Le 9 février 2017 – Source Moon of Alabama
Dix mille et bientôt des centaines de milliers de Yéménites sont en train de mourir à cause du fanatisme, de la cupidité et des luttes bureaucratiques internes de puissances étrangères. Les Saoudiens wahhabites se battent au Yémen contre les chiites iraniens qui n’y sont pas. Au vu et au su de la CIA, ils nourrissent les forces locales d’al-Qaïda pour qu’elles leur obéissent. Les Émirats arabes unis veulent avoir de nouveaux ports au Yémen, ce qui contrarie les rêves saoudiens de pipelines. Le Pentagone se bat avec la CIA pour les budgets des opérations spéciales. Les conflits locaux mineurs entre les diverses tribus se transforment en guerre du fait de l’ingérence et du financement étrangers. Les campagnes de bombardement ont remplacé la médiation tribale.
La branche exécutive des Nations Unies est sous la pression de la coalition américano-saoudienne. Il ne lui est pas permis de faire un rapport sur les conséquences réelles de la guerre dévastatrice contre le Yémen. Cela donne lieu à des déclarations assez comiques.
Le 31 août 2016, la coordinatrice des Nations Unies pour le Yémen, Jamie McGoldrick, a déclaré que 10 000 personnes étaient mortes à cause de la guerre contre le Yémen :
Jamie McGoldrick, la coordinatrice humanitaire de l’ONU qui se trouvait à Sanaa, la capitale, a déclaré que ce nouveau chiffre était basé sur des informations officielles provenant d’installations médicales au Yémen.
« Le nombre pourrait encore augmenter », a dit McGoldrick, parce que certaines régions ne disposent pas d’installations médicales, et les gens sont souvent enterrés sans être officiellement répertoriés.
« Nous savons que les chiffres sont beaucoup plus élevés, mais nous ne pouvons pas vous dire de combien », a déclaré McGoldrick aux journalistes.
Le 17 janvier 2017, la coordonnatrice des Nations Unies pour le Yémen, Jamie McGoldrick a déclaré que 10 000 personnes étaient mortes à cause de la guerre contre le Yémen :
« Selon les estimations, plus de 10 000 personnes ont été tuées dans ce conflit et près de 40 000 personnes ont été blessées », a déclaré lundi la coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le Yémen, Jamie McGoldrick, à des journalistes dans la capitale Sanaa.
Elle n’a pas fourni de décompte entre les civils et les combattants.
Le chiffre des Nations Unies n’a pas changé entre août 2016 et janvier 2017. Malgré les bombardements intenses et la famine dévastatrice, personne ne semble être mort pendant cette période. Ces chiffres n’ont bien sûr rien à voir avec la réalité. Le nombre réel de morts causés par la guerre au Yémen est au moins dix fois plus élevé. Les chiffres que l’envoyée des Nations Unies annonce sont politiques. Elle n’est pas autorisée à révéler les véritables chiffres.
Au milieu de l’année 2016, les Saoudiens ont fait pression sur le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, pour qu’il les retire d’une liste de pays qui maltraitent les enfants :
Les alliés musulmans de l’Arabie saoudite ont fait pression sur le chef de l’ONU, Ban Ki-moon, à propos d’une liste noire qui incluait la coalition dirigée par l’Arabie saoudite pour avoir tué des enfants au Yémen, selon des sources diplomatiques.
Un secrétaire général de l’ONU un tant soit peu courageux n’aurait pas cédé mais aurait au contraire fait honte publiquement aux Saoudiens et à leurs alliés chaque fois que possible. Mais pas Ban Ki-moon :
Le secrétaire général Ban Ki-moon a annoncé jeudi qu’il retirait temporairement la coalition saoudienne contre le Yémen d’une liste noire des États-Unis pour violation des droits de l’enfant, parce que les alliés des Saoudiens avaient menacé de cesser de financer de nombreux programmes des États-Unis.
Ban a déclaré qu’il devait prendre en compte « la réelle possibilité » que des millions d’autres enfants dans les territoires palestiniens, au Sud-Soudan, en Syrie, au Yémen et dans bien d’autres endroits « souffrent gravement » si les programmes des Nations Unies perdaient leur financement.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont activement soutenu l’Arabie saoudite pour qu’elle ait gain de cause à l’ONU et au Conseil de sécurité de l’ONU.
Mais le fait que l’ONU ait cédé au chantage n’a sauvé aucun enfant. L’UNICEF, qui n’est pas trop dépendante du Secrétaire général, donne des chiffres beaucoup plus élevés (quoique incomplets) qui se rapprochent de la vérité :
Le Yémen a reculé de 10 ans en termes de santé publique à cause de la guerre et de la crise économique. On estime à 63 000 le nombre d’enfants qui sont morts l’année dernière de causes évitables souvent liées à la malnutrition, a annoncé mardi le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
[…]
« Tout ce qui a été gagné dans le domaine de la santé ces dix dernières années a été perdu » a-t-elle dit ; sur 1000 naissances vivantes 63 enfants meurent maintenant avant leur cinquième année, contre 53 enfants en 2014.
[…]
Releno a ensuite déclaré lors d’un point presse que le taux de malnutrition aiguë avait « triplé » entre 2014 et 2016 pour atteindre 460 000 enfants.
« Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a augmenté au point que nous estimons qu’en 2016, au moins 10 000 enfants de plus sont morts de maladies évitables », a-t-elle déclaré.
En termes de statistiques médicales, il s’agit d’une « mortalité excessive ». Ces décès n’auraient pas eu lieu sans la guerre menée contre le pays. Et il est peu probable que ces chiffres de l’UNICEF soient exhaustifs.
Le nord-ouest montagneux du Yémen est la zone centrale de résidence de la population chiite Zaidi à partir de laquelle la milice houthi lutte contre les Saoudiens et leurs forces par procuration. Elle est désormais largement coupée des canaux de communication et d’approvisionnement. Les hôpitaux et les écoles de la région ont été fortement bombardés et la principale ville du nord, Sadah, a été complètement détruite par les attaques aériennes saoudiennes. Les Zaidi représentent environ 45 % des 24 millions d’habitants du Yémen et les califes Zaidi ont gouverné le pays pendant plus de 1000 ans, jusqu’en 1962. Pour les fanatiques wahhabites saoudiens, les Zaidi ne sont pas de vrais musulmans et ils méritent de mourir.
Beaucoup d’habitants du nord-ouest ont fui vers la capitale du Yémen, Sanaa. Mais même là, la nourriture manque. Les enfants affamés parcourent les rues en mendiant de la nourriture.
Les Yéménites, et en particulier les Zaidi, ont toujours été indépendants d’esprit. Ils ne céderont pas à la pression saoudienne. Les Saoudiens ne peuvent pas les vaincre. Avec leurs alliés américains et britanniques, ils ont donc décidé de recourir au génocide. Ils coupent l’accès au pays, qui importe habituellement jusqu’à 90 % de ses besoins alimentaires basiques. Les navires saoudiens patrouillent le long de la côte et les frontières terrestres sont pour la plupart sous contrôle saoudien. Seuls les passeurs et les quelques convois officiels de l’ONU apportent un certain soulagement. Mais cela est évidemment loin d’être suffisant. Les dix mille « décès en excès » sont la conséquence directe du blocus américano-saoudien.
Outre la guerre de religion contre les Zaidi, il y a un conflit de nature géopolitique au Yémen. Les Saoudiens accusent les Zaidi d’être des forces de procuration de l’Iran. Mais ils n’en n’ont aucune preuve. On n’a pas vu la moindre arme iranienne ni le plus petit conseiller iranien au Yémen. L’Iran avait averti les Houthi de ne pas tenter d’élargir leur zone d’influence. Les contacts entre les Houthi et l’Iran sont actuellement peu nombreux et superficiels. La marine des États-Unis a attrapé quelques contrebandiers qui allaient peut-être d’Iran en Somalie. Elle prétend que les quelques vieilles armes qu’ils transportaient étaient destinées au Yémen qui déborde déjà d’armes. Aucune preuve n’a été fournie à l’appui de cette affirmation. Le vrai combat géopolitique a lieu au sein de la coalition américano-saoudienne. Les Émirats arabes unis font partie de la coalition. Ils ont fourni des forces et engagé des mercenaires pour combattre les Houthi au Yémen. Mais ils s’intéressent principalement aux ports méridionaux d’Aden (conteneurs et cargaison générale) et de Mukalla (pétrole et gaz) et soutiennent un mouvement indépendantiste du sud. La société de gestion portuaire des EAU, DP World, a vu ses concessions exclusives pour les ports annulées lorsque les Houthi ont expulsé l’ancien gouvernement. Les Houthi ont d’abord pris le contrôle des ports, et ensuite al-Qaida. Les EAU occupent maintenant les villes portuaires avec l’aide de mercenaires sud-yéménites et gèrent et contrôlent les ports à nouveau.
Les Saoudiens sont aussi intéressés par ces ports. Ils ont des projets de pipelines depuis leurs principaux champs pétroliers du nord vers Mukalla. Les pipelines permettraient aux exportations saoudiennes de pétrole de contourner la route maritime qui passe par le sensible détroit d’Ormuz. Mais pour cela, ils ont besoin d’un port sur la côte yéménite.
