Par Phil Butler – Le 17 octobre 2018 – Source journal-neo.org
La politique étrangère américaine s’apparente de plus en plus au matraquage médiatique diffusé par la ligue de football américain et les réseaux télévisés avant chaque Super Bowl.
Pour le lecteur qui faisait déjà la grimace à la vue de l’ancien président Barack Obama faisant ses petites danses et se prenant pour une icône sportive, le président en exercice est encore pire. Et, chose peu rassurante pour l’humanité, nombre de mes compatriotes se laissent prendre à cette parodie. Illustration parfaite, l’engouement pour la puissance et les bravades de l’armée américaine.
En découvrant le gros titre de Insider, « Les avions furtifs F-22 font reculer 587 appareils ennemis dès leur première ‘vague d’assaut’ sur la Syrie », je me suis jeté sur les dernières dépêches pour vérifier si la Syrie avait explosé en troisième guerre mondiale. Et là, de m’exclamer à haute voix « Dieu merci », en découvrant que la section Militaire & Défense (comme l’ensemble du magazine) constituent la propriété de la société Insider Inc. et de notre vieil ami Jeff Bezos, homme le plus riche du monde. Vous pouvez remercier votre bonne étoile, nous ne sommes pas en guerre avec la Russie, l’Iran ni la Syrie. En revanche, Bezos et sa société considèrent ces pays comme nos « ennemis ».
C’est arrivé pendant votre sommeil – la troisième guerre mondiale a commencé
Si vous lisez l’article en question, votre cerveau va avoir du mal à assembler les mots que vos yeux lui remonteront. Étonnamment, un autre article d’« infox » de Bezos cite réellement le Pentagone dans une déclaration de guerre ouverte, sous la plume va-t-en-guerre d’Alex Lockie. Oui, on y est, le Pentagone de Trump classifie ouvertement les Russes comme « l’ennemi ». Voici les mots du rapport émis par le service de communication de la défense [« Defense Visual Information Distribution Service » – DVIDS, NdT] :
« Le 94e escadron expéditionnaire de chasseurs a assuré la protection des troupes de la coalition au sol opérant en Syrie, en réalisant des missions aériennes contre-offensives face aux appareils de combat ennemis équipés pour des attaques au sol. L’escadron a également lancé des missions aériennes offensives au cœur du territoire syrien, faisant face à des chasseurs ennemis ainsi qu’à des systèmes de missiles sol-air ennemis, dans le cadre du lancement d’attaques préparées par les États-Unis et la coalition en réponse aux utilisations illégales d’armes chimiques par le régime syrien. »
Avant de revenir sur l’identité de ces gens du DVIDS, je voudrais, si vous me le permettez, souligner l’importance de désigner un ennemi pour notre gouvernement. Voici la définition du dictionnaire de Cambridge :
ennemi - nom commun : une personne qui veut du mal ou combat une autre personne, et essaye de lui porter préjudice ou l'empêche d'agir.
Le terme peut s’appliquer également à « un pays, ou les forces armées d’un pays, en état de guerre avec un autre pays ». Voici qui nous amène à un point critique, qui constitue la raison de mon incrédulité de cette rhétorique en provenance du Pentagone. En déclarant que la Russie, l’Iran et la Syrie sont nos « ennemis », nous venons, dans les faits, de déclarer la guerre à ces trois pays. A contrario, Vladimir Poutine, le président russe, n’a pas encore déclaré les Américains comme « ennemis », et pour le citer directement :
C’est mal de qualifier quiconque d’ennemi ; c’est mal de faire peur aux gens de son propre pays en utilisant cet ennemi, et d’essayer de rallier des appuis par ce biais.
Mais voilà, c’est Poutine et la Russie que l’on voit dépeints comme « agresseurs », presque à chaque fois qu’un événement géopolitique est commenté.
Oublions pour l’instant que les États-Unis et leurs alliés du moyen-orient ont créé État islamique au départ. Essayons également d’oublier temporairement que les avions de cette coalition protégeaient ces « groupes modérés » déployés au sol pour mettre à bas Assad en Syrie. Et pour bien faire nôtre le point de vue du Pentagone sur la question, il nous faut également ignorer le fait que c’est l’armée de Vladimir Poutine qui a réduit à l’état de cendres État islamique, pas la coalition emmenée par les États-Unis. Pardonnez mes sarcasmes, mais la Russie s’est « alliée » à l’Amérique pour détruire les coupeurs de têtes de EI – elle ne s’est PAS positionnée comme ennemie.
