Par Moon of Alabama – Le 5 mars 2022
Sur Grayzone, Alexander Rubinstein et Max Blumenthal ont publié un article sur le revirement de Zelensky, qui est passé du statut de pacificateur qu’il avait promis d’être avant son élection à celui de soutien actif de la milice fasciste « ultranationaliste ». Ils attribuent ce tournant à une rencontre en entre Zelensky et des combattants de la milice, à l’automne 2019 :
Dans un face-à-face avec des militants du bataillon néonazi Azov qui avaient lancé une campagne de sabotage de l’initiative de paix intitulée « Non à la capitulation », Zelensky s’est heurté à un mur d’obstination.
Les appels au désengagement des lignes de front ayant été fermement rejetés, Zelensky s’est effondré devant la caméra. « Je suis le président de ce pays. J’ai 41 ans. Je ne suis pas un lâche. Je suis venu vous voir et je vous dis : baissez les armes », a imploré Zelensky aux combattants. …
Après que la vidéo de cette orageuse confrontation s’est répandue sur les médias sociaux ukrainiens, Zelensky est devenu la cible d’une réaction furieuse.
Andriy Biletsky, le chef du Bataillon Azov, fièrement fasciste, qui s’était engagé à « mener les races blanches du monde dans une croisade finale … contre les Untermenschen [Sous-hommes, NdT] dirigés par des sémites », a juré d’amener des milliers de combattants à Zolote si Zelensky insistait davantage. Pendant ce temps, un parlementaire du parti de l’ancien président ukrainien Petro Porochenko a ouvertement fantasmé sur le fait que Zelensky serait réduit en miettes par une grenade d’un militant.
Après que Zelensky a obtenu un désengagement mineur, les paramilitaires néonazis ont intensifié leur campagne « Pas de capitulation ». En quelques mois, les combats ont repris à Zolote, déclenchant un nouveau cycle de violations de l’accord de Minsk.
À ce stade, le bataillon Azov a été officiellement incorporé dans l’armée ukrainienne et son aile d’autodéfense, connue sous le nom de Corps national, a été déployée dans tout le pays sous la surveillance du ministère ukrainien de l’Intérieur et aux côtés de la police nationale. En décembre 2021, on verra Zelensky remettre un prix de « Héros de l’Ukraine » à un dirigeant du groupe néonazi Secteur droit lors d’une cérémonie au Parlement ukrainien.
Tout cela est exact. Mais permettez-moi de souligner que des menaces de mort de la part des fascistes à l’encontre de Zelensky avaient déjà été proférées bien plus tôt.
Le 27 mai 2019, une semaine après l’investiture de Zelensky en tant que président, le site d’information internet ukrainien, Obozrevatel, publiait une longue interview de Dmytro Anatoliyovych Yarosh, un cofondateur du groupe Secteur droit qui était alors le commandant de l’Armée des volontaires ukrainiens. Yarosh et d’autres comme lui n’ont obtenu que peu de soutien lorsqu’ils ont essayé de se faire élire au parlement mais, comme ils l’ont démontré pendant le Maidan, ils ont les armes et la volonté de les utiliser.
J’ai obtenu un « accès refusé » lorsque j’ai essayé de récupérer l’interview originale, mais j’en ai trouvé une copie sur archive.org.
Le titre de l’interview donne le ton de son message principal (traduction automatique) :
Yarosh : si Zelensky trahit l’Ukraine, il ne perdra pas son poste, mais sa vie.
Comme l’interview est assez longue, je vais me concentrer sur deux parties. Zelensky avait promis la paix et l’application de l’accord de Minsk. Voici la pensée de Yarosh sur Minsk :
Journaliste : Que voulez-vous dire ?
Yarosh : Les accords de Minsk – et je le dis tout le temps – sont une opportunité de jouer la montre, d’armer les forces armées, de passer aux meilleurs standards mondiaux dans le système de sécurité et de défense nationale. C’est une opportunité de manœuvre. Mais pas plus. L’application des accords de Minsk serait la mort de notre État. Ils ne valent pas une goutte du sang des gars et des filles, des hommes et des femmes qui sont morts dans cette guerre. Pas une goutte.
Nous nous sommes mieux préparés, pendant ce jeu diplomatique, à une éventuelle invasion russe à grande échelle.
J : Pensez-vous qu’il est temps d’abandonner « Minsk » ?
Y : Sans aucun doute.
J : Mais on a dit à Zelensky, immédiatement après les élections, qu’il n’avait pas d’alternatives.
Y : « Ils ont dit à Zelensky » … Zelensky a-t-il dit quoi que ce soit ?
J : Non.
Y : Et c’est effrayant. Le commandant suprême, qui ne dit rien du tout. C’est un peu vide. Et c’est très étrange.
J : Vous attendez ce que le président nouvellement élu va dire ?
Y : Pas seulement. On se bat et on se prépare. Nous attendons ce qu’il va dire et, surtout, comment il va agir. « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez », disent les Écritures. « Fruits » que nous verrons en automne. Zelensky est un politicien inexpérimenté. Et la chambre fait le roi. Et nous voyons déjà qui est là, « dans la chambre », cela commence à apparaître. Cela ne pousse pas à l’optimisme. Parce que Zelensky a promis à ses électeurs (je n’ai pas été un électeur de Zelensky) qu’il allait briser le système oligarchique. Mais dès les premières nominations, on voit que le système oligarchique continue à vivre et à prospérer. Et, de toute évidence, il continuera ainsi. Seuls les récipiendaires ont changé.
Pour les « ultranationalistes » ukrainiens, l’accord de Minsk n’a donc toujours été qu’une feuille de vigne pour avoir le temps de se réarmer. En 2019, cinq ans après avoir signé les accords de Minsk, ils se sentent capables et prêts à attaquer à nouveau et à submerger les rebelles du Donbass.
La remarque de Yarosh sur Zelensky et les oligarques n’est pas fausse. Les flux d’argent aspirés par les Ukrainiens et les donateurs étrangers ont été redirigés sous Zelensky au profit de ses oligarques, au premier rang desquels Igor Kolomoyskyy, qui l’avaient soutenu.
Le journaliste interroge ensuite Yarosh sur sa relation avec Kolomoyskyy qui avait qualifié le conflit avec le Donbass de guerre civile. Yarosh n’a rien contre Kolomoyskyy mais rejette l’affirmation de « guerre civile » :
Yarosh : Peut-être que quelque chose le pousse à faire de telles déclarations. Apparemment, une sorte d’intérêt commercial.
C’est le principal danger de l’oligarchie, en ce qui me concerne. Ils, les oligarques, sont des gens talentueux, car sans talent, il est impossible de construire de telles entreprises et de gagner des milliards. Mais le danger des oligarques est qu’ils sont des compradores. Ils n’en ont rien à faire de la Patrie. Ils ont besoin d’argent. Le profit leur fait fermer les yeux sur tout le reste. Et alors vous pouvez négocier avec la Russie dans n’importe quelles conditions.
Et c’est pourquoi Zelensky est très dangereux pour nous, Ukrainiens. Je le sens.
Journaliste : Quel est ce danger ?
Y : Ses déclarations sur la paix à tout prix sont dangereuses pour nous. Vladimir [Zelenski] ne connaît tout simplement pas le prix de ce monde. Il a peut-être assisté à des concerts près du front. Mais quand mes garçons ont été déchiquetés par les obus russes en petits morceaux et qu’ensuite ces morceaux ont dû être ramassés et envoyés à leurs mères, le prix semble en quelque sorte complètement différent. …
J : Essayez-vous de le rencontrer maintenant ?
Y : Oui. J’ai déjà envoyé quelques messages, mais il reste silencieux. Peut-être qu’ils ne lui sont pas parvenus. C’est un homme très occupé…
Mais même si cette rencontre n’a pas lieu, ce n’est pas grave. Il doit juste comprendre une vérité : les Ukrainiens ne peuvent pas être humiliés. Les Ukrainiens, après sept cents ans d’esclavage colonial, n’ont peut-être pas encore totalement appris comment construire un État. Mais nous avons très bien appris à faire un soulèvement et à abattre tous ces « aigles » qui tentent de parasiter la sueur et le sang des Ukrainiens. Zelensky a dit dans son discours inaugural qu’il était prêt à perdre de l’audimat, de la popularité, sa position… Non, ce qu’il perdra c’est sa vie. Il sera pendu à un arbre sur Khreshchatyk – s’il trahit l’Ukraine et les personnes qui sont mortes pendant la révolution et la guerre.
Khreshchatyk est la rue principale de Kiev. Les menaces ci-dessus et d’autres menaces à l’encontre de Zelensky ont certainement contribué à le faire passer du statut de pacifiste à celui de belliciste et d’ami des diverses formations miliciennes « ultranationalistes ».
Au printemps 2021, Zelensky annonçait que l’Ukraine reprendrait la Crimée par la force. La Russie a alors organisé de grandes manœuvres militaires et Zelensky a fait marche arrière. En novembre 2021, l’Ukraine faisait de nouveau parler d’elle en déclarant qu’elle reprendrait le Donbass par la force. La Russie a de nouveau organisé des manœuvres militaires en guise de démonstration de force, mais cette fois la situation s’est détériorée.
À partir de la mi-février, les observateurs de l’OSCE autour du Donbass notaient dans leurs rapports quotidiens une forte augmentation des violations du cessez-le-feu et des explosions.
La plupart des violations provenaient du côté ukrainien et les explosions d’obus et de missiles tirés se produisaient sur le territoire du Donbass. Le 19 février, au plus fort de l’incendie, Zelensky prononçait un discours à la conférence de Munich sur la sécurité. Il y mentionnait notamment le Mémorandum de Budapest en vertu duquel l’Ukraine avait renoncé aux armes nucléaires qu’elle avait héritées de l’URSS1 :
Depuis 2014, l’Ukraine a tenté à trois reprises de convoquer des consultations avec les États garants du Mémorandum de Budapest. Trois fois sans succès. Aujourd’hui, l’Ukraine va le faire pour la quatrième fois. Moi, en tant que président, je le ferai pour la première fois. Mais l’Ukraine et moi-même le faisons pour la dernière fois. Je lance des consultations dans le cadre du Mémorandum de Budapest. Le ministre des Affaires étrangères a été chargé de les convoquer. Si elles ne se produisent pas ou si leurs résultats ne garantissent pas la sécurité de notre pays, l’Ukraine sera en droit de penser que le Mémorandum de Budapest ne fonctionne pas et que toutes les décisions globales de 1994 sont remises en question.
L’une des décisions prises par l’Ukraine en 1994 était l’adhésion de l’Ukraine au Traité de non-prolifération des armes nucléaires.
La Russie a interprété la remarque de Zelensky à Munich comme une menace, de la part de l’Ukraine, d’acquérir des armes nucléaires. Elle dispose déjà de l’expertise, des matériaux et des moyens pour le faire.
Un gouvernement contrôlé par des fascistes avec des armes nucléaires à la frontière de la Russie ? Il ne s’agit pas seulement de Poutine. Aucun gouvernement russe, quel qu’il soit, ne pourrait jamais tolérer cela.
Je pense que c’est cette menace crédible, ainsi que les préparatifs militaires pour une nouvelle guerre contre le Donbass, qui ont convaincu le gouvernement russe d’intervenir par la force.
Le 22 février, la Russie a reconnu les républiques du Donbass comme étant des États indépendants. Le 24 février, les troupes russes ont franchi les frontières de l’Ukraine.
L’objectif fixé aux militaires russes est de démilitariser l’Ukraine et de la dé-nazifier.
Le premier objectif est facile à comprendre. Les militaires russes vont simplement détruire ou neutraliser toutes les armes lourdes dont dispose l’Ukraine.
Le second objectif nécessite plus d’explications que l’interview de Dmytro Yarosh ci-dessus.
Comme le note Grayzone :
En novembre 2021, l’un des miliciens ultra-nationalistes les plus en vue d’Ukraine, Dmytro Yarosh, a annoncé qu’il avait été nommé conseiller du commandant en chef des forces armées d’Ukraine. Yarosh est un disciple avoué de Bandera, un collaborateur des nazis hitlériens, et a dirigé le groupe nazi Secteur droit, de 2013 à 2015, promettant de mener la « dé-russification » de l’Ukraine.
Les menaces des fascistes rendent impossible pour tout homme politique ukrainien de mettre en œuvre une politique saine qui conduirait à la paix dans le pays.
Les fascistes en Ukraine sont relativement peu nombreux. Mais ils ont les armes et tueront quiconque s’oppose à eux et à leurs objectifs. Ils ont été placés à des postes importants de l’État. (Sans compter que des oligarques comme Kolomoyskyy les paient et les utilisent à leurs propres fins).
Le problème est que de tels groupes idéologiques, une fois fermement établis, ont tendance à se développer. Secteur droit organise des camps d’été « patriotiques » pour les jeunes Ukrainiens et l’État ukrainien les finance. Ils ont du succès et les jeunes Ukrainiens les admirent.
Ce sont ces développements qui font peur à la Russie. Comme l’a écrit Patrick Armstrong au début de l’intervention actuelle :
Ce dont [Poutine] parle, c’est de ce que l’Union soviétique a essayé de faire à partir de 1933 : arrêter Hitler avant qu’il ne commence. Cette fois, la Russie est capable de le faire par elle-même. En d’autres termes, Poutine estime qu’il mène une attaque préventive pour éviter un autre juin 1941. C’est très sérieux et cela indique que les Russes vont continuer jusqu’à ce qu’ils sentent qu’ils peuvent s’arrêter en toute sécurité.
L’armée russe détruira les milices, comme Secteur droit et le bataillon Azov, qui retiennent actuellement en otage les habitants de Marioupol. Elle essaiera de s’emparer de tous leurs chefs, morts ou vifs.
Une fois cette tâche accomplie, l’armée russe quittera l’Ukraine.
Le fait d’être libéré de fascistes puissants permettra aux politiciens ukrainiens de réintroduire des politiques saines.
Tel est le plan.
Mais cela fonctionnera-t-il ?
Ce n’est probablement pas la bonne question. Il faut plutôt se demander dans quelle mesure et pendant combien de temps cela fonctionnera.
Après l’indépendance de l’Ukraine, il a fallu 22 ans aux « ultranationalistes », et l’aide de la CIA, pour arriver au pouvoir. Une fois éliminés, ils pourront se reconstruire, mais il leur faudra du temps. L’Ukraine sera occupée à relancer son économie. Elle aura peu d’argent à dépenser en armes.
Dans trente ans la Russie pourrait assister à une répétition de cette confrontation. Mais 30 ans, c’est très long.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
- L’Ukraine n’a pas pu briser les codes de sécurité de ces armes nucléaires, elle n’a donc en fait rien cédé. ↩
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