Face aux problèmes créés par le prince héritier, l’Arabie Saoudite fait marche arrière


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 6 décembre 2019

Lorsque le roi saoudien Salman a promu son fils Muhammad bin Salman (MbS) ministre de la Défense puis prince héritier, les attentes étaient grandes. Mais trois des principales initiatives que Muhammad a lancés depuis se sont rapidement heurtés à des difficultés. Des actions sont en cours pour limiter les dégâts qu’il a causés. La fin de la guerre saoudienne contre le Yémen, qui dure depuis 5 ans, approche à grands pas. L’offre publique d’actions de la compagnie pétrolière publique saoudienne ARAMCO a finalement eu lieu, mais avec une valorisation bien inférieure à celle initialement prévue. La dispute avec le Qatar, qui dure depuis trente mois, est en cours de résolution.

Le 17 août 2019, un drone yéménite attaquait les installations pétrolières de l’Arabie saoudite, montrant que les Saoudiens avaient perdu la guerre. Le titre de l’article de Moon of Alabama de cette époque montrait déjà l’effet que cette attaque aurait :

L’attaque contre un champ pétrolier saoudien met fin à la guerre contre le Yémen

L'attaque d'aujourd'hui est un échec et mat que subissent les Saoudiens. Shaybah est situé à environ 1 200 kilomètres (750 miles) du territoire contrôlé par les Houthis. Il y a beaucoup d'autres objectifs économiques importants placés dans cette zone de tir. [...]

L'attaque démontre de manière concluante que les actifs les plus importants des Saoudiens sont désormais menacés. Cette menace économique s'ajoute à un déficit budgétaire de 7 % que le FMI prévoit pour l'Arabie saoudite. D'autres bombardements saoudiens contre les Houthis auront désormais un coût supplémentaire très important qui pourrait même mettre en danger la viabilité de l'État saoudien. Les Houthis tiennent le prince Mohammad bin Salman par les couilles et peuvent les serrer à volonté.

Un mois plus tard, une autre attaque de grande ampleur paralysait la moitié de la production pétrolière saoudienne.

Depuis, les Saoudiens louent des unités militaires américaines supplémentaires pour assurer une meilleure défense aérienne de leurs installations pétrolières. Mais les défenses aériennes américaines ne sont pas efficaces contre le genre d’attaques que les Yéménites ont lancées. Les Saoudiens n’avaient donc plus d’autre choix que de rechercher la paix.

Depuis plusieurs mois, des pourparlers ont lieu à Oman entre des représentants officiels saoudiens et des délégations Houthis. Un accord préliminaire a été trouvé mais aucune annonce officielle n’avait encore été faite. Cela vient de changer aujourd’hui car le ministre d’État aux Affaires étrangères de l’Arabie saoudite, Adel al-Jubeir, a déclaré que, pour la première fois, les Houthis étaient reconnus comme une entité yéménite légitime :

S'exprimant sur la situation au Yémen, M. al-Jubeir a déclaré qu'il existait une possibilité de parvenir à une trêve dans le pays, qui pourrait être suivie d'un règlement.

"Le Yémen revêt une importance particulière pour nous, et l'intervention de l'Iran dans ce pays est dévastatrice. La seule solution au Yémen est politique, et ce sont les Houthis qui ont commencé la guerre, pas nous."

"Tous les Yéménites, y compris les Houthis, ont un rôle à jouer dans l'avenir du Yémen", a-t-il ajouté.

Aujourd’hui, les Saoudiens ont également libéré quelque 200 prisonniers Houthis. Ils ont été transportés par avion à Sanaa, la capitale du Yémen. L’accord préliminaire prévoit la formation d’un gouvernement commun entre les Houthis et l’ancien président saoudien, Hadi.

Ce n’est pas encore la fin de la guerre. Il faudra un certain temps avant qu’un nouveau gouvernement yéménite ne prenne forme, car les Saoudiens ont encore des exigences irréalistes :

L'Arabie saoudite semble plus ouverte à une forme de coexistence avec les Houthis dans le nord du Yémen pour les soustraire à l’influence iranienne. Après la signature de l'accord de Riyad sur le partage du pouvoir entre le Conseil séparatiste de transition du Sud et le gouvernement reconnu par l'ONU à Aden, l'Arabie saoudite et les EAU semblent prêts à passer à la phase suivante de leur désastreuse guerre contre le Yémen.

Au lieu de combats sans fin, l'Arabie saoudite tente de convaincre les Houthis de rompre les liens avec son rival régional, l'Iran. Après tout, ce que les Houthis veulent c'est la légitimité de leur nouvelle position stratégique au Yémen. Selon eux, cela doit être cité dans un accord de partage du pouvoir qui garantit leur part dans un nouveau système, semblable à une fédération, incluant le gouvernement du président Abedrabbo Mansour Hadi et les séparatistes du Sud Yémen.

Mais l’Iran n’a jamais “contrôlé” les Houthis. Même le département d’État américain a récemment changé d’avis et l’a finalement admis :

Dans un changement qui, selon les analystes, reflète les progrès des pourparlers saoudiens avec les rebelles yéménites Houthis pour mettre fin à la guerre au Yémen, l'envoyé du département d'État Brian Hook a déclaré aujourd'hui que l'Iran ne parlait pas au nom des Houthis, qu'il décrit comme jouant un rôle plus constructif dans la rédaction d'une proposition de cessez-le-feu.

"Nous devrions nous rappeler que les Houthis ont proposé d’arrêter les attaques de missiles et les frappes aériennes contre l'Arabie saoudite quelques jours seulement après que les Iraniens ont frappé les installations pétrolières saoudiennes, le 14 septembre", a déclaré M. Hook aux journalistes. 

"La proposition de désescalade des Houthis, à laquelle les Saoudiens répondent, montre que l'Iran ne parle manifestement pas au nom des Houthis et n'a pas à cœur les meilleurs intérêts du peuple yéménite,» a déclaré M. Hook. "L'Iran essaie de prolonger la guerre civile au Yémen pour projeter sa propre puissance. L'Iran devrait suivre les appels de son propre peuple et mettre fin à son implication au Yémen."

Les commentaires de M. Hook sur la proposition de désescalade Houthi contrastent avec la façon dont il en parlait, dans un éditorial du Wall Street Journal de septembre, comme étant un groupe iranien. Il y qualifiait les relations entre l'Iran et les Houthis d'"alliance stratégique".

Les Houthis ne sont pas plus sous le contrôle de l’Iran que du Hezbollah libanais. Ces groupes sont des entités politiques indépendantes qui prennent leurs propres décisions, dans leur propre intérêt. L’Iran aide ces groupes en cas de besoin, tout comme ils aideront l’Iran en cas de besoin. L’affirmation de Hook selon laquelle l’Iran tente de prolonger la guerre au Yémen est sans fondement.

L’Iran a permis aux Houthis de résister tout au long des 5 années de guerre que les Saoudiens leur ont fait subir. Les drones et les pièces de missiles que l’Iran leur a fourni leur ont permis d’obliger les Saoudiens à demander la paix. Il est donc très peu probable que les Houthis prennent leur distance avec l’Iran. Ils accepteront de mettre fin à leurs attaques contre l’Arabie saoudite si les Saoudiens mettent fin à leurs attaques contre le Yémen et paient pour les dommages causés par leur guerre. Si les Saoudiens n’acceptent pas un tel accord, leurs hélicoptères tomberont encore en flammes et leurs installations pétrolières continueront d’être incendiées.

La guerre contre le Yémen a été lancée par le prince héritier bin Salman, alors ministre de la Défense de l’Arabie saoudite. Il avait espéré une victoire rapide, mais l’armée saoudienne, même bien équipée, s’est avérée incapable de vaincre les va nu pieds Houthis vivant dans les montagnes du nord du Yémen. Cette guerre coûte aux Saoudiens plusieurs milliards par mois et menace de ruiner l’État.

Les autres projets de Muhammad Bin Salman ne se sont pas mieux passés. Il avait prévu de vendre des actions de Saudi Aramco dans des bourses du monde entier pour une valorisation totale à 2 000 milliards de dollars. Cette mesure était censée rapporter 100 milliards de dollars pour financer une nouvelle industrialisation de l’économie saoudienne. Après de nombreux retards, Saudi Aramco fait enfin son premier appel public. Les actions commenceront à se négocier le 11 décembre. Mais l’action ne sera cotée que sur la place saoudienne de Tadawul.

