La couverture médiatique sur la crise des migrants en Europe ignore la cause principale : l’Otan
Par Danielle Ryan – Le 23 juin 2015 – Source Russia Insider
Les médias semblent déterminés à ne pas mettre le doigt sur la principale cause de la vague d’immigration clandestine que subit l’Europe, c’est-à-dire le chaos et la misère provoqués par la politique des Etats-Unis en Libye, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Somalie.
L’ampleur de cette crise que subit l’Europe ne doit pas être sous estimée. Elle est vraiment sans précédent. Ce qui est plutôt sous estimé, on peut même dire complètement ignoré par les médias de masse, sont les causes réelles de cette crise.
Le débat autour de l’immigration clandestine en Europe se passe presque entièrement sans référence aux causes de ce récent afflux de migrants originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’éléphant dans le magasin de porcelaine se nomme Otan et personne ne veut vraiment en parler.
Des centaines d’articles, construits autour de chiffres, de propositions et de prédictions, évitent pourtant d’établir le moindre lien entre une cause et son effet. Les journaux d’actualités semblent stupéfaits, la mâchoire tombante, à la vue des photos d’apocalypse qu’ils voient arriver sur leurs bureaux, et pourtant personne n’a l’air de vouloir en tirer une déduction évidente. Elle est pourtant si simple et logique qu’il est difficile à comprendre pourquoi elle n’est pas énoncée régulièrement et à voix haute.
Cela tient peut être au fait que les journalistes sont si conditionnés à présenter les stratégies américaines et de l’Otan sous un jour positif que cette déduction ne leur vient même pas à l’esprit. Ou alors ils sont tellement embarrassés qu’ils essayent de détourner l’attention de leur ancien et fort soutien aux différentes interventions militaires occidentales dans ces pays.
Il résulte de cette attitude une histoire faite pour croire que cette crise est apparue de manière soudaine et aléatoire. On assiste à une conversation sur la manière de gérer ces arrivées de bateaux remplis de Libyens cherchant à traverser la Méditerranée, comme si la Libye était un pays qui venait tout juste d’exploser et sans aucune raison apparente.
Le débat fait rage sur que faire de ces migrants, ce qui se comprend, car c’est effectivement le problème urgent ; mais nous avons aussi besoin de débattre sur la politique, celle de l’Otan, qui a été le catalyseur de cette crise.
Même si l’Europe réussit à formuler une solution au problème, celle si ne sera qu’un cautère sur une jambe de bois car elle ne s’adressera qu’aux symptômes. En vérité, à quoi sert de panser votre blessure alors que le gars qui vous a blessé est encore dans la pièce avec son couteau ? Pas besoin d’être très malin pour deviner comment l’histoire se terminera.
Même si la cause est parfois mentionnée, à contre-cœur, par les médias, elle ne l’est que brièvement et de manière abstraite lorsque, par exemple, un auteur en parle en utilisant le terme conflit ou fait mention de nouvelle flambées de violence dans ces pays.
Les éditeurs du New York Times, quant à eux, adorent mettre carrément la faute sur le dos de l’Europe. Comme dans cet article qui dit que la crise des migrants «met en évidence les erreurs politiques de l’Europe». Un autre article, écrit par le comité éditorial, fait la leçon aux Européens sur la meilleure manière de gérer la situation.
En avril, le chef de l’Otan, Jens Stoltenberg, a plaidé pour une solution globale à la crise et promis que l’Otan aiderait à stabiliser la situation. Le rôle de l’alliance dans la stabilisation de l’Afghanistan est une partie de cette solution globale à la crise des migrants en Méditerranée, a-t-il dit.
Bien vu de la part d’un chef d’une alliance, faite pour la défense et la sécurité, mais qui a poursuivi pendant des années une stratégie de déstabilisation offensive dans les régions même d’où sont originaires les personnes fuyant, par centaines de milliers, cette situation. Mais les commentaires de Stoltenberg et les actions de l’Otan sont facilement décodables avec un peu de logique.
Le modus opérandi de l’Otan est clair. Cette tactique, employée à chaque fois, implique la déstabilisation totale d’une région suivie prestement par la mise en place d’une solution de l’Otan au problème. Couplé à l’utilisation de porte-paroles mentant sans vergogne ou feignant l’ignorance (Jen Paksi, Marie Harf…) et de médias assez complaisants pour régurgiter la ligne officielle, sans remise en question, et vous obtenez la situation actuelle.
L’intervention de l’Otan en Libye de 2011 a été autorisée par les Nations Unis sur des bases humanitaires et a abouti à la mort de 50 000 à 100 000 personnes et au déplacement de 2 millions d’autres. Belle réussite humanitaire.
