La Russie se prépare de nouveau à bombarder les rebelles, alors qu’ils lancent une offensive autour d’Alep – la trêve en grand péril d’effondrement
Par Alexander Mercouris – Le 6 juin 2016 – Source thesaker.is
Les preuves s’accumulent, les Russes sont sur le point de reprendre les bombardements à grande échelle dans et autour de la ville d’Alep.
En arrière-plan, il y a l’accord de février entre les États-Unis et les Russes, qui prévoyait la «cessation des hostilités» entre factions syriennes, en contrepartie de quoi les Russes réduiraient leur campagne de bombardements.
La cessation des hostilités n’est pas un cessez-le-feu et n’entend pas l’être. Cet état de fait avait pour raison que les deux plus grands groupes combattant le gouvernement syrien : Daech («État islamique», parfois aussi appelé ISIS) et l’annexe syrienne d’al-Qaïda – Jabhat al-Nusra – avaient été expressément exclus de l’accord. Le Conseil de sécurité des Nations Unies avait déjà déclaré ces deux organisations terroristes et ne les incluaient pas dans l’accord de cessation des hostilités. En fait toutes les deux l’ont dénoncé.
Le principe fondamental de l’accord de cessation des hostilités reposait sur les États-Unis, qui devaient persuader les différents groupes qu’ils soutiennent en Syrie – les soi-disant modérés formant la soi-disant Armée syrienne libre – de séparer leurs combattants de ceux des deux groupes terroristes.
La raison pour laquelle les Russes se préparent maintenant à reprendre les bombardements, dans et autour d’Alep, est que la séparation des soi-disant combattants modérés de ceux du Daech et de Jabhat al-Nusra, dans et autour d’Alep, ne s’est jamais matérialisée. Au contraire, les combattants des différents groupes syriens restent mêlés et continuent à se battre les uns aux côtés des autres.
Du côté des États-Unis, il y a peu ou pas de signes montrant qu’ils aient jamais fait de tentative sérieuse pour persuader les soi-disant combattants modérés qu’ils soutiennent, de se séparer de Daech ou Jabhat al-Nusra. Au contraire, tout le poids de l’activité diplomatique des États-Unis ces dernières semaines a été de dissuader les Russes de bombarder Jabhat al-Nusra dans et autour d’Alep, au motif que cela pourrait frapper les soi-disant combattants modérés.
Pour appréhender l’aspect extraordinaire de cette demande, il suffit de considérer que les États-Unis, lors de toutes les campagnes aériennes qu’ils ont menées au Moyen-Orient – que ce soit contre les talibans en Afghanistan, en Irak, en Libye ou en Syrie – n’ont jamais cherché à faire la distinction entre militants et modérés.
Lorsque les États-Unis ont bombardé l’Afghanistan en 2001, suite aux attaques terroristes du 11 septembre, leur position était parfaitement simple – ils bombardaient les talibans partout, et n’importe où ils le pouvaient, sans faire de distinction entre des factions supposées militantes ou modérées. Ils laissaient, à tous ceux qui ne voulaient pas être bombardés, le soins de dégager la route. Ceci malgré le fait que ces différentes factions au sein des talibans, dont on sait qu’elles ont existé, en réalité une coalition floue de différents groupes, et malgré le fait qu’al-Qaïda – la cible nominale de l’ensemble de la campagne – et les talibans étaient des organisations distinctes. Le simple fait que les talibans et al-Qaïda aient été physiquement reliés entre eux suffisait aux États-Unis pour les bombarder tous les deux.
Le fait que les États-Unis aient fait pression sur les Russes pour qu’ils cessent de bombarder Jabhat al-Nusra – al-Qaïda en Syrie – a été à peine évoqué à l’Ouest ou aux États-Unis. Si les familles des victimes des attaques du 11 septembre – voire les soldats étasuniens qui ont combattu contre les talibans et al-Qaïda en Irak et en Afghanistan et leurs familles – apprenaient qu’en Syrie les États-Unis protègent al-Qaïda, ils se sentiraient sûrement trahis.
Une série de plaintes et de messages du ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, suggère que les Russes sont maintenant près d’en avoir assez. Lavrov a clairement fait savoir que les Russes considèrent que les États-Unis violent l’accord de cessation des hostilités conclu entre eux en février.
Les Russes constatent aussi, ce qui est une évidence, que Jabhat al-Nusra fait usage de toute atténuation des bombardements pour se rééquiper, se redéployer et lancer de nouvelles attaques contre les positions de l’armée syrienne. De plus quand ils font cela, les soi-disant combattants modérés des États-Unis coopèrent avec enthousiasme avec eux. Récemment des combattants de Jabhat al-Nusra joints à des combattants de l’un des groupes dits modérés, ont pris d’assaut un village alaouite et massacré 19 habitants civils, y compris des enfants et des personnes âgées.
Ici, il est nécessaire de dire quelque chose sur la véritable situation en Syrie : les soi-disant forces modérées dont parlent constamment les États-Unis et les médias occidentaux, n’existent tout simplement pas.
L’effondrement de l’autorité gouvernementale dans une grande partie de la Syrie et le vide qui s’en est suivi, ont eu comme conséquence la création de diverses milices villageoises dans différentes parties du pays. Certaines d’entre elles ont affirmé être affiliées à l’Armée syrienne libre, dans le but d’accéder aux approvisionnements occidentaux. Les États-Unis font l’amalgame entre beaucoup d’entre elles comme étant une force de combat unie et cohérente. Ces milices toutefois se focalisent sur leurs propres localités et ne sont pas sérieusement impliquées dans la guerre.
Comme l’a écrit notre auteur Afra’a Dagher – qui est un journaliste syrien basé en Syrie – ces combattants qui sont en fait des rebelles, c’est-à-dire des combattants qui effectivement combattent l’armée syrienne et cherchent à renverser le gouvernement syrien, se font appeler à différentes occasions par des noms différents, mais, en réalité, ce sont tout simplement les mêmes gens.
Afin d’attirer des combattants, des livraisons d’armes et des dons en provenance du Golfe et d’ailleurs, ces groupes se disent de Daech ou – s’ils se battent autour d’Alep – de Jabhat al-Nusra, ou par l’un des divers autres noms exotiques que des groupes extrémistes djihadistes en Syrie aiment utiliser à leur convenance. Quand ils veulent éviter que les forces aériennes russes les bombardent, ou quand ils ont besoin d’obtenir le soutien diplomatique des États-Unis ou de la Turquie ou de l’Ouest, ils font semblant d’être des modérés et se font appeler Armée syrienne libre.
Comme a dit le président Poutine dans son récent discours à l’Assemblée générale de l’ONU, «ces gens sont cruels, mais ils ne sont pas stupides».
Les États-Unis et les Russes savent parfaitement tout cela. Les uns et les autres, pour des raisons différentes, prétendent croire à la fiction de combattants modérés en Syrie, distincts des djihadistes armés. Les États-Unis le font parce que leur priorité est le renversement du gouvernement syrien, et non pas la défaite du djihadisme violent. Les Russes le font parce qu’ils ont toujours recherché une solution diplomatique au conflit syrien, qui impliquerait les soutiens des rebelles syriens – l’Arabie saoudite et les États-Unis – qu’ils considèrent comme seul moyen pour mettre un terme à la guerre.
Les nouvelles ces derniers jours, d’une offensive rebelle majeure contre des districts kurdes d’Alep, ont épuisé la patience russe, et le point de rupture n’est pas loin. L’entente diplomatique avec les États-Unis ayant échoué à empêcher cette offensive, les Russes font tout, sans tout à fait le dire, pour reprendre les bombardements.
Article Original publié chez TheDuran
Traduit par Alex Mombaris, relu par Marie-José Moumbaris pour le Saker Francophone
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