe des tentatives d’exposer à la conscience mondiale les moyens par lesquels le FMI est exploité par les pays occidentaux comme instrument de contrôle sur les économies de ses bénéficiaires, après quoi les mêmes États occidentaux émettent le plus souvent des exigences irréalistes de « réformes structurelles » qui finissent le plus souvent par déclencher les mêmes crises que celles pour lesquelles leur assistance avait été demandée au départ ; tout ceci dans le cadre de la poursuite d’objectifs géostratégiques. L’Iran court le risque de devenir la victime de ce dispositif, mais pourrait ne plus avoir d’autre option.

Dans l’ensemble, l’information selon laquelle l’Iran demande une aide d’urgence à hauteur de 5 milliards de dollars au FMI démontre le niveau de désespoir atteint par ce pays, après plusieurs crises interconnectées en cascade qui ont rapidement amené ce pays au bord de l’effondrement. Ni la Russie, ni la Chine n’ont été approchées publiquement, et il est peu probable que l’une ou l’autre finisse par aider l’Iran — cela serait déjà arrivé si elles comptaient le faire, au lieu de laisser leur partenaire stratégique s’humilier en allant mendier à la structure financière internationale tenue par ses ennemis occidentaux. L’avenir de l’Iran est donc plus pâle que jamais depuis la Révolution islamique, mais cela ne signifie pas qu’un changement de régime soit imminent. L’admirable résilience du peuple iranien pourrait également fort bien empêcher la réalisation de ce scénario noir ; pour autant, des changements socio-politiques et économiques profonds sont à prévoir dans ce pays, qui lutte pour survivre à ces crises.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Kira pour le Saker Francophone

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