Dix points à connaître au sujet de la Guerre froide


Le 4 Mars 2016 – Source Katehon.com


Il y a 60 ans [70, en 1946, NdT], l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill fit un discours au Westminster College de Fulton, dans le Missouri. Depuis quelques temps, les historiens font de cet évènement le début officiel de la Guerre froide. En effet, la confrontation entre les blocs socialiste et capitaliste a déterminé toute l’histoire du monde jusqu’à aujourd’hui.

1. De la géopolitique, et non de l’idéologie

La Guerre froide fut un conflit profondément géopolitique, et non idéologique. D’après le point de vue de l’éminent théoricien politique allemand Carl Schmitt, la confrontation planétaire entre l’Est et l’Ouest était la résultante d’une lutte géopolitique entre la Terre et la Mer. L’Union soviétique était le pôle tellurocratique, le centre de la civilisation terrestre. Les États-Unis étaient le centre de la civilisation maritime. Les géopoliticiens anglo-saxons tombent d’accord avec cette analyse, notamment [l’école de] Sir Halford Mackinder.

L’URSS incorporait les traits typiques d’une civilisation tellurocratique : un contrôle sur de vastes zones terrestres, une société militarisée fermée, une morale héroïque et une subordination de l’économique au politique. Les États-Unis sont un pouvoir typiquement thalassocratique : une société ouverte, une démocratie, un contrôle des océans du monde et un système commercial. En termes géopolitiques, cela veut dire que la confrontation entre Russie et États-Unis aurait eu lieu, même sans l’établissement en Russie de l’idéologie communiste.

2. Un conflit qui n’était pas extraordinaire

Ce type de confrontation n’est pas inhabituel dans l’histoire du monde. Un peu avant, les Empires russe et britannique se disputaient à mort le contrôle du Moyen-Orient, du Caucase, de l’Asie centrale et de l’Afghanistan. Durant l’Antiquité, Rome (le pôle tellurocratique) et Carthage (l’empire de commerce maritime) se battaient pour la suprématie sur la mer Méditerranée.

3. Un conflit planétaire

 

La différence majeure de la Guerre froide par rapport aux autres conflits portait sur sa nature planétaire : toutes les nations du monde y étaient impliquées. On mena une lutte d’influence acharnée auprès des membres du « Mouvement des non-alignés« . Par conséquent, le conflit évolua en un « jeu à somme nulle » : si un camp l’emportait dans une zone, il allait inévitablement perdre dans une autre.

4. Qui a provoqué la guerre ?

L’historiographie en Occident tend à faire de l’Union soviétique l’initiatrice de la Guerre froide. Pourtant, les faits racontent une autre histoire. En 1945, l’État-major de planification (Joint Planning Staff) des Forces armées britanniques avait élaboré deux plans, dans l’optique d’un conflit entre leurs alliés occidentaux et l’Union soviétique. Les deux avaient été commandés par le Premier ministre britannique Winston Churchill et ils reçurent le nom de code « Operation Unthinkable« .

À l’issue de la Conférence de Potsdam, le Général Dwight D. Eisenhower, sous la direction du Président Harry S. Truman, établit le Plan Totality. Celui-ci présumait une attaque nucléaire sur l’Union soviétique à l’aide de 20 ou 30 bombes atomiques. Elle assignait 20 villes pour l’anéantissement à la première frappe : Moscou, Gorki, Kouïbychev, Sverdlovsk, Novossibirsk, Omsk, Saratov, Kazan, Leningrad, Bakou, Tachkent, Tcheliabinsk, Nijni Taguil, Magnitogorsk, Molotov, Tbilisi, Stalinsk, Grozny, Irkoutsk et Yaroslavl. Peu avant, les États-Unis avaient largué des bombes nucléaires sur le Japon pour horrifier leur allié oriental et le soumettre à la domination planétaire américaine.

À cette époque, l’URSS n’avait pas préparé de plan d’attaque contre ses alliés anglo-américains, et tentait de négocier le partage du pouvoir. Le pôle atlantiste rejeta ces accords, essayant à la place de lutter pour la domination mondiale.

