J’y suis, j’y reste …


… En Irak, les États-Unis sont à nouveau une force d’occupation et refusent de partir comme on le leur demande


2015-05-21_11h17_05Le 10 janvier 2020 – Moon of Alabama

Le Premier ministre irakien Adel Abdul-Mahdi suit la décision du Parlement irakien de retirer toutes les forces étrangères d’Irak. Mais sa demande de pourparlers avec les États-Unis au sujet du processus de retrait américain a été accueillie par un élégant et tonitruant « Va te faire enc*** » :

Le premier ministre intérimaire irakien a demandé à Washington de commencer à élaborer une feuille de route pour un retrait des troupes américaines, mais le département d'État américain a carrément rejeté cette demande vendredi, disant que les deux parties devraient plutôt discuter de la façon de "reconsidérer" un nouveau partenariat.     

Des milliers de manifestants antigouvernementaux se sont rassemblés dans la capitale et dans le sud de l'Irak, dont beaucoup ont appelé l'Iran et l'Amérique à quitter l'Irak, reflétant la colère et la frustration des deux rivaux - tous deux alliés de Bagdad - qui échangent des coups sur le sol irakien.

La demande du Premier ministre Adel Abdul-Mahdi a souligné sa détermination à faire avancer les choses. Dans un appel téléphonique jeudi soir, il a dit au secrétaire d'État américain Mike Pompeo que les récentes frappes américaines en Irak étaient une violation inacceptable de la souveraineté irakienne et une violation de leurs accords de sécurité, a déclaré son bureau.

Il a demandé à Pompeo "d'envoyer des délégués en Irak pour préparer un mécanisme" qui mettra en œuvre la résolution du Parlement irakien sur le retrait des troupes étrangères, selon le communiqué.

"Le Premier ministre a déclaré que les forces américaines étaient entrées en Irak et que des drones volaient dans son espace aérien sans la permission des autorités irakiennes, ce qui constitue une violation des accords bilatéraux", ajoute la déclaration.

Associated Press se trompe en disant que le mouvement a été « alimenté par l’attaque du drone américain le 3 janvier qui a tué le général iranien Qassem Soleimani ». L’initiative a été déclenchée cinq jours plus tôt lorsque les États-Unis ont tué 31 membres des forces de sécurité irakiennes près de la frontière syrienne, malgré les demandes du premier ministre et du président irakiens de ne pas le faire. La situation a été encore aggravée lorsque les États-Unis ont assassiné Abu Mahdi al-Muhandes, le commandant adjoint des forces de la milice populaire et un héros national en Irak.

Le département d’État a réagi  de façon plutôt agressive à la demande d’Abdul-Mahdi :

L'Amérique est une force du bien au Moyen-Orient. Notre présence militaire en Irak vise à poursuivre la lutte contre État Islamique et, comme l'a dit le secrétaire d'État, nous sommes déterminés à protéger les Américains, les Irakiens et nos partenaires de la coalition. Nous avons été clairs sur le caractère crucial de notre mission contre EI en Irak. À l'heure actuelle, toute délégation envoyée en Irak se consacrerait à discuter de la meilleure façon de s'engager à nouveau dans notre partenariat stratégique - non pas pour discuter du retrait des troupes, mais de notre juste et approprié dispositif de forces au Moyen-Orient. Aujourd'hui, une délégation de l'OTAN se trouve au département d'État pour discuter de l'accroissement du rôle de l'OTAN en Irak, conformément au souhait du président de partager le fardeau de tous nos efforts de défense collective. Il faut cependant qu'il y ait une conversation entre les gouvernements américain et irakien non seulement au sujet de la sécurité, mais aussi au sujet de notre partenariat financier, économique et diplomatique. Nous voulons être ami et partenaire d'un Irak souverain, prospère et stable.

En bref Pompeo a dit : « Nos troupes resteront et vous feriez mieux de faire ce que nous disons. »

Une force étrangère à qui l’on demande de quitter un pays et qui ne le fait pas est une force d’occupation. On se doit de s’y opposer et c’est ainsi que cela se passera.

Le meurtre des 31 forces de sécurité et l’assassinat d’al-Mahandes n’ont toujours pas été vengés. Les PMU feront leur devoir moral et combattront les forces d’occupation étrangères jusqu’à leur départ.