L’offre initiale sur le cours de l’action évalue la valeur de la société à 1700 milliards de dollars, ce qui est supérieur à l’estimation de 1500 milliards de dollars que les banques internationales avaient publiée. Aujourd’hui, les Saoudiens ont annoncé une importante réduction de leur production de pétrole afin d’augmenter les prix mondiaux du pétrole et la valorisation de l’entreprise. Cela pourrait attirer des acheteurs si attendus. Mais les actions seront toujours vendues à des entités principalement nationales, si nécessaire avec une certaine pression. Au lieu d’attirer 100 milliards de dollars d’argent frais de l’étranger, 25,6 milliards de dollars seront retirés de la poche gauche du pantalon saoudien pour être placés dans celle de droite. L’avantage économique pour le pays est plutôt douteux.

Il y a deux ans et demi, le prince a tenté d’attaquer et d’occuper le Qatar. La raison idéologique invoquée était le soutien du Qatar aux Frères musulmans. Mais la vraie raison était le besoin saoudien de plus d’argent que MbS a essayé d’obtenir en s’accaparant de biens immobiliers et de ressources étrangères. Le projet a échoué lorsque les troupes turques sont venues en aide au Qatar. Les Saoudiens et leurs alliés des Émirats arabes unis ont ensuite tenté d’isoler le Qatar par un embargo. Cela aussi a échoué, mais a causé aux dirigeants saoudiens des maux de tête supplémentaires et c’est pourquoi ils s’efforcent maintenant de mettre fin au conflit :

Plus de deux ans plus tard, des signes de fracture économique et politique commencent à se manifester non pas au Qatar, mais chez ses voisins à l’origine de l’embargo. Ce sont ces informations qui peuvent aider à expliquer les récents gestes de conciliation de ces pays, y compris la résolution de se joindre à la Coupe du Golfe Arabique à Doha et les remarques actuelles de responsables saoudiens et émiratis suggérant de nouveaux pourparlers pour mettre fin au conflit. ...
Depuis le krach pétrolier de 2014, qui a vu les prix chuter de plus de 100 dollars le baril à moins de 30 dollars, tous les pays du Golfe ont cherché à compenser leurs énormes déficits budgétaires en entreprenant des changements fondamentaux et douloureux dans leur économie pétrolière. ...
Il se trouve que les États du Golfe qui sont allés le plus loin dans l'imposition de mesures de réforme impopulaires sont les États l’origine de l’embargo, tandis que le Koweït, Oman et le Qatar différaient la mise en œuvre de la TVA et d’autres réformes structurelles.

Les dirigeants saoudiens craignent que leur propre population ne veuille prendre exemple sur le Qatar et n’exige une augmentation de l’aide sociale ou une baisse des impôts. Si tous les pays du Golfe, y compris le Qatar, acceptaient de prendre les mêmes mesures que les Saoudiens, le risque d’une révolte diminuerait.

Le ministre des Affaires étrangères du Qatar a récemment effectué une visite “secrète” à Riyad et le roi saoudien a invité l’Émir du Qatar à la prochaine réunion des pays du Golfe. Mais le Qatar dégage un excédent budgétaire alors que les Saoudiens subissent un déficit budgétaire de 10%. Le Qatar n’a pas besoin de suivre les politiques économiques des autres pays du Golfe. Elle ne le fera que si les Saoudiens sont prêts à lui offrir quelque chose en échange.

Les trois grands projets du prince héritier ont échoué. A cela s’ajoute le préjudice de réputation causé par l’assassinat, sur ordre de MbS, de Jamal Khashoggi. Le fait que le roi saoudien ait maintenant pris des mesures pour limiter les dégâts est peut-être dû à l’influence du frère cadet de Muhammad bin Salman, Khalid bin Salman. KbS était l’ambassadeur saoudien aux États-Unis. Depuis février 2019, il est vice-ministre de la Défense de l’Arabie saoudite. Il a participé aux pourparlers avec les Houthis. Il est possible que le roi reconnaisse enfin que MbS n’est pas assez bon dans son travail et que Khalid soit un meilleur successeur au trône que son frère Muhammad.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

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