Par The Saker – Le 2 décembre 2016 – Source The Saker
Permettez-moi tout d’abord de dire que j’ai le plus grand respect pour F. William Engdahl et que je le considère comme une personne beaucoup plus au fait de la politique américaine que moi. En outre, je tiens également à préciser que je ne vais pas réfuter un seul des arguments sur lesquels Engdahl appuie sa thèse, simplement parce que je crois que ses arguments sont logiques et fondés sur des faits.
J’exhorte vivement tout le monde à lire l’article d’Engdahl intitulé The Dangerous Deception Called The Trump Presidency [La dangereuse tromperie dénommée la présidence Trump] dans le New Eastern Outlook et à examiner attentivement chacun de ses arguments. Bien entendu, Engdahl n’offre que des preuves indirectes, circonstancielles, et seul le temps démontrera vraiment s’il a raison ou tort. Ce que je propose aujourd’hui, c’est d’envisager l’autre possibilité, que malgré toutes les preuves présentées par Engdahl, Trump ne soit pas une arnaque ni un histrion. Vous verrez que cette conclusion n’est pas nécessairement plus optimiste que celle d’Engdahl.
Mon principal argument est beaucoup plus primitif que celui d’Engdahl et même encore plus circonstanciel : je vois des signes clairs d’une lutte réelle qui se déroule à l’intérieur des élites américaines. Et si, en effet, une telle lutte a lieu, alors j’en conclus que Trump n’est pas un histrion qui a été choisi – pour employer les mots d’Engdahl – par les élites US mais que, tout au contraire, son élection est un cauchemar pour ces élites.
Mon argument subsidiaire est que, même si Engdahl a raison et si Trump est un histrion, le stratagème des élites américaines pour sauver l’Empire et se préparer à la guerre échouera.
Prenons les un par un.
La réalité de la lutte intestine des élites américaines
Franchement, je ne crois pas que l’État profond impérial était assez dévoyé et sophistiqué pour ordonner aux grands médias d’organiser une campagne de haine d’un an contre Trump, parce que l’État profond avait calculé que seule une telle diabolisation de celui-là par celui-ci pourrait le rendre populaire et le faire élire. Pourquoi ? Je ne crois pas que la machine de propagande américaine soit aussi flexible. Regardez des cinglées comme Rachel Maddows ou Martha Raddatz et vous pourrez dire qu’elles sont vraiment des vraies cinglées, dans le sens où elles n’ont jamais été engagées pour régurgiter une ligne politique spécifique, mais elles ont été embauchées parce qu’elles sont l’incarnation vivante d’une ligne politique spécifique. Et cela vaut pour 90 % des médias qui éreintent Trump. Ouais, peut-être que certains sont des putes cyniques de la presse, mais la plupart d’entre eux viennent de ce que j’appellerais la «tribu des minorités assorties», qui détestent viscéralement tout ce que Trump représente. Leur haine est sincère, immaculée, elle vient de leur identité même.
De même, quand je regarde les fayots qui marchent à la baguette devant Hillary et que les médias traditionnels ont soigneusement cultivés, je ne peux que conclure que c’est le résultat logique de décennies de lavage de cerveau par la machine de propagande libérale. Cette machine a été construite autour de l’idée de haïr l’Américain ordinaire, les «déplorables» dans le langage de Hillary, et cette machine ne pouvait faire autre chose que de l’adorer 24/7.
Je suis donc convaincu que Donald Trump a été élu malgré, le «Patriarcat de vieillards sans amour comme David Rockefeller ou George Herbert Walker Bush», et non grâce à lui. En outre, quand je vois les efforts désespérés de Soros & Cie pour organiser une sorte de révolution de couleur contre Trump sous le slogan «Pas mon président» et les efforts de Soros & Cie pour obtenir de Jill Stein un nouveau dépouillement, seulement dans les États où Trump a gagné, j’en viens à la conclusion claire que les néocons n’ont pas encore accepté leur défaite et qu’ils essaient toujours d’empêcher Trump d’occuper la Maison Blanche. En revanche, Engdahl écrit :
Nous ne devrions pas imaginer une seconde que le Patriarcat – ces vieillards sans amour, comme David Rockefeller ou George Herbert Walker Bush ou d’autres sans nom – était si subjugué par le génie politique du candidat Trump, sortant de tous les scandales plus puissant qu’avant, qu’ils auraient été surpris, déjoués, et resteraient seulement à gémir et laisser faire. La présidence Trump a été planifiée minutieusement par eux et leurs groupes de réflexion.
Je ne sais pas pour vous, mais je ne pense pas que ce qui se passe aujourd’hui soit le résultat de quelque chose de soigneusement planifié. Je suis tout à fait d’accord pour dire que l’État profond des États-Unis n’a pas seulement «gémi et laissé faire». Mais au lieu de laisser cela se produire, je vois l’État profond américain lutter contre Trump par tous ses moyens ! Je ne pense pas du tout que l’hystérie anti-Trump post-électorale ait été planifiée par Rockefeller ou Bush. Ce que je vois, c’est que les néocons utilisent toutes les munitions qu’ils ont pour tenter de s’opposer à une présidence Trump et de la saboter .
Engdahl apporte également des arguments très forts contre la nomination du général Mike Flynn, non seulement connu pour sa rhétorique anti-islamique assez grossière, mais qui a même co-écrit un livre avec le tristement célèbre néoocon Michael Ledeen. Qu’un homme tel que Flynn n’ait pas pu trouver un autre co-auteur, meilleur que Ledeen, devrait déclencher des alarmes d’alerte rouge, dans l’esprit de tout ceux qui comprennent qui est Ledeen et ce qu’il représente. Et Flynn est certainement l’une des meilleures personnes autour de Trump.
En fait, un regard plus attentif sur les gens autour de Trump révèle beaucoup de néocons, Israéliens et judaïques et tous dans des positions clés. Il y a une odeur certaine de Likoudnik [Likoud, parti conservateur israélien, NdT] chez beaucoup de gens dont Trump s’est entouré. Mais cet argument pourrait aussi être renversé – si effectivement Trump est «entouré de façon sûre» par des plus-sioniste-que-moi-tu-meurs, pourquoi leur grande panique ? Serait-il possible que ces sionistes pur sucre aient des inquiétudes très fortes, quant à ce que Trump pourrait faire en tant que président, une fois qu’il aura pris le contrôle total ?
Pour finir, non seulement Jill Stein a été utilisée pour déclencher un nouveau décompte dans certains États, mais il y a maintenant des rumeurs selon lesquelles certains Grands électeurs subissent des pressions pour ne pas donner leur vote à Trump, comme la loi dit qu’ils le devraient. Que ce soit vrai ou non, ce genre de rumeurs indique clairement que les néocons sont prêts à tout faire pour empêcher Trump d’entrer à la Maison Blanche ou, si cela est impossible, de l’affaiblir au maximum, même si cela met tout le pays en danger.
Pourquoi est-ce que je dis cela ?
Parce que les événements font courir le risque d’une perte de contrôle, qui rend extrêmement dangereuse l’imprudente surenchère dans laquelle les néocons sont actuellement engagés. Bien sûr, personne ne s’attend à ce que le Collège des Grands électeurs refuse de nommer Trump. Mais l’inattendu semble se produire souvent ces jours-ci. Alors, si quelque chose comme ça arrive ? Ou si certains États acceptent la victoire de Trump, mais d’autres pas ? Que faire si le slogan «Pas mon président» devient vraiment viral et infecte les esprits de beaucoup plus de monde que maintenant ? Ou pire encore, que faire si cette rhétorique absolument irresponsable se retrouve dans la violence, avec des manifestants ou Trump lui-même qui seraient abattus ? Nous savons que le même État profond américain, qui a organisé et exécuté le 11 septembre, a également utilisé des tireurs isolés à Vilnius en 1991, à Moscou en 1993 et à Kiev en 2014 pour provoquer une insurrection. On dispose également de rapport disant que ces tireurs d’élite ont été utilisés en Libye, en Égypte et en Syrie. Y a-t-il une raison logique de penser que cette fois-ci l’État profond n’utiliserait pas ces snipers à l’intérieur des États-Unis ?
S’il est possible que la situation actuelle ait été déclenchée par l’État profond américain, il est tout aussi possible que celui-ci perde le contrôle d’une situation qui pourrait maintenant développer sa dynamique propre. Est-ce que l’État profond peut prendre un tel risque, uniquement pour installer Trump l’histrion à la Maison Blanche ?
Le plan
Selon Engdahl, Donald Trump est poussé à la Maison Blanche pour
… préparer l’Amérique à la guerre, une guerre que les banques de Wall Street et le complexe industriel militaire des États-Unis ne sont pas actuellement en position de gagner, ni économiquement, ni industriellement, ni géopolitiquement. Son travail consistera à repositionner les États-Unis pour qu’ils renversent la tendance à la désintégration de l’hégémonie mondiale américaine, comme l’ont dit Dick Cheney et Paul Wolfowitz pour le New American Century, dans un rapport de septembre 2000, Reconstruire les défenses de l’Amérique. Pour faire cela, une stratégie de tromperie, qui affaiblira fatalement le développement des liens profonds entre la Russie et la Chine sera la priorité. C’est déjà commencé. Nous avons un appel téléphonique amical de The Donald à Vladimir le terrible. Les médias russes sont euphoriques au sujet d’une nouvelle ère dans les relations américano-russes après Obama. Puis, soudain, nous entendons le chef de l’OTAN, Stoltenberg, ronronner des paroles apaisantes à la Russie. On laisse planer l’idée que le membre du Congrès de Californie, et connaissance de Poutine, Dana Rohrabacher, est envisagé comme secrétaire d’État. C’est le classique équilibre de la puissance géopolitique, vu par Kissinger : faire semblant de s’allier avec le plus faible de deux ennemis mortels, la Russie, pour isoler le plus fort, la Chine. On peut supposer que Vladimir Poutine n’est pas assez naïf ou stupide pour marcher là-dedans, mais c’est l’intrigue des manipulateurs de Trump.
Si c’est bien le plan, alors je suis entièrement d’accord avec Engdahl – Poutine n’est ni naïf, ni stupide. En fait, une telle possibilité a été discutée à maintes reprises par des experts russes dans diverses conférences et tous sont d’accord pour dire que si la Russie va, sans aucun doute, atténuer ses critiques envers les États-Unis si Trump semble intéressé à collaborer avec la Russie, par contre, il n’y a absolument aucune putain de chance que Moscou, en aucune façon, ne laisse les Américains affaiblir ou affecter, d’une manière ou d’une autre, le partenariat stratégique officieux mais extrêmement fort entre la Russie et la Chine.
En outre, les États-Unis n’ont rien de très intéressant à offrir aux Russes de toute façon. Pourquoi les Russes dépenseraient-ils des capitaux pour un Empire clairement à l’agonie, quand ils ont une alliance extrêmement bénéfique avec une superpuissance croissante ? Est-ce que quelqu’un à Washington DC pense vraiment que deux décennies de russophobie enragée ont soudainement été oubliées, ou que n’importe qui en Russie se fiera jamais à un mot sorti de la bouche d’un politicien américain ?
Depuis deux ans, la Russie s’efforce de préparer la guerre contre les États-Unis et l’OTAN. Maintenant que le danger de la présidence Hillary est presque certainement passé, oui, les Russes se réjouissent qu’une guerre thermonucléaire soit devenue improbable. Mais ils n’oublieront jamais à quel point on a eu chaud, et ils ne vont certainement pas arrêter leurs préparatifs. Tout au plus, ralentiront-ils quelque peu certains programmes, mais c’est tout. Fondamentalement, la Russie continuera son rythme de développement militaire rapide qui, compte tenu de la situation en Ukraine et au Moyen-Orient, est une décision judicieuse, indépendamment de ce que les Américains peuvent faire ou dire.
Je pense que je peux prédire très précisément ce que fera la Russie au cours des quatre prochaines années : Poutine rencontrera Trump et tentera de résoudre avec lui le plus grand nombre possible des questions en suspens entre les États-Unis et la Russie – à supposer que les néocons autour de Trump ne torpillent pas tout avant même qu’il ne commence ! Si Trump veut une solution raisonnable pour la Syrie et l’Ukraine, il l’obtiendra des Russes. Si Trump veut sérieusement forcer la CIA & Cie à cesser d’utiliser al-Qaïda & Cie, c’est-à-dire si Trump est sérieux au sujet de la destruction de Daesh, les Russes l’aideront aussi. Et si Trump veut que les Russes aident à obtenir un accord pour Israël et la Palestine, ou à aider à négocier un accord avec la Corée du Nord, les Russes vont redevenir obligeants.
Mais ce qui ne s’arrêtera pas, c’est le réarmement massif des forces armées russes et les efforts russes pour découpler politiquement l’UE des USA. Ce sont des objectifs stratégiques de la Russie qui ne seront pas altérés par les USA. De plus, même si, au cours des quatre prochaines années, les États-Unis consacrent X milliards de dollars à la défense, la Russie dépensera beaucoup moins, mais gagnera beaucoup plus que les États-Unis. Pourquoi ? Parce que l’ensemble du complexe militaro-industriel américain est corrompu jusqu’à la moelle et les forces armées américaines sont dans un état avancé de décomposition.
Contrairement à ce que pensent certains patriotes fanatiques russes – et non russes –, la Russie est encore beaucoup plus faible que les États-Unis, mais elle rattrape son retard à un rythme que les États-Unis ne peuvent tout simplement pas égaler, Trump ou pas Trump. Ainsi, le rapport de force entre les États-Unis et la Russie sera encore plus favorable à la Russie dans quatre ans qu’il ne l’est maintenant. Si les néocons pensent vraiment qu’ils peuvent inverser ou même affecter significativement cette tendance, ils ont tort. Les États-Unis baissent et la Russie monte, et rien ne peut arrêter ce processus.
L’argument le plus fort en faveur de la thèse d’Engdahl est le suivant : alors que les néocons ont toujours été intelligents et très motivés, ils ne sont pas très brillants et ne peuvent voir que le court terme immédiat. De plus, leur arrogance véritablement infinie les amène toujours à la même solution lorsqu’ils sont confrontés à une crise : doubler la mise. Et si cela ne fonctionne pas, doubler à nouveau. Et encore. Et encore. C’est pourquoi tous leurs grands plans ont d’abord l’air de fonctionner, mais viennent ensuite inévitablement s’écraser, encore et encore.
À l’heure actuelle, il n’y a rien de plus stupide et autodestructeur que les États-Unis pourraient faire, que d’en remettre une louche sur tous leurs échecs et erreurs de calcul. La chose intelligente à faire est ce que Trump promet : changer de cap, «drainer le marais» à Washington, et sauver les États-Unis en abandonnant l’Empire anglo-sioniste. J’espère que c’est ce que le slogan «rendre l’Amérique grande à nouveau» signifie : la rendre grande en renversant l’Empire.
J’ai l’intuition que Trump est, au moins partiellement, sincère. Comment pourrions-nous expliquer la panique actuelle des néocons autrement ? Ils semblent savoir quelque chose qui les fait vraiment flipper. Peut-être que Trump est sérieux, quand il dit qu’il veut tous leur botter le cul pour les renvoyer dans les trous à rats dont ils n’auraient jamais dû sortir ?
Cela étant dit, je vous prie de ne pas conclure que je suis plus optimiste que Engdahl. Je ne le suis pas. C’est juste que ma peur est différente de la sienne. Il pense que Trump est une arnaque, et moi je pense que Trump est peu susceptible d’avoir la bonne combinaison d’intelligence, de volonté, de courage, d’abnégation et de patriotisme pour purger les États-Unis de la pourriture néocon. En termes simples : je ne pense pas que Trump sera le Poutine américain. En outre, je pense que le choix de Pence en tant que vice-président est le signe d’un espoir profondément erroné de Trump, qu’il peut apaiser les néocons.
Enfin, essayons de comprendre la phobie absolument bizarre et, franchement, irrationnelle de Trump envers l’Iran. N’est-ce pas une tentative de jeter aux néocons un os à ronger, dans l’espoir qu’ils le laisseront tranquille s’il leur donne l’Iran ?
Une chose est absolument certaine : si les Américains attaquent l’Iran, tout rapprochement avec la Russie disparaîtra immédiatement. Il n’y a aucun moyen pour Trump d’obtenir un quelconque partenariat avec la Russie en menaçant l’Iran. Encore une autre contradiction dans le plan néocon.
Dieu sait que j’espère me tromper. Et, bien sûr, j’espère qu’Engdahl a tort aussi. Les miracles se produisent et parfois des individus apparemment médiocres ou hésitants finissent par montrer une force et une volonté qui peuvent changer le cours de l’histoire. Mais je pense que Engdahl pose les bonnes questions et donne les bons avertissements. S’il est légitime d’espérer un miracle, il ne faut jamais oublier que les miracles ne se produisent que très rarement et qu’il est beaucoup plus probable qu’ils ne se produiront pas.
The Saker
Article original publié dans Unz Review
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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