Les Saoudiens ont soutenu et se sont alliés avec des groupes salafistes radicaux au Yémen. L’un d’entre eux porte le nom d’al-Qaïda, mais il n’est pas aussi proche de l’organisation mondiale d’al-Qaïda qu’il en a l’air. Les groupes al-Qaïda soutenus par les Saoudiens, initialement engagés pour combattre les Houthi, ont « libéré » les ports du sud. On leur a ordonné de partir lorsque des forces appuyées par les EAU sont arrivées mais ils attaquent de temps en temps Aden qui est occupé par les EAU et, selon des sources yéménites, ils attaquent également Mukalla sous le nom d’ISIS ou d’État islamique.
Ce conflit ténébreux revient sur le devant de la scène parce que les forces spéciales des EAU ont pris part à un récent raid américain sur un présumé camp al-Qaïda au Yémen. Il a été confirmé que 25 civils, dont au moins 9 enfants, avaient été tués dans le raid. La principale cible des États-Unis, une soi-disant grosse légume d’al-Qaida, s’est échappée. Le gouvernement par procuration des Saoudiens au Yémen a protesté contre le raid. Il a interdit les opérations terrestres américaines dans le pays (qui ont recommencé par la suite). Son ambassadeur a expliqué qu’al-Qaïda contribue à la lutte contre les Houthi et n’est pas un ennemi prioritaire. Il a répété à plusieurs reprises que les « plus hauts niveaux » du gouvernement américain en avaient été informés. Le raid au Yémen a été effectué par le Pentagone et non par la CIA. Les forces spéciales américaines étaient accompagnées par les forces des EAU. Après le raid, al-Qaïda au Yémen a repris trois villes du sud et menace à nouveau les villes portuaires contrôlées par les Émirats arabes unis.
Mes récents échanges avec des sources yéménites me permettent d’en déduire ce qui suit. Dans la guerre contre le Yémen, le Pentagone est principalement allié aux Émirats arabes unis et soutient ses plans pour le sud du Yémen. La CIA est principalement alliée aux Saoudiens, appuie leurs plans et approuve leur alliance avec al-Qaïda. La cible principale du raid militaire américain a été prévenue par les Saoudiens et s’est échappée. La CIA a fourni les informations nécessaires.
Une opposition similaire entre la CIA qui soutient les djihadistes comme al-Qaïda, et le Pentagone qui doit les combattre s’est produite en Syrie. La CIA a fourni des armes, payées par les Saoudiens, à divers groupes islamistes militants dont le Pentagone sait qu’il aura ensuite à les combattre. Le Pentagone a tenté de saboter ces opérations de la CIA.
C’est un conflit entre le Titre 10 du Budget des États-Unis (le Pentagone) et le Titre 50 du Budget des États-Unis (les Services de renseignement / CIA) qui dure depuis des années. Les responsabilités et les pouvoirs que recouvrent ces titres font l’objet d’éternelles discussions. La CIA est-elle à la tête des opérations spéciales ou est-ce le Pentagone ? Qui pourra se glorifier des victoires et qui sera blâmé pour les pertes ?
Les enfants yéménites qui meurent de faim sont les malheureuses victimes de ces luttes grotesques. Les luttes de pouvoir de la bureaucratie étasunienne et les insupportables querelles des cheiks arabes à propos des routes de transport dans le Golfe décident de leur sort.
Hier, les rédacteurs du New York Times, un fois de plus shootés à l’idéologie des puissants, ont révélé au monde entier l’ampleur de leur aveuglement :
Au moins, c’est le désir de promouvoir la liberté et la démocratie qui a conduit les présidents américains à prendre des mesures militaires…
Ce mensonge sera sûrement d’un grand réconfort pour les parents des enfants tués dans le raid des forces spéciales au Yémen planifié et ordonné par deux présidents américains. Il nourrira certainement les millions d’enfants affamés et les dizaines de milliers qui meurent au Yémen à cause du manque de nourriture. La liberté et la démocratie seront appréciées à leur juste valeur par ceux qui meurent sous les bombes américaines larguées par des avions américains conduits par des pilotes saoudiens formés aux États-Unis avec l’aide des services de renseignements des États-Unis. La nouvelle administration des États-Unis prévoit de doubler ce soutien.
Comme c’est souvent le cas dans de tels conflits, les habitants ne sont que des pions dans des parties jouées par des pays étrangers. Si les puissances étrangères n’intervenaient pas, les conflits locaux seraient résolus en quelques semaines et les pays pourraient se rétablir. Ce serait, bien sûr, la meilleure solution pour tout le monde. À la fin de la guerre de 30 ans en Europe, le principe de non-ingérence a été inscrit dans le droit international. Mais cette sagesse, fruit de tant de sang versé et de désolation, a été perdue. Comment la retrouver ?
Traduction : Marie Staels
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