Les manifestants à Bagdad ne pourront pas empêcher cela. Il est intéressant, d’ailleurs, que la chef du bureau du Washington Post à Bagdad pense savoir ce qu’ils exigeront avant même qu’ils n’aient manifesté :

Louisa Loveluck @leloveluck - 9:48 UTC - 10 Jan 2020

Les militants ont appelé à de nouveaux rassemblements sur la place Tahrir de Bagdad aujourd'hui, et la foule devrait se rassembler après les prières de midi. Les manifestants rejettent la décision du Parlement de s'opposer à la présence de troupes américaines, par crainte des répercussions qui pourraient s'ensuivre.

Quelques heures plus tard, Loveluck a dû admettre qu’elle avait, comme d’habitude, tort :

Louisa Loveluck @leloveluck - 11:13 UTC - 10 Jan 2020

"Non à l'Iran, non à l'Amérique" disent des signes et des chants sur la place Tahrir de Bagdad alors que la foule commence à grossir. Les manifestants disent qu'ils en ont assez que leur pays soit le champ de bataille d'autres pays. "Nous méritons de vivre en paix", dit Zahraa, 21 ans. ...

Rejeter un vote parlementaire étroit soutenu par les élites politiques chiites n'est pas la même chose que soutenir ouvertement les États-Unis. Aujourd'hui, les chants sur Tahrir rejettent à la fois les États-Unis et l'Iran.

Les États-Unis devront payer de meilleurs « activistes » irakiens s’ils veulent que ceux-ci exigent ce que Donald Trump souhaite.

Comme l‘a expliqué le Premier ministre irakien (également ici) :

Après mon retour de Chine, Trump m'a appelé et m'a demandé d'annuler la décision. J'ai quand même refusé, et il m'a menacé de manifestations massives qui me renverseraient. En effet, les manifestations ont commencé et puis Trump a appelé, me menaçant d'escalade dans le cas où je ne coopérerais pas et ne ferais pas ce qu'il demandait...

L’Irak négocie à nouveau avec la Russie pour acquérir des systèmes de défense aérienne S-300. Il en aura besoin, car les États-Unis devront partir et partiront. Le seul choix pour ses soldats est de partir horizontalement ou verticalement, morts ou vivants.

Comme le dit Elijah Magnier dans son résumé des événements de la semaine dernière : un nouveau Moyen-Orient « made in Iran » est sur le point de naître :

Le président américain - qui avait promis de mettre fin aux "guerres sans fin" - a tué le commandant irakien Abu Mahdi al-Muhandes et le général de division iranien Qassem Soleimani, croyant qu'il pouvait prendre le contrôle de l'Irak et obtenir un changement de régime en Iran. Sur le point de déclencher une guerre majeure, Trump a perdu l'Iran de façon spectaculaire et est sur le point de perdre l'Irak.

"Les beaux équipements militaires ne gouvernent pas le monde, les gens gouvernent le monde, et les gens veulent que les États-Unis quittent la région", a déclaré le ministre iranien des Affaires étrangères Jawad Zarif. Le président Trump n'a pas beaucoup de gens de son côté au Moyen-Orient, pas même parmi ses alliés, dont les dirigeants ont été insultés à plusieurs reprises. L'Iran n'aurait pas pu rêver d'un meilleur président pour renouveler sa position au niveau national et régional. Tous les alliés de l'Iran jubilent, se tenant derrière la "République islamique" qui a tenu sa promesse de bombarder les États-Unis. Un "nouveau Moyen-Orient" est sur le point de naître ; il ne sera pas "Made in USA" mais "Made in Iran". Espérons que l'ère des bellicistes est terminée. Le temps est venu de le reconnaître et de s'appuyer sur une diplomatie intelligente dans les affaires du monde.

En 2006, la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice célébrait l’attaque d’Israël contre le Liban comme « la naissance d’un nouveau Moyen-Orient ». L’enfant dont elle rêvait n’est jamais né. Israël a perdu cette guerre contre le Hezbollah et l‘Axe de la Résistance gagne depuis lors, tandis que les États-Unis perdent encore et encore. Il est temps pour les États-Unis de mettre fin à cet engagement inutile et de se retirer du Moyen-Orient.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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