5. La lutte des Américains pour l’hégémonie, déclencheur du conflit

À la veille de la Guerre froide, les politologues américains exprimaient la nécessité de lutter pour l’hégémonie mondiale. Des plans visant à former un monde unipolaire étaient évoqués bien avant la confrontation avec les Soviétiques. Le même cercle de mondialistes anglo-américains liés à la Round Table Society a joué un rôle considérable dans le développement du Council of Foreign Relations (CFR) et du Royal Institute on International Affairs (dit « Chatham House« ). Le président du CFR, Isaiah Bowman, appuyait l’idée d’hégémonie américaine, de même que les géostratèges Nicholas Spykman et Robert Strausz-Hupé. Le cas de James Burnham est exemplaire : un ancien trotskyste devenu un ardent défenseur d’un gouvernement mondial et de la création de la CIA. Il appelait ouvertement à un « Empire américain » et peut être considéré comme un prédécesseur des néo-conservateurs.

6. La répartition géopolitique des armes nucléaires

La confrontation géopolitique entre les États-Unis et l’Union soviétique était démontrée clairement dans la répartition des armes nucléaires dans la structure de la triade nucléaire [air, terre, mer, NdT] des deux superpuissances. Les États-Unis, qui contrôlent les océans du monde, avaient la plupart de leurs missiles nucléaires sur des sous-marins. L’Union soviétique, au contraire, les avait sur terre. C’est en Union soviétique que furent créés d’uniques complexes nucléaires sur rail ou sur route, se déplaçant discrètement à travers le vaste territoire de l’URSS. Des projets analogues aux États-Unis ne furent pas mis en service.

7. La perte du pôle géopolitique de l’Europe

La Guerre froide était le produit de l’équilibre des pouvoirs planétaires établi après la Seconde Guerre mondiale. Le résultat principal pour l’Europe fut la perte, pour les puissances européennes, de leur position maîtresse sur la scène internationale. Le destin de l’Europe était décidé par des puissances non européennes : les États-Unis et l’Union soviétique.

Malgré l’Allemagne nazie et ses alliés européens, l’Europe continentale a tenté d’agir en pôle géopolitique indépendant, défiant la thalassocratie anglo-américaine, ainsi que la grande puissance eurasiatique, l’URSS. Cette décision s’avéra suicidaire. Par conséquent, l’Allemagne elle-même et toute l’Europe furent partagées entre États-Unis et Union soviétique.

8. L’entrée en scène du tiers-monde

Paradoxalement, la Guerre froide a augmenté l’importance des pays du tiers-monde dans la politique mondiale. Il est significatif que le terme lui-même tire ses origines de cette période. La chute du poids géopolitique de l’Europe, et la politique de l’URSS et des États-Unis, ont participé à la destruction des empires coloniaux européens. Les deux superpuissances se battaient pour influencer les pays libres, parmi lesquels certains purent tirer avantage en manœuvrant entre les deux pôles. Le mouvement des non-alignés émergea comme l’institution qui manifestait les aspirations géopolitiques de ces pays.

9. Le rôle des structures mondialistes dans la victoire américaine

Le rôle principal, dans la victoire américaine dans la Guerre froide, fut joué par une véritable « cinquième colonne » au sein de l’Union soviétique, qui formait l’idéologie de la Perestroïka.  Son cœur était l’Institut de Recherche sur l’Analyse des Systèmes, dirigé par Djerman Gvichiani, le beau-fils du Premier ministre soviétique Kossyguine. L’Institut de recherche sur l’analyse des systèmes était la branche soviétique du Club de Rome [via l’IIASA, basé à Laxenburg en Autriche, NdT].

Les principaux centres d’analyse et de recherche soviétiques étaient en contact avec leurs collègues étrangers, et se concentraient sur l’idéologie de la « convergence » des deux systèmes, ce qui devait former la base de l’idéologie gorbatchevienne. Cette faction pro-occidentale de la nomenklatura était protégée par le chef du KGB Youri Andropov (qui devint plus tard le Secrétaire général du PCUS), dont le cercle rapproché avait créé les plans pour réformer l’Union soviétique par la voie capitaliste, et négocier avec les États-Unis les futures sphères d’influence dans le monde.

Cette partie de l’élite soviétique avait une compréhension idéologique, et non géopolitique de la confrontation. Et elle eut tort. Les États-Unis ont soutenu ces changements, de façon à ce que que le virage idéologique mène à l’effondrement de l’Union soviétique, en tant que puissant pôle géopolitique.

10. Et après ?

Ainsi que le démontrent les évènements de la dernière décennie, la victoire américaine dans la Guerre froide s’est avérée temporaire. Dès le début des années 2000, les BRICS se sont déclarés à la tête d’un nouvel ordre mondial – mais d’un ordre multipolaire. Le monde unipolaire, selon les mots de Charles Krauthammer (commentateur américain), ne fut qu’un moment unipolaire.

Traduit par Julien, relu par nadine pour le Saker Francophone

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