Par Andrew Korybko − Le 13 février 2023
Si on lit entre les lignes la dernière interview en date du président Andrzej Duda, on comprend clairement qu’il a par inadvertance établi les trois éléments « politiquement incorrects » qui suivent : 1) La Pologne a exploité le conflit ukrainien pour étendre la « sphère d’influence » qu’elle envisage pour elle ; 2) une autre Révolution de Couleur pourrait être en préparation au Belarusse ; et 3) La Russie pourrait finir par gagner cette guerre par procuration si Kiev décide de céder des territoires dans le cadre d’un compromis dont la France serait (partiellement ?) médiatrice.
Andrzej Duda, le président polonais, a récemment accordé une interview au journal français Le Figaro, qui en surface semble ne faire que les louanges de la personne de Zelensky et de l’Ukraine en général, tout en souillant la Russie, mais qui de fait contient des éléments intrigants si on prend la peine de lire entre les lignes. La version intégrale de l’interview a été publiée en langues polonaise sur le site web officiel de Duda, que chacun pourra consulter et comprendre ici en utilisant Google Translate. Voici ce que le président polonais a accidentellement laissé échapper durant son interview :
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Le conflit ukrainien a contribué à améliorer les liens bilatéraux compliqués avec Kiev au niveau local
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Duda a salué l’amélioration des relations bilatérales au niveau local, comme cela a été incarné par la cérémonie tenue en janvier au cimetière Lychakov de Lviv, commémorant les combattants pour l’indépendance de la Pologne, mais il a également laissé entendre que cela résultait du conflit récent, et a reconnu le niveau de difficulté de leur passé mutuel jusqu’à présent.
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- Varsovie ne va pas faire de commentaire sur la renaissance de facto du Commonwealth polono-lituanien
Le président polonais a manifestement évité de répondre à la question posée par son interlocutrice au sujet de la renaissance de facto du Commonwealth polono-lituanien, au travers de l’Initiative des Trois Mers (3SI) et au sujet de l’amélioration des liens entre Varsovie et les États baltes et l’Ukraine, ce qui est très douteux de sa part.
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- Duda a exprimé une DoublePensée au sujet de l’article 5 de l’OTAN et des supposées menaces russes envers la Pologne
Dans un exemple de doublepensée digne d’un manuel scolaire, Duda a dédoublé sa pensée sur l’inviolabilité de l’engagement de défense mutuelle stipulé par l’article 5 de l’OTAN, tout en se faisant alarmiste au sujet d’une soi-disant menace russe envers le Corridor de Sulwaki, qu’il exploite pour étendre l’influence polonaise sur les États baltes.
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- La Pologne a essayé d’exploiter son rôle dans le conflit ukrainien pour soutirer des réparations à l’Allemagne
Duda n’en a pas dit autant dans sa réponse quant on lui a demandé pourquoi il avait choisi l’an dernier, plutôt que tout autre moment, pour raviver la querelle avec l’Allemagne sur les réparations de la seconde guerre mondiale, mais il a vraisemblablement laissé entendre, au vu du contexte de son interview, qu’il pensait que son rôle dans le conflit ukrainien allait servir cette cause.
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- Duda a planté un couteau dans le dos de Morawiecki au sujet de sa condamnation des discussions de Macron avec Poutine
Duda a planté un couteau dans le dos de Mateusz Morawiecki, son premier ministre, en défendant les discussions entre Macron et Poutine comme faisant suite à leurs visions différentes de la Russie, suscitées par leurs expériences différentes, ce qui contredit la condamnation qu’il avait exprimée plus tôt à ce sujet, en les comparant avec discuter avec Hitler.
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- La Pologne s’est transformée en vassal anti-russe le plus central des États-Unis
En intensifiant les dépenses de défense au double du niveau attendu des États membres de l’OTAN à 4% du PIB au lieu de 2%, et en accueillant presque 10000 soldats, la Pologne s’est transformée en vassal anti-russe le plus central des États-Unis, ce qui implique des attentes sur le fait que Washington va soutenir l’hégémonie régionale que la Pologne désire établir.
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- Duda n’a pas écarté l’idée que Kiev puisse un jour pratiquer des concessions territoriales à la Russie
Plutôt qu’écarter le scénario selon lequel Kiev réaliserait un jour des concessions territoriales à la Russie, comme le soutiennent certains Républicains [aux États-Unis], Duda a affirmé que seuls les Ukrainiens peuvent réaliser de telles décisions, ce qui suggère que la Pologne n’est plus opposée à ce débouché par principe.
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- La Pologne soutient une nouvelle campagne de changement de régime par Révolution de Couleur contre le Belaruss
Tout en écartant les chances d’une campagne de changement de régime à la « Solidarité » éclatant en Russie, Duda s’est exclamé que « c’est possible au Belarusse ! », ce qui accorde du crédit aux doutes déjà existants sur le fait que la Pologne a orchestré les opérations de ce type précédentes tout en laissant entendre qu’une nouvelle campagne de changement de régime pouvait être en cours de préparation.
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- L’opération spéciale russe pourrait déboucher sur une réussite
Avant que le « récit officiel » sur le conflit ait changé de manière décisive le mois dernier, personne n’aurait pu penser que le président polonais allait prédire que l’opération spéciale russe pourrait finir par déboucher sur une réussite, même hypothétique uniquement dans le cas où Kiev ne recevrait pas davantage d’armes sur le champ.
Si on lit entre les lignes la dernière interview en date du président Andrzej Duda, on comprend clairement qu’il a par inadvertance établi les trois éléments « politiquement incorrects » qui suivent : 1) La Pologne a exploité le conflit ukrainien pour étendre la « sphère d’influence » qu’elle envisage ; 2) une autre Révolution de Couleur pourrait être en préparation au Belarusse ; et 3) La Russie pourrait finir par gagner cette guerre par procuration si Kiev décide de céder des territoires dans le cadre d’un compromis dont la France serait (partiellement ?) médiatrice. L’ensemble de ces éléments devrait donner aux observateurs du grain à moudre au cours des semaines à venir.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone