Bye-Bye Europe… et après ?

A British flag which was washed away by heavy rains the day before lies on the street in London, Britain, June 24, 2016 after Britain voted to leave the European Union in the EU BREXIT referendum.

© REUTERS/ Reinhard Krause


Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 24 juin 2016 – Source sputniknews

Donc, ce qui a débuté avec un pari de David Cameron pour divertir le mécontentement britannique à domicile, et disposer d’un levier permettant de négocier quelques faveurs à Bruxelles, s’est métastasé en un étonnant tremblement de terre politique au sujet de la désintégration de l’Union européenne.

L’incurablement médiocre Donald Tusk, président du Conseil européen, se présentant comme un historien, avait averti que le Brexit «pourrait être le début de la destruction non seulement de l’UE, mais de la civilisation politique occidentale dans son ensemble».

C’est stupide. Le Brexit a prouvé qu’il s’agit d’immigration, imbécile. Et une fois de plus, d’économie, idiot – bien que l’establishment néolibéral britannique n’y ait jamais prêté attention. Mais il y a gros à parier que le système de l’UE à Bruxelles n’apprendra rien de la thérapie de choc – et ne se réformera pas. Il y aura des justifications rationnelles prétendant qu’après tout, le Royaume-Uni a toujours été un pleurnichard importun, exigeant des privilèges spéciaux lorsqu’il traite avec l’UE. Quant à la civilisation politique occidentale, ce qui va se terminer – et cela est une grande affaire –, c’est la relation transatlantique spéciale entre les États-Unis et l’Union européenne, avec la Grande-Bretagne comme cheval de Troie américain.

Alors bien sûr, tout cela va bien au-delà d’une simple compétition entre un Cameron se trompant désespérément dans ses calculs, finissant par s’embrocher lui-même sur son épée, et le bouffon ambitieux et téméraire, Boris Johnson – un Donald Trump qui s’exprimerait mieux et avec plus de vocabulaire.

L’Écosse, de façon prévisible, a voté On Reste, et peut sans doute tenir un nouveau référendum – et quitter le Royaume-Uni – plutôt que d’être entraînée hors de l’Europe par le vote de la classe ouvrière blanche anglaise. Le Sinn Fein veut déjà un vote sur l’Irlande unie. Le Danemark, les Pays-Bas et même la Pologne et la Hongrie veulent un statut spécial à l’intérieur de l’UE, ou sinon… Partout en Europe, la ruée d’extrême-droite est en marche. Marine Le Pen veut un référendum français. Geert Wilders veut un référendum néerlandais. Quant à la grande majorité des Britanniques de moins de 25 ans qui ont voté On Reste, ils pourraient être tentés par un aller-simple, non pas sur le continent, mais au-delà.

Montrez-moi le peuple

L’historien anglo-français Robert Tombs a remarqué que lorsque les Européens parlent de l’histoire, ils se réfèrent à l’Empire romain, à la Renaissance et aux Lumières. La Grande-Bretagne est quelque peu négligée. En échange, un bon nombre de Britanniques considèrent toujours l’Europe comme une entité qui doit être maintenue à distance de sécurité.

Pour compliquer le problème, ce n’est pas une Europe des peuples. Bruxelles déteste absolument l’opinion publique européenne, et le système oppose une résistance de fer à la réforme. Ce projet actuel de l’UE, qui vise en fin de compte à une fédération, sur le modèle des États-Unis, ne convainc pas la plus grande partie de l’Angleterre. On peut dire que c’est l’une des principales raisons derrière le Brexit – qui, pour sa part, a déjà désuni le royaume et peut finalement le déclasser en un comptoir commercial minuscule sur le bord de l’Europe.

Faute d’un «peuple européen», le système de Bruxelles ne pouvait s’articuler que comme une bureaucratie kafkaïenne non élue. En outre, les représentants à Bruxelles de cette Europe privée du peuple défendent effectivement ce qu’ils considèrent comme leur intérêt national, et non l’intérêt européen.

Cependant, le Brexit ne signifie pas que la Grande-Bretagne sera à l’abri des diktats de la Commission européenne (CE). Celle-ci propose une politique, mais rien ne peut être mis en œuvre sans l’accord du Parlement européen et du Conseil des ministres, qui regroupe les représentants élus de tous les gouvernements des États membres.

On peut dire que, au mieux, On Reste aurait conduit à une certaine introspection à Bruxelles – et provoqué un appel au réveil – se traduisant par une politique monétaire plus souple, une poussée pour contenir l’immigration à l’intérieur des frontières africaines, et une plus grande ouverture vers la Russie. Le Royaume-Uni serait resté en Europe, donnant plus de poids aux pays hors zone euro, alors que l’Allemagne se serait concentrée sur les 19 nations membres de la zone euro.

Ainsi, On Reste aurait conduit à donner au Royaume-Uni un plus grand poids politico-économique à Bruxelles, alors que l’Allemagne se serait plus ouverte à une croissance modérée – au lieu de l’austérité. Bien que la Grande-Bretagne aurait sans doute grimacé à l’idée d’un futur ministre du Trésor de la zone euro, d’un FBI européen et d’un ministre européen de l’Intérieur, en fait la panoplie complète d’une union économique et monétaire.

Maintenant, ce qui est fait est fait. Mais, il ne faut pas oublier le drame du puissant  marché unique.

Non seulement le Royaume-Uni va perdre l’accès en franchise de droits, au marché unique de l’UE de 500 millions de personnes, mais il devra renégocier tous les accords commerciaux avec le reste du monde, puisque ceux-ci ont été négociés par l’UE. Le ministre de l’Économie française, et espoir présidentiel [auto-proclamé, NdT] Emmanuel Macron, a déjà prévenu que «si le Royaume-Uni veut un traité d’accès commercial au marché européen, les Britanniques doivent contribuer au budget européen comme les Norvégiens et les Suisses. Si Londres ne veut pas, alors ce doit être une sortie totale». La Grande-Bretagne sera exclue du marché unique – qui absorbe plus de 50% de ses exportations – à moins qu’elle ne paie pratiquement tout ce qu’elle paie déjà actuellement. Par ailleurs, Londres devra aussi accepter la liberté de mouvement, comme dans l’immigration européenne.

La City a un œil au beurre noir

Le Brexit a vaincu la cohorte accablante de ceux que Zygmunt Bauman définit comme les élites mondiales de la modernité déstructurée : la City de Londres, Wall Street, le FMI, la Fed, la Banque centrale européenne (BCE), les principaux fonds spéculatifs d’investissement, l’ensemble du système bancaire mondial interconnecté.

La City de Londres, de façon prévisible, a voté On Reste à plus de 75%. Le montant impressionnant de $2.7 mille milliards est négocié chaque jour dans les 2 kilomètres carré et demi, qui emploient près de 400 000 personnes. Et ce n’est pas seulement les 2 kilomètres carré et demi, la City inclut désormais également Canary Wharf (siège d’un bon nombre de grandes banques) et Mayfair (lieu privilégié de vadrouille des fonds d’investissement).

La City de Londres – capitale financière incontestée de l’Europe – gère également la somme exorbitante $1.65 mille milliards d’actifs de clients, répartis littéralement partout sur la planète. Dans son livre Treasure Islands, Nicholas Shaxson explique : «Les sociétés de services financiers se sont agglutinées à Londres, car elles peuvent faire là ce qui leur est interdit chez elles.»

La déréglementation débridée, doublée d’une influence inégalée sur le système économique global, s’est avérée être un mélange toxique. Donc le Brexit peut aussi être interprété comme un vote contre la corruption qui imprègne l’industrie la plus lucrative de l’Angleterre.

Les choses vont changer. De façon drastique. Il n’y aura plus de sauf-conduit, grâce auquel les banques peuvent vendre leurs produits aux 28 membres de l’UE, accédant ainsi à une économie intégrée de $18