En punissant la Russie, le « monde globaliste » ne fait que se suicider


Par Moon of Alabama – Le 7 mars 2022

Il y a deux jours, nous avions examiné les raisons pour lesquelles la Russie agit comme elle le fait :

La Russie a interprété la remarque de Zelensky à Munich comme une menace de la part de l’Ukraine d’acquérir des armes nucléaires. Elle dispose déjà de l’expertise, des matériaux et des moyens pour le faire.

 

Un gouvernement contrôlé par des fascistes avec des armes nucléaires à la frontière de la Russie ? Il ne s’agit pas du tout de Poutine. Aucun gouvernement russe, quel qu’il soit, ne pourrait jamais tolérer cela.

 

Je pense que cette menace crédible, ainsi que les préparatifs d’artillerie pour une nouvelle guerre sur Donbass, est ce qui a convaincu le gouvernement russe d’intervenir par la force.

L’« Occident » n’a pas compris la nécessité pour la Russie d’agir. Il n’a pas réussi à prendre les engagements nécessaires, et à accepter les demandes raisonnables de la Russie, pour éviter le combat. En conséquence, il va maintenant s’effondrer. La réaction impulsive à « l’opération militaire spéciale » de la Russie en Ukraine conduira, comme l’écrit Alastair Crooke, à la fin du « monde globaliste » :

Biden a donc enfin obtenu son « succès » en politique étrangère : L’Europe s’est isolée de la Russie, de la Chine et du marché asiatique intégré émergent. Elle s’est libérée de sa « dépendance » à l’égard du gaz naturel russe (sans perspective d’alternative immédiate) et s’est ralliée au projet de Biden. Prochainement, l’UE va-t-elle sanctionner la Chine ?

 

Cela va-t-il durer ? Cela semble improbable. L’industrie allemande a une longue histoire de mise en avant de ses propres intérêts mercantiles avant toutes ambitions géopolitiques – avant, même, les intérêts de l’UE. Et en Allemagne, la classe économique est en fait la classe politique et a besoin d’une énergie à prix compétitif.

Alors que le reste du monde montre peu ou pas d’enthousiasme à se joindre aux sanctions contre la Russie (la Chine a exclu toute sanction contre la Russie), l’Europe est en pleine hystérie. Celle-ci ne se calmera pas rapidement. Le nouveau « rideau de fer » érigé à Bruxelles pourrait durer des années.

 

Mais qu’en est-il des conséquences involontaires des « sanctions Blitzkrieg » de samedi dernier : des « inconnues inconnues » selon le célèbre mantra de Rumsfeld 1 ? La mise hors jeu sans précédent d’un élément clé du système globaliste ne s’est pas faite dans un contexte neutre et inerte – elle s’est transformée en une atmosphère de russophobie émotionnellement hyperchargée.

Aujourd’hui, la réalité revient à la charge pour les sous-fifres ineptes qui tentent de nous gouverner.

L’Europe ne pourra pas supporter cela alors que la Russie le pourra :

En résumé, les changements proposés par Mme von der Leyen et l’UE, associés à la hausse des coûts du pétrole brut, pourraient potentiellement faire basculer les marchés mondiaux dans une crise et déclencher une spirale inflationniste. L’inflation créée par la hausse des coûts de l’énergie et les perturbations alimentaires ne sera pas aussi facilement rectifiable par des remèdes monétaires. Si le drame quotidien de la guerre en Ukraine commence à s’estomper et que l’inflation persiste, le coût politique du drame du samedi de Mme von der Leyen risque d’être une récession à l’échelle européenne.

 

« Depuis bien avant l’invasion russe de l’Ukraine, les Européens se débattaient sous le poids de factures énergétiques galopantes », note OilPrice.com. En Allemagne, pour certains, un mois d’énergie coûte le même prix qu’une année entière ; au Royaume-Uni, le gouvernement a augmenté le plafond des prix de factures d’énergie de 54 %, et en Italie, une récente hausse de 40 % du coût de l’énergie domestique pourrait maintenant presque doubler.

 

Le New York Times décrit l’impact sur les entreprises et les industries locales comme rien moins qu’« effrayant », car toutes sortes de petites entreprises en Europe (avant les événements de la semaine dernière) ont été contraintes de cesser leurs activités, les coûts énergétiques dépassant les bénéfices. Les grandes entreprises n’ont pas non plus été épargnées par le choc des prix. « Près des deux tiers des 28 000 entreprises interrogées par l’Association des chambres de commerce et d’industrie allemandes ce mois-ci ont estimé que les prix de l’énergie constituaient l’un de leurs principaux risques commerciaux… Pour celles du secteur industriel, ce chiffre atteignait 85 %. »

Et ce n’est pas seulement l’Europe. Les prix de l’énergie sont basés sur les marchés mondiaux. Tout comme les prix de nombreux autres minéraux et métaux qui sont soudainement devenus rares :

Les États-Unis seront touchés tout autant que l’Europe. En début de journée, le prix du pétrole en Europe a atteint 139 dollars le baril, soit bien plus que le prix de clôture du marché de la semaine dernière. Il va encore augmenter. Le prix de l’essence aux États-Unis atteindra bientôt 6-7-8 dollars le gallon.

La tentative des États-Unis de se précipiter vers un nouvel accord avec l’Iran pour que le pétrole iranien inonde les marchés a échoué. La Russie, ainsi que l’Iran, ont réussi à bloquer cette initiative. Les sanctions imposées à la Russie signifient que l’Iran ne peut pas exporter son uranium enrichi vers la Russie pour le transformer en combustible nucléaire. Pas d’exportation iranienne d’uranium enrichi signifie pas d’accord JCPOA. Le secrétaire d’État Blinken n’a pas compris cela. Le retour à l’accord nucléaire, censé être prêt à être signé, est maintenant en péril.

Certaines raffineries américaines de la côte sud sont conçues pour ne traiter que des variantes de pétrole lourd. Depuis 2019, les États-Unis ont bloqué les importations de pétrole lourd du Venezuela et les ont remplacées par des importations de variantes lourdes de l’Oural, donc de Russie. Ils ont maintenant envoyé quelques fonctionnaires à Caracas pour essayer de faire circuler à nouveau le pétrole vénézuélien. Pour cela, il faudrait bien sûr lever toutes les sanctions à l’encontre du Venezuela et rendre toutes les entreprises confisquées ainsi que l’or appartenant à ce pays. Cela n’arrivera pas de sitôt.

Les voitures allemandes haut de gamme sont construites avec de l’aluminium provenant de Russie. Boeing a besoin de titane russe pour construire ses avions. Ces fabricants vont bientôt commencer à licencier des gens. Tout cela alors que les coûts de la nourriture, du chauffage et de la mobilité vont augmenter de façon spectaculaire. Une profonde récession combinée à une forte inflation va déchirer la cohésion sociale. Je m’attends à une forte colère dans les rues d’Europe et des États-Unis. Il y aura des émeutes et, par conséquent, un fort mouvement politique vers la droite. Les élections de mi-mandat vont détruire les Démocrates russophobes.

Michael Hudson note les immenses dégâts stratégiques que les États-Unis se sont infligés à eux-mêmes :

La récente escalade des sanctions américaines qui empêchent l’Europe, l’Asie et d’autres pays de commercer et d’investir avec la Russie, l’Iran et la Chine a imposé d’énormes manques d’opportunité – le coût des occasions perdues – aux alliés des États-Unis. Et la récente confiscation de l’or et des réserves étrangères du Venezuela, de l’Afghanistan et maintenant de la Russie, ainsi que la saisie ciblée des comptes bancaires de riches étrangers (dans l’espoir de gagner leurs cœurs et leurs esprits, tout en récupérant leurs comptes séquestrés), a mis fin à l’idée que les avoirs en dollars ou ceux dans ses satellites de l’OTAN en livres sterling et en euros sont un refuge d’investissement sûr lorsque les conditions économiques mondiales deviennent chancelantes.

 

Je suis donc quelque peu déçu de voir la vitesse à laquelle ce système financiarisé centré sur les États-Unis s’est dédollarisé en l’espace d’un an ou deux. Le thème de base de mon Super Impérialisme est la façon dont, au cours des cinquante dernières années, l’étalon des bons du Trésor américain a canalisé l’épargne étrangère vers les marchés financiers et les banques américaines, laissant libre cours à la diplomatie du dollar. Je pensais que la dédollarisation serait menée par la Chine et la Russie qui prendraient le contrôle de leurs économies pour éviter le type de polarisation financière qui impose l’austérité aux États-Unis. Mais les autorités américaines les obligent à surmonter les hésitations qu’elles avaient à se dédollariser.

Cela ne se produira pas seulement avec la Chine ou la Russie, mais le monde entier se détournera au cours des prochaines années du système américain dollarisé :

Personne ne pensait que l’ordre mondial de l’après-guerre 1945-2020 céderait aussi rapidement. Un ordre économique international véritablement nouveau est en train d’émerger, même si l’on ne sait pas encore exactement quelle forme il prendra. Mais « pousser l’ours » dans une confrontation États-Unis/OTAN – Russie a dépassé le niveau de masse critique. Il ne s’agit plus seulement de l’Ukraine. Ce n’est que le déclencheur, un catalyseur pour éloigner une grande partie du monde de l’orbite des États-Unis et de l’OTAN.

 

La prochaine épreuve de force pourrait avoir lieu en Europe même, lorsque des politiciens nationalistes, européens et autres, chercheront à s’affranchir de la mainmise excessive des États-Unis qui cherchent à les maintenir sous leur dépendance commerciale et financière. Le prix de l’obéissance continue de l’Europe est d’imposer une inflation des coûts à son industrie tout en abandonnant sa politique électorale démocratique à la subordination de proconsuls américains et de l’OTAN.

 

Ces conséquences ne peuvent pas vraiment être considérées comme « involontaires ».

Toutes les conséquences de la réaction de l’« Occident » à la décision russe étaient prévisibles. C’est de la pure imprudence et de la totale stupidité qui ont permis qu’elles se produisent. L’« Occident » va maintenant être puni pour le mauvais film qu’il a produit.

Dommage que je ne parle pas russe… C’est maintenant l’endroit où il faut être.

Jimmy Salford @1Fubar – 7:06 UTC – Mar 6, 2022

 

La Russie a déjà été privée de CNN, Pornhub et Facebook. Les États-Unis s’emploient maintenant à priver les Russes de MacDonalds et de Coca-Cola. S’ils continuent avec ces sanctions, les Russes seront bientôt parmi les personnes les plus saines, les mieux équilibrées et les mieux informées de la planète.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

Notes

  1. « Il y a des inconnus connus, c’est-à-dire, qu’il y a des choses que nous savons que nous ne savons pas. Mais il y a aussi des inconnues inconnues, des choses que nous ne savons pas que nous savons pas »
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