De même, à la suite de la campagne américaine de déstabilisation en Syrie dans le but de renverser Bashar al-Assad et de faciliter (et même soutenir) l’avènement d’EI dans la région, un nombre impressionnant de 10 millions de personnes ont été déplacées (selon Amnesty international) et les pays européens doivent maintenant recoller les morceaux. L’Allemagne, par exemple, s’est engagée à héberger 30 000 réfugiés syriens. La Suède, qui ne fait pas partie de l’Otan, a avancé des chiffres identiques.
Il faut quand même avoir conscience que ces chiffres promis par les pays européens sont pâlichons comparés au nombre de personnes déjà accueillies par les pays du Moyen-Orient. Le Liban accueille 1,1 million de réfugiés syriens, la Jordanie plus de 600 000, l’Irak presque un quart de million et la Turquie 1,6 million.
Il existe par contre un pays qui s’en sort bien, du moins à ce niveau là, ce sont les États-Unis. Ils ont hébergé moins de 900 réfugiés syriens en quatre ans de guerre. Des fonctionnaires américains ont présenté la sécurité nationale comme excuse pour ne pas en accueillir plus et quand même prétendu vouloir voir ce chiffre augmenter.
Débat non autorisé
On peut aussi percevoir entre les lignes une deuxième faute journalistique : dans les pays européens où un afflux massif d’immigrants du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord a provoqué de sérieux problèmes sociétaux, où les migrants ont du mal à s’assimiler (pour un ensemble de raisons allant des politiques gouvernementales aux croyances religieuses radicales), les médias occidentaux n’autoriseront personne à en parler franchement et cloueront au pilori tous ceux qui s’y essayent.
En Suède par exemple, ou la maladie du politiquement correct en est à un stade encore plus avancé que dans le reste de l’Europe, toute tentative de débat sur la cohérence de la politique d’immigration toutes portes grandes ouvertes est cataloguée de raciste. Et, ironie du contexte suédois, le pays fait face à une crise du logement et en manquera donc pour héberger les gens qu’ils ont promis d’accueillir. Quel bon sens dans la planification !
Il en résulte un mélange explosif pour l’Europe. Un intenable mélange d’afflux migratoire, de politique extérieur qui perpétue cet afflux, de médias complaisants et une épidémie de politiquement correct qui a contaminé tout le continent.
Recette pour une crise migratoire : parler beaucoup de migrants, ne dites pas pourquoi ils fuient et traitez quiconque en fait un problème de raciste – Succès garanti. Vous gagnerez même une partie gratuite si vous pouvez, en passant, relier cela avec un peu d’agression russe, de Vladimir Poutine et d’Otan comme alliance défensive.
Quelques pays européens tentent une approche plus dure et se font réprimander pour cela. La Hongrie par exemple voudrait construire une barrière le long de sa frontière avec la Serbie comme celles déjà construites le long des frontières Grèce–Turquie et Bulgarie–Turquie. Là encore, cela lui a valu d’être accusée de xénophobie et de racisme de la part des médias et des instances politiques européennes.
Mais cela fait partie du jeu, n’est ce pas ? Si les soutiens aux guerres de l’Otan peuvent centrer le débat sur le fait que quiconque voulant critiquer la politique d’immigration soit raciste, nous éviterons ainsi de nous demander pourquoi les migrants débarquent en masse et pourquoi ils font face à de si sévères conditions chez eux.
Oksana Boiko de Russia Today a récemment essayé d’aborder le sujet avec Peter Sutherland, le représentant de l’ONU pour les migrations internationales et le développement, mais cela ne mena nulle part. Elle argumenta que l’on ne peut avoir de débat au sujet de l’immigration en Union européenne sans s’occuper d’abord du cœur même du problème mais elle s’aperçut que la politique de l’Otan est un sujet dont on ne peut pas discuter.
Débattre de la crise migratoire européenne sans reconnaitre le contexte dans lequel elle est apparue est inutile. Cela reviendrait à demander aux Américains de débattre des brutalités policières sans aborder la question du racisme. Les deux sujets sont intimement interconnectés et toute solution émergeant d’un débat biaisé serait vouée à l’échec.
En tous cas, il semble que pour l’instant l’Europe doive continuer à débattre de cette crise migratoire en termes de quoi faire sans penser a comment l’arrêter et rester ainsi à tourner dans ce cercle vicieux.
La solution évidente serait que l’Otan arrête ses campagnes de déstabilisation au Moyen Orient et en Afrique du Nord mais cela nécessiterait d’abord de reconnaitre et accepter des vérités un peu dures a avaler.
Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone