Par Gilbert Doctorow – Le 20 mai 2018 – Une parole franche
« Heureux ceux qui procurent la paix car ils seront appelés enfants de Dieu. »
Matthieu 5:9
Bien que j’aie pratiqué l’art de la science politique ces dix dernières années en tant qu’essayiste et journaliste, ma formation professionnelle d’historien revient parfois au premier plan quand je réfléchis aux chaînes de causalité et, en particulier, à l’interrelation entre les courants socio-économico-géopolitiques profonds qui nous portent et des forces déterminantes, déclenchées par de puissants individus, sur la surface de l’océan du temps.
Les événements des dernières semaines, si ce n’est des derniers mois si l’on remonte au 1er mars, ont mis ce sujet en évidence. Du fait de développements largement imprévisibles et contre-intuitifs, le monde est un endroit beaucoup plus sûr qu’il ne l’était avant le 1er mars 2018, et rien de tout cela n’est dû à mes efforts, ni ceux de mes collègues des sites alternatifs ou aux vôtres, lecteurs. À notre grande honte, nous, le peuple, sommes restés des témoins silencieux de l’actualité quotidienne, souvent laissés perplexes devant la façon dont l’histoire est en train de se dérouler devant nos yeux.
Je repense automatiquement aux normes d’il y a trente ou quarante ans, lorsque des initiatives et des contre-initiatives, bien moins menaçantes que celles d’aujourd’hui, étaient entreprises par les principaux acteurs de la guerre froide et incitaient des dizaines de milliers de personnes à manifester dans les rues d’Europe et d’Amérique du Nord. Je pense au déploiement soviétique de missiles SS-20 à portée intermédiaire et au contre-déploiement de missiles de croisière nucléaires américains en Allemagne. La société civile a alors protesté haut et fort contre cette marche apparente vers l’abîme de l’annihilation mutuelle par des chefs d’État somnambules. En revanche, le week-end quasi catastrophique du 14 avril 2018, lorsque Donald Trump a envoyé 103 missiles de croisière s’écrasant sur des cibles syriennes, en dépit des terribles avertissements russes contre le franchissement de leurs lignes rouges, s’est déroulé devant une société civile, des deux côtés de l’Atlantique, rivée à son confortable siège, qui n’est pas sortie dans la rue ni n’a exprimé son opposition à ce potentiel Armageddon.
Autant pour cette « société progressiste », sans mentionner spécifiquement les femmes ou les minorités que nos historiens d’aujourd’hui aiment à considérer comme façonnant le cours du destin tout en jouant le rôle de « grands hommes ». En effet, nous sommes plutôt dirigés par nos chefs d’État et, pour citer des noms, par deux hommes qui incarnent le destin, Donald Trump et Vladimir Poutine. Dans cet essai, je soutiens, que ce soit par volonté ou par circonstance, qu’ils se sont tous deux révélés être les artisans d’une paix dont nous avons besoin pour survivre au cahoteux chemin de passage entre une hégémonie étasunienne ratée, nommée configuration unipolaire, et un ordre multipolaire en devenir. Au jour d’aujourd’hui, nous n’en sommes ni ici ni là, mais dans un monde bipolaire éphémère, caractérisé par un affrontement américano-russe qui est en train de devenir très laid et dangereux.
Compte tenu du dernier échange de piques entre Donald Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, leur sommet prévu à Singapour au début du mois de juin pourrait ne jamais avoir lieu. Quoi qu’il en soit, la pensée même qu’il puisse avoir lieu, expliqué par certains Occidentaux comme étant le résultat du régime de sanctions sévères, des propos très durs de Donald Trump, à la fin de l’automne et au début du printemps de cette année, semblait justifier la nomination du président américain pour un prix Nobel de la paix. Certes, cette hypothétique nomination serait plus juste que l’attribution d’un prix Nobel à Barack Obama, en 2009, pour ne pas être George W. Bush. Dans les deux cas, la sentence était ou serait plus symbolique que réellement méritée.
De même, envisager Trump comme un faiseur de paix remonte à ses discours de campagne, en 2016, lorsqu’il a déclaré à plusieurs reprises qu’il chercherait des relations normales avec la Russie et contrait ceux qui insistaient pour une rhétorique digne de la guerre froide. C’était politiquement courageux dans le contexte de russophobie effrénée qui régnait au sein de l’establishment politique américain, touchant les deux partis. Comme elle n’ajoutait rien à la popularité du candidat tout en offrant un bâton à ses détracteurs, cette rhétorique avait toutes les apparences d’une conviction profonde pour la recherche de la paix. C’est uniquement pour cela que plusieurs de mes connaissances et moi-même avons voté pour le candidat Trump.
Bien sûr, une fois au pouvoir, la politique de Trump à l’égard de la Russie a pris une tournure bien différente et, ces derniers mois, il s’est vanté que son administration se montrait beaucoup plus dure envers la Russie que ne l’avait été celle de Barack Obama. L’explication généralement acceptée pour ce revirement est la folle enquête sur une « collusion avec la Russie », une « complicité » entre le bureau de campagne de Trump et le Kremlin, ce qui aurait favorisé son élection. C’est une stratégie d’attaque contre Trump, menée par la faction Clinton du Parti démocrate, qui reçoit aussi le soutien de certains Républicains. Leur objectif commun est de destituer Trump. En conséquence, croit-on, Trump a été forcé d’abandonner sa tentative d’accommodement avec le Kremlin et à s’aligner sur ceux qui décrivent la Russie comme la plus grande menace à la sécurité américaine.
Cependant, cette explication est peut-être un peu trop facile et oublie une considération stratégique importante qui a probablement sous-tendu la position pro-russe de Trump pendant la campagne : Henry Kissinger était de facto l’un de ses principaux conseillers politiques, et Henry insistait fortement pour un réalignement avec le Kremlin afin de défaire l’axe Russie-Chine en formation, facilité par les politiques malavisées d’Obama qui consistait à contenir simultanément les deux rivaux mondiaux des États-Unis, ce qui a entraîné la fin de l’accomplissement le plus important dans la vie de Kissinger depuis l’époque de la détente de Nixon. Un rapprochement avec la Russie, conseillait Henry, permettrait aux États-Unis de faire face avec fermeté et détermination à la menace stratégique accrue que la Chine représente pour l’hégémonie mondiale américaine.
Vladimir Poutine a vite et clairement indiqué qu’aucune tentative de la part de Washington ne pouvait susciter un réalignement stratégique contre la Chine. Ce scénario n’était imaginable que pour quelqu’un qui n’avait pas une bonne compréhension de la pensée et du comportement de Poutine, de sa loyauté envers ses amis et de son mépris pour la trahison. Mais encore une fois, Henry Kissinger n’a jamais été très intéressé par la Russie, n’a jamais étudié le pays avec sérieux et jouit d’une réputation non méritée en tant qu’expert dans ce domaine.
En conséquence, sans aucun avantage à rechercher un accommodement avec la Russie et beaucoup de dommages politiques à subir au niveau national pour cela, Donald Trump a changé sa politique envers la Russie, dès le printemps 2017, et a suivi le courant, allant même plus loin qu’Obama dans sa tentative de punir le Kremlin pour son refus de se soumettre aux diktats de l’Oncle Sam.
Pourquoi alors est-ce que je considère Trump comme un artisan de la paix ? Cela vient de sa destruction perverse et ignorante de l’hégémonie mondiale américaine en voulant se passer du Soft Power et de ses « valeurs partagées » et en s’appuyant entièrement sur la force, le chantage à outrance pour « négocier des accords » avec les alliés de l’Amérique, en Europe et en Asie. Cela vient directement de la personnalité du président, de son ADN, de son expérience dans les relations avec ses anciens partenaires commerciaux où il n’utilisait que sa « position de force » au lieu de chercher compromis et solutions « gagnant-gagnantes ».
La familiarité vulgaire de Trump, ses évidentes tricheries, l’humiliation publique de ses interlocuteurs viennent en plus de son reniement de politiques consensuelles telles que l’accord nucléaire iranien, le changement climatique, le partenariat transpacifique, le partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement et l’ALENA…
L’establishment a bien compris que Trump était un désastre pour la structure d’un ordre mondial régi par des règles qu’il avait si méticuleusement mises en place au cours des dernières décennies et qui fournissaient de beaux dividendes financiers aux classes dirigeantes de l’Amérique, celles qui mangent sur le dos du reste du monde. Mais il serait inconvenant d’expliquer précisément ce qui ne va pas. C’est pourquoi nous lisons ces vagues incantations, écrites par des commentateurs emblématiques comme Roger Cohen, dont le dernier article dans le New York Times parle de la « pourriture morale qui menace l’Amérique », celle émanant de la Maison Blanche.
La pensée dominante parmi les analystes politiques des médias alternatifs – que ce soit The Duran, Consortium News ou Peter Lavelle sur Russia Today – est que ce président américain odieux aura le dernier mot et que l’emprise américaine sur le monde continuera malgré ses excès. Ils nous disent que l’Europe va « céder » face à Trump au sujet de Iran et finalement respecter les sanctions exigées par Washington car même si les dirigeants européens font ceux qui résistent, la réalité du monde des affaires est telle que repousser Washington leur coûterait trop cher étant donné l’écart entre les volumes d’échanges européen avec les États-Unis et ceux avec l’Iran.
Cependant, ces analystes négligent non seulement les effets possibles de l’humiliation indécente de Trump à l’égard de dirigeants amicaux, mais aussi la question existentielle concernant la sécurité nationale, qui l’emporte partout et à tout moment sur les avantages commerciaux dans la détermination des relations interétatiques. Le fait est que l’Europe abhorre l’idée d’un Iran nucléaire que l’accord actuel empêche effectivement ou, plus généralement, d’un proche Moyen-Orient doté de l’arme nucléaire. L’Europe s’oppose aussi fermement à une conflagration plus large dans cette région, comme celle que promet la révocation par Trump de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce sont des préoccupations qui rendent toute « soumission » impossible, quel que soit le manque de courage personnel des dirigeants européens.
Trump manque totalement de discernement et est poussé à commettre des erreurs impardonnables en politique étrangère par des conseillers civils « fous furieux » comme John Bolton, qu’il a nommé pour avoir l’air d’un dur. Sa poursuite de politiques mercantilistes primitives qui font que la promotion d’un gaz liquéfié américain surévalué vers l’Europe en concurrence au gaz russe transporté par le Nord Stream II, qu’il presse Merkel de saborder, a tourné en une moquerie les soi-disant intérêts et valeurs atlantiques partagés, et a tourné en ridicule les dirigeants européens qui pourraient être tentés de se tenir à ses côtés.
On ne saurait sous estimer l’importance des sévères condamnations adressées à Trump et aux États-Unis, la semaine dernière, par le président de la Commission européenne, Jean Claude Juncker, et par le président du Conseil européen, Donald Tusk. Tusk a déclaré, en se référant à Trump, qu’« avec des amis comme celui-ci, qui a besoin d’ennemis ? ». Juncker a appelé à l’activation d’une loi européenne dite « statut de blocage », datant des années 1990, pour protéger les entreprises européennes qui continueraient à faire des affaires avec l’Iran contre les effets des sanctions américaines. Ce mécanisme a été lancé dès le lendemain, vendredi dernier.
Il faut rappeler que ces deux leaders ont été installés par Angela Merkel. Leur fermeté à répudier les brimades et la position erronée de Washington sur l’Iran ne représente pas seulement leurs opinions personnelles, mais aussi celles de Berlin, qui, au cours de la dernière décennie au moins, est la force motrice de la politique de l’UE, tant étrangère qu’intérieure. De plus, par une ironie du sort, la dénonciation la plus dure des États-Unis vient précisément du Polonais Tusk, ancien chef du parti au pouvoir à Varsovie. Il faut rappeler que le ministre des Affaires étrangères de Tusk, Radek Sikorski, a reconnu que son pays avait « taillé une pipe » à l’oncle Sam. Pour toutes ces raisons je pense que le jeu américain est dévoilé grâce au bon travail de l’occupant actuel de la Maison Blanche.
Le problème du non-respect des sanctions américaines contre l’Iran est multidimensionnel et il est clairement trop tôt pour dire comment cela se déroulera. Les experts conviennent qu’en tout état de cause, l’infrastructure financière pour le commerce avec l’Iran, le système SWIFT, restera en place cette fois, contrairement aux dernières sanctions imposées par les États-Unis à l’Iran en 2012. Le « statut de blocage » offre une compensation financière aux entreprises européennes confrontées à des pénalités aux États-Unis, bien que la chancelière Merkel ait déclaré que cela ne suffira probablement pas.
L’une des grandes questions est de savoir ce que les entreprises européennes feront réellement. Les premières indications ne sont pas encourageantes, avec Maersk, la plus grande compagnie maritime mondiale et le géant pétrolier français Total indiquant qu’ils allaient clôturer leurs opérations avec l’Iran, à moins qu’elles ne bénéficient d’exemptions explicites de la part de Washington. Mais ce ne sont que des pailles dans le vent. La loi européenne de blocage est susceptible de donner plus de confort aux petites et moyennes entreprises européennes qu’aux très grandes entreprises avec une forte implication américaine. Seul le temps nous dira si le commerce et les investissements en cours avec l’Iran seront suffisants pour que Téhéran puisse continuer à honorer l’accord nucléaire. Et puis il y a la question de savoir quelle aide sera effectivement fournie par les deux pays qui se tiennent le plus résolument aux côtés de l’Iran : la Russie et la Chine.
L’échec possible des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran ne viendra pas tout seul. Il s’inscrira dans le contexte de multiples conflits entre les États-Unis et ses alliés, dans lesquels le commerce et les sanctions occuperont une place prépondérante.
La politique américaine de gendarme économique mondial et de sanctions unilatérales à l’encontre de ses concurrents, sans parler de ses adversaires, unit l’opposition aux régimes de sanctions et en fait un outil de politique étrangère. Les escarmouches dues au début d’une guerre commerciale contre l’Europe, entamée par les États-Unis, à propos de l’acier et de l’aluminium ont focalisé les esprits.
Entre-temps, il est à noter qu’un nouveau gouvernement sur le point d’être installé en Italie a fait de la levée des sanctions américaines à l’encontre de la Russie l’une des politiques clés de sa coalition. Et s’il est facile de dire que l’Europe a déjà entendu cela, de la part d’Autrichiens, de Tchèques, de Slovaques, de Grecs qui n’ont pas et ne partagent pas l’enthousiasme de Bruxelles à appliquer des sanctions contre la Russie, ce sont tous de petits pays qui n’ont pas le poids démographique et le poids économique pour s’opposer aux 28 et poser un veto. Ce n’est pas le cas de l’Italie, qui en plus est membre fondateur de l’UE. Son intention de s’opposer aux sanctions pourrait bien être le signal d’un changement que beaucoup d’entre nous attendent. Mais c’est ignoré par l’administration de Donald Trump qui a annoncé son intention de mettre en œuvre des sanctions encore plus sévères à l’encontre de la Russie en raison de l’influence maligne que la Russie exercerait sur l’Europe.
En en faisant trop, Donald Trump accélère l’effondrement de l’hégémonie mondiale américaine et du triomphalisme qui a guidé son comportement belliqueux, risquant la guerre par intention ou par erreur de calcul. Du coup, Trump encourage involontairement la paix dans le monde.
Si Trump est un artisan de paix par sa promotion inconsciente de politiques destructrices du pouvoir américain, Vladimir Poutine est un artisan de paix par choix conscient. Cela ne veut pas dire que Poutine est un mou. Bien au contraire. Poutine est l’incarnation vivante du principe d’assurer la paix en préparant la guerre.
Dans son récent débat avec l’ambassadeur Michael McFaul à l’Institut Harriman de Columbia, le professeur Stephen Cohen a noté que Vladimir Poutine a un long passé de « réaction » aux empiétements américains et occidentaux sur les intérêts nationaux de la Russie et n’est en aucun cas l’agresseur, comme le prétendent nos gouvernements et les médias. Ceux d’entre nous qui ont l’esprit ouvert et une vision claire ont depuis longtemps remarqué la retenue caractéristique de Poutine, son refus de répondre aux provocations à la hâte ou de manière intempestive.
Ce modèle de comportement remonte directement à ses premiers jours au pouvoir, lorsque la Russie a été choquée de recevoir en récompense de son généreux soutien aux États-Unis, à la suite du 11 septembre 2001, du simple dédain de la part de Washington. Du point de vue russe, la décision des États-Unis d’abroger le Traité ABM en 2002 a supprimé l’une des principales caractéristiques de la sécurité mondiale remontant au début des années 1970. Il était évident que l’objectif des États-Unis était maintenant de parvenir à une supériorité stratégique sur la Russie dans le seul domaine qui justifiait ses prétentions à un siège au conseil d’administration des affaires internationales, sa triade nucléaire. Avec la construction prévue de bases antimissiles en Europe qui pouvaient également servir pour lancer des missiles d’attaque, les États-Unis obtenaient une capacité de première frappe.
À l’époque, M. Poutine s’opposait vigoureusement à ce programme américain qui, selon lui, obligerait la Russie à prendre des contre-mesures pour assurer sa sécurité. Cependant, les avertissements russes n’ont pas été entendus et, en 2004, Poutine a informé Washington que son pays allait maintenant parvenir par ses propres moyens à développer des systèmes de défense asymétriques contre l’infrastructure américaine de missiles anti-missiles balistiques qui se développait à son périmètre. Ce message n’a suscité que des commentaires dérisoires parmi les responsables de l’OTAN. Après tout, pensaient-ils, les niveaux techniques et financiers beaucoup plus faibles de la Fédération de Russie rendait improbable son rééquilibrage militaire.
Néanmoins Poutine a persisté dans ses plans et, le 1er mars 2018, dans son discours annuel à la session conjointe du Parlement russe, qui a également servi de discours clé pour sa campagne électorale, Vladimir Poutine a révélé publiquement ce que la Russie a réalisé au cours des 14 dernières années pour rétablir la parité nucléaire stratégique avec les États-Unis, pour le présent et l’avenir proche. Il a présenté les caractéristiques fonctionnelles de quelque huit nouveaux systèmes d’armes technologiquement inégalés, dont des missiles de croisière hypersoniques et des drones opérant depuis les profondeurs de l’océan. Tous ces systèmes ont en commun le lancement pratiquement imparable de charges utiles nucléaires qui, selon l’analyse des commentateurs russes pendant les jours suivants, transforment toute l’infrastructure antimissile américaine, qui a coûté des centaines de milliards de dollars, en une ligne Maginot moderne. C’est-à-dire que les Russes ont utilisé certains des meilleurs cerveaux de la planète, des scientifiques qui ne sont pas partis à l’étranger à la recherche d’emplois confortables dans la Silicon Valley pour travailler sur le dernier i-Phone, mais qui ont plutôt travaillé avec dévouement et patriotisme pour assurer la survie du pays. Ils ont efficacement géré ces équipes techniques, avec des budgets serrés bien inférieurs aux programmes comparables des États-Unis, pour produire des systèmes de défense qui changent la donne et qui sont déjà déployés (Dagger) ou qui seront bientôt mis en production en série (Sarmat).
« Auparavant vous ne nous avez pas écoutés. Maintenant, écoutez ça. » Telles furent les paroles de Poutine quand il a présenté les nouveaux systèmes. Mais au lieu de menaces d’« enterrer » l’Occident, comme Nikita Khrouchtchev l’avait fait, Vladimir Poutine a profité de son annonce pour appeler les Américains et d’autres pays à entamer de nouvelles négociations sur la maîtrise des armements.
Est-ce que quelqu’un écoutait ? Dans les grands médias américains la tournure en dérision des capacités russes s’est poursuivie sans relâche après le discours de Poutine du 1er mars. On nous a dit que ce n’était qu’un stratagème électoral pour obtenir des votes supplémentaires, qu’il n’existe pas de tels systèmes, que Poutine bluffait. Cependant, les dirigeants politiques américains ayant une connaissance approfondie des réalités de la défense, comme la sénatrice Dianne Feinstein (Californie-D), présidente de longue date de la commission sénatoriale du renseignement, étaient à l’écoute. Elle et trois autres sénateurs ont lancé un appel public à Rex Tillerson, alors secrétaire à la Défense, pour qu’il rouvre immédiatement les pourparlers sur la maîtrise des armements avec le Kremlin. Puis le Président lui-même, dans son message de félicitations à Vladimir Poutine pour sa réélection réussie, a déclaré qu’il était important de se rencontrer dans un avenir pas trop lointain pour parler de la maîtrise des armements parce que la course aux armements était « hors de contrôle ».
On peut objecter que la parole est facile, c’est pourquoi la nouvelle puissance russe a été largement cachée au public américain. Dans ce cas, les actions américaines parlent plus fort que les mots. Lors de l’attaque aux missiles de croisière sur la Syrie, le 14 avril, à laquelle j’ai fait allusion au début de cet article, les États-Unis ont scrupuleusement pris des mesures pour s’assurer qu’aucun mal ne serait fait au personnel militaire russe en Syrie, de sorte que l’impact militaire de l’attaque était essentiellement nul. En bref, le discours du président russe a veillé à ce que l’on tienne pleinement compte, à Washington, des menaces du chef d’état-major général russe Gerasimov d’abattre des navires et des avions lançant des missiles sur la Syrie si les lignes rouges russes étaient franchies.
Le dernier, et peut-être le seul véritable réaliste de l’establishment du pouvoir américain, le commandement militaire du Pentagone, ne dédaigne plus les capacités et la détermination russes.
Dans un sens plus large, il est également salutaire et utile au maintien de la paix mondiale que Vladimir Poutine ait clairement indiqué que la Russie est prête à appuyer sur le bouton nucléaire, même s’il s’agit d’un suicide collectif, au cas où elle serait attaquée par les États-Unis. Cela s’est produit dans le cadre d’un film spécial sur Poutine qui est sorti au cours de la campagne. Il a expliqué à l’intervieweur qu’il ne voulait pas vivre dans un monde dans lequel la Fédération de Russie aurait cessé d’exister et qu’il répondrait aux attaques en conséquence.
Cette clarté se compare favorablement à la position insipide de la haute direction militaire et civile britannique qui a été présentée dans un pseudo-documentaire de la BBC intitulé « World War Three. Inside the War Room », datant de février 2016.
Une puissance militaire égale, la volonté de l’utiliser face aux menaces existentielles à la sécurité, la clarté de pensée et la retenue : voilà autant d’éléments qui font de Vladimir Poutine un contributeur majeur à la paix dans le monde.
Il est curieux de constater que certains de mes pairs continuent d’espérer qu’une réunion au sommet entre Poutine et Trump permettrait une percée dans les relations qui mettrait fin à l’impasse mondiale et ouvrirait la voie à une ère de paix. Ils vont même jusqu’à espérer un partenariat stratégique américano-russe.
De ce qui précède, il devrait être évident que tout rapprochement possible entre les États-Unis et la Fédération de Russie n’est un projet viable que dans un avenir lointain et ne peut advenir avant un changement fondamental de la pensée dans l’establishment américain, passant de l’hégémonie mondiale au positionnement des États-Unis comme un égal des autres et travaillant sur la base du consensus, et non du diktat. Ce jour n’arrivera pas de sitôt.
En attendant, les relations de pleine concurrence entre les deux chefs d’État seront tout à fait suffisantes et justifiées. Tout ce qu’il faut, c’est le respect mutuel, et comme l’ont démontré les récentes rencontres de Trump avec des dirigeants étrangers, le respect des autres ne fait pas partie de son état d’esprit. Il vaudrait beaucoup mieux que les négociations avec la Russie se déroulent au niveau opérationnel afin de garantir des lignes de communication ouvertes et une compréhension claire des lignes rouges de l’autre partie.
Ça aussi, arrivera. C’est peut-être le résultat des élections américaines de 2020 qui ouvrira de nouvelles perspectives.
Gilbert Doctorow
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
Note du Saker Francophone
Vous pouvez trouver l'analyse de ce texte par De Defensa ici.
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