Le combat des milliardaires pour s’approprier la Terre
Maintenant, revenons sur ce groupe appelé DVIDS, qui diffuse un militarisme éhonté sous couvert de pensée « stratégique », d’étude et d’information. Faites l’exercice par vous même, allez sur leur site web, et tapez « Putin » [« Poutine » orthographié en anglais, NdT] dans leur barre de recherche. Là, vous allez voir par vous-même le « vrai » processus politique que veut l’État profond américain. Regardez donc la session de Michael Guillot, rédacteur en chef du journal trimestriel d’études stratégiques [Strategic Studies Quarterly Journal, NdT], et la « mission » va devenir terriblement limpide. La version courte : les relations USA-Russie ne sont jamais sorties de la cuvette des WC. La vidéo que j’ai mise en lien montre l’interview du Docteur Mark J. Conversino par Guillot ; le boulot du premier est – accrochez-vous – de « créer des érudits-combattants » pour l’armée de l’air des États-Unis. La lecture de son CV de l’armée de l’air me donne des frissons. Un mécanicien surveillant dont le point culminant de la carrière est d’entraîner des « érudits-combattants » qui font exploser des enfants en morceaux tout en récitant leur devoir d’histoire. Mon Dieu.
Il n’est pas besoin de regarder beaucoup de ces vidéos pour comprendre l’état catastrophique dans lequel l’appareil militaro-industriel américain est entré. Air University constitue un exemple parmi une myriade d’institutions conçues avec un objectif en tête, mettre de l’huile dans les rouages idéologiques de la machine de guerre de l’Amérique. Imaginez des centaines de psychopathes de ce genre élaborant des directives, des règlements, des stratégies, et faisant du pied sous la table à Lockheed, Boeing, Raytheon et les autres.
DVIDS opère DefenseTV, une chaîne de télévision militaire qui émet (accrochez-vous) sur FireTV, Chromecast ou Roku. La chaîne diffuse son militarisme en 24/7, mais le lecteur devrait porter une attention spéciale à FireTV et Chromecast. Ni Amazon, ni [les médias de] Bezos, ni Google ne sont utilisés ici, tout simplement parce qu’ils sont suivis par le grand public. Bezos, dont le Washington Post crache la pire propagande américaine, est invité comme orateur vedette chaque fois que l’association de l’armée de l’air [Air Force Association, AFA – NdT] tient une conférence. Tenez, permettez-moi de citer l’introduction d’un article de Business Insider sur Bezos, Google et le Pentagone qui mettent en commun leurs efforts :
Jeff Bezos, PDG d’Amazon, est le dernier membre à avoir rejoint le Conseil d’innovation à la défense, une initiative du Pentagone dirigée par l’ancien PDG de Google Eric Schmidt pour apporter les plus brillants esprits de la Silicon Valley à l’armée américaine.
Ce qui suit ne va pas vous plaire
Alors que je considérais les machinations des politiciens américains meurtriers de ces dernières années, cette déclaration du président James Madison, l’un des pères fondateurs de l’Amérique, m’est revenue à l’esprit :
Si la tyrannie et l’oppression gagnent notre pays, ce sera sous couvert de combat contre un ennemi étranger.
C’est là le cœur du problème et des dangers qui nous guettent. Comme je l’ai mentionné plus haut, notre Docteur Conversino, sous-traitant en pièces mécaniques devenu « formateur d’érudits-combattants », constitue l’exemple parfait de notre industrie militaire, qui fut un jour nécessaire, mais qui est aujourd’hui complètement dévoyée. Dans son interview que j’ai mise en lien ci-avant, il fait d’emblée la différence entre les objectifs de l’administration de Poutine et ce qu’il appelle les intérêts nationaux « du peuple ». Prêtez l’oreille deux minutes à ses logorrhées et vous comprendrez comment nous pouvons être tombés à ce niveau de crise. C’est ce commercial de bas étage qui « apprend » à de jeunes esprits, dont certains constituent le meilleur de ce l’Amérique a à offrir, que le gouvernement Poutine est un « régime ». Je vais le citer pour ceux qui n’auraient pas le temps d’aller l’écouter directement. Alors qu’on lui demande son opinion sur la question des intérêts nationaux russes, Conversino répond :
Je dirais pour commencer qu’il y a une différence entre ce que le peuple russe peut voir comme ses intérêts nationaux, et ce que le régime voit comme intérêts nationaux.
Il poursuit en affirmant que les intérêts de Poutine ne s’apparentent qu’à sa survie personnelle. Mais ce type est totalement crétin, excusez-moi du peu. Pour moi, et sans doute pour vous aussi, c’est drôle et triste en même temps de voir à quel point ces lunatiques ne détectent même pas leur propre hypocrisie. Ce « professeur » se met à comparer les gouvernements de Corée du nord et d’Iran à celui de la Russie. On dirait qu’il reçoit une prime pour enfoncer cette idée dans les crânes des élèves officiers de l’armée de l’air, et de diffuser ces idées jusque sur le réseau étendu du personnel des armées. À l’époque où j’étais moi-même dans la marine de guerre, ce bouffon aurait été le candidat idéal à subir une « blanket party » [punition physique violente infligée par un groupe, souvent militaire, à l’un de ses membres, souvent alors qu’il est endormi dans son lit – on en a un exemple dans le film Full Metal Jacket – NdT]. Mais ce type n’est qu’un symptôme, comme la mauvaise toux d’un organisme.
Si l’on prend l’image de plus loin, les médias comme Insider et d’autres propriétés de Bezos constituent les organes de propagande les plus meurtriers que l’humanité ait jamais vue. Cette multitude de chaînes d’informations, amplifiées par le paysage numérique, mais contrôlées par un très petit groupe, menace d’usurper toute liberté. À quoi bon la liberté, si ce n’est le droit de « comprendre » et d’agir de son propre chef ? Bezos, les mecs de Google et les entités détenues par le gouvernement ou les grosses sociétés pratiquent le lavage de cerveau à une échelle absolument inédite. Il n’est pas exagéré de dire que ces élites ont totalement pris le contrôle de notre gouvernement. Voici le système vers lequel nous allons : ceux dont on ne parvient pas à laver le cerveau sont minimisés ou achetés, et tous ceux qui restent sont des terroristes périphériques ou des complices.
Le problème pour Bezos, les technocrates, les grands financiers et le reste de cet « ordre » réside dans la médiocrité qu’ils sont contraints d’employer. La diffusion de ces histoires sur DefenseTV, avec les imbéciles de l’acabit de ce professeur, on finit par voir à travers. Les « intérêts » américains montrent le visage de ce qu’ils sont vraiment : l’hégémonie, et on reproche à la Russie de vouloir un monde multipolaire au lieu du monde de Bezos et compagnie. Il m’est impossible, et je suis certain que c’est également le cas d’un certain nombre d’élèves officiers de l’armée de l’air, de suivre un raisonnement marquant les intérêts d’une nation, quelle qu’elle soit, comme « mauvais ». La Russie est mauvaise parce que Poutine ne veut pas d’OTAN en Ukraine. La Russie est mauvaise parce que Poutine et d’autres dirigeants refusent de s’incliner et de lécher le cul magnifique de quelque autocrate américain. À en croire le Pentagone de Trump, la Russie est mauvaise parce qu’il nous faut un bon gros ennemi pour faire peur à notre public. Faute de quoi, le Pentagone pourrait ne pas survivre ! Oh, pardon. La survie, c’est seulement l’affaire de Vladimir Poutine, j’aurais du mieux écouter les enseignements du docteur Conversino.
Pourquoi j’ai dit que ça ne vous plairait pas ? Ah oui, c’est la suite, quand les élites auront pris le contrôle total. Pensez-vous que Jeff Bezos ou Bill Gates soient les grands bergers ? Une fois que le pouvoir de l’ouest aura pris le contrôle complètement, vous pensez qu’il vont se contenter, comme votre pasteur le dimanche, de vous supplier gentiment de faire don de tous vos bien pour devenir libre ? Je ne le pense pas. Vous seriez peut-être bien de prendre Vladimir Poutine comme prophète, lui au moins ne se fait pas l’avocat d’un nouveau monde dirigé par la Russie.
Phil Butler est enquêteur et analyste politique, politologue et expert de l’Europe de l’est ; il est également l’auteur du récent best-seller Les prétoriens de Poutine et d’autres livres. Il écrit en exclusivité pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par Vincent, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophne