Par Norman Pollack – 14 septembre 2016 – Source CounterPunch
Nonobstant la référence indirecte à Trump dans le titre de cet article, ce dernier n’est pas le plus élevé des dangers auxquels l’Amérique fait face maintenant, mais un facteur tout à fait connu, représentant un fascisme naissant des tripes, enraciné principalement dans l’accumulation du capital, un comportement nymphomaniaque envers la possession, le marchandage, le prestige obscène. En bref, les traits mêmes de l’obsession américaine pour la richesse, le pouvoir et le statut sur lequel se fonde son système capitaliste.
L’ethnocentrisme lui donne un fondement psychologique, une pure ignorance de la sensibilité humaine, une âme indifférente à l’humiliation et à la destruction des autres comme conséquence des rouages du capitalisme, lui forgeant une personnalité et une mentalité sociale banales. Nous avons eu de nombreux exemplaires du Donald du haut en bas des 10%, 5%, 1%, jusqu’au bas de l’échelle sociale, montrant avec quelle efficacité la fausse conscience a été diffusée vers le bas par le système de valeurs américain. Il vibre actuellement dans ce qui semble être une partie importante de la classe ouvrière. Ainsi soit-il ; au moins les présages et les archives sont là pour riposter.
Les Obama et Clinton parmi nous, en grande partie exempts de graves critiques grâce à un radicalisme avachi et homogénéisé, psalmodiant en chemin la ritournelle «entre-deux-maux-etc…», nous dirigent non pas vers la réactivation des chambres à gaz – même Trump n’est pas allé aussi loin, pour l’instant – mais vers la manifestation de la structure d’un fascisme libéral, peut-être plus militariste, plus profondément niché dans la mentalité de la guerre froide, faisant beau jeu sur l’immigration tout en promouvant activement un État oligarchique monopoliste, exactement celui qui a les faveurs de Trump. Nous avons là les conditions d’une fascisation croissante, avec peu de contrôles internes, se différenciant principalement par des fioritures rhétoriques.
Obama est l’homme en pointe, dépassant ses prédécesseurs dans la contre-révolution mondiale, l’interventionnisme, le changement de régime et les pressions constantes vers la confrontation, surtout avec la Chine mais aussi la Russie.
Pendant ce temps, Clinton tient bien le rôle, peut-être plus viscéralement combative, avec la Russie plutôt que la Chine comme principal adversaire. L’accent mis sur le terme adversaire est nécessaire, parce que les États-Unis ne peuvent pas exister, et beaucoup moins prospérer, sans un ennemi, que ce soit pour gaver une gigantesque industrie de la défense, mener une politique étrangère hégémonique, forcer la discipline sociale à la maison, garder le marché intérieur en l’état, débusquer la dissidence politique et enfin augmenter les faveurs aux déjà riches et… favorisés.
Les destroyers furtifs coûtent plus de $4 milliards, comme l’a remarqué le Times d’aujourd’hui, le système de sécurité s’accroît – de plus en plus démodé, la dégradation de l’environnement et la pollution continuent au même rythme, le taux d’assassinats grimpe à Chicago et dans d’autres grandes villes, mais l’impérialisme est, littéralement, business-as-usual. Et les affaires elles-mêmes sont business-as-usual : l’encart publicitaire de Bank of America, la semaine dernière, affiche un comportement douteux. «Cassez-le et il est à vous» pourrait être le slogan dans une petite boutique de souvenirs, mais dans le grand tableau d’ensemble ? Les entreprises américaines, notamment les chemins de fer et la banque, au milieu du XIXe siècle, avaient déjà rompu la promesse de la démocratie, et avec le temps il est devenu de plus en plus difficile de garder le système sur la voie démocratique. Voilà où le mot fascisme n’est pas un juron, mais une réalité : l’interpénétration des entreprises et du gouvernement, le capitalisme et l’État, l’amalgame confortable de la richesse, du pouvoir, de l’armée, que même les cisailles les plus puissantes ne pourraient séparer.
L’Allemagne a eu sa forme de fascisme, l’Italie et le Japon la leur. Tous ont des différences culturelles et linguistiques, mais pas dans leur fondement qui est capitaliste dans tous les cas, ni dans la structure sociale hiérarchisée qu’ils ont créée comme facteur déterminant dans l’élaboration du système politique et de sa finalité : l’Ordre. À juste titre le mot le plus sale dans le lexique politique. Dans un ordre social fasciste, chacun connaît sa place. La protestation de fond est bannie, par la répression ou l’endoctrinement. L’Amérique se joint maintenant aux trois grands fascismes du XXe siècle, comptant plus sur l’endoctrinement que sur la répression manifeste. L’arrosage de prospectus par des avions militaires lors des matchs de football est le rappel à l’ordre pavlovien du patriotisme requis pour être considéré, et se considérer, comme un bon Américain. Trump fait simplement écho à l’homme-de-la-rue, sa différence étant une chemise en soie au lieu d’un jean de travail. Mais c’est Clinton qui mérite, et a gagné le respect de tous les bien-pensants Américains, singeant le vitriol des intellectuels de la défense, des maîtres de la propagande – même Axelrod dans le journal d’aujourd’hui semble être devenu critique –, sa stridence contrôlée, soutenue par le complexe de son mari d’être l’homme-du-destin. C’est elle qui présente le risque les plus grave de mettre les derniers clous au cercueil de la démocratie.
Pourquoi choisir Trump ou Clinton ? Les élections sont truquées, non pas par la corruption, mais, plus profondément, par la culture politique et la structure de classe de la société. Les candidats sont simplement la façade pour plusieurs siècles de développement politico-économique et idéologique cumulatifs, auto-renouvelés et surtout nourris d’hubris, à savoir la fierté exagérée de l’Élu, soutenu par la force militaire, pour fourrer tout cela dans la gorge de tout le monde, où les «amis et alliés» deviennent, à cette fin de domination mondiale unilatérale, indiscernables des adversaires et des ennemis dans la revendication du maintien, avec succès, du leadership et de la grandeur.
Norman Pollack est diplômé Ph.D. de Harvard, Guggenheim Fellow, il a écrit sur le populisme américain comme mouvement radical, il est professeur, activiste. Ses intérêts sont la théorie sociale, l’analyse structurelle du capitalisme et le fascisme. Il peut être joint à pollackn@msu.edu.
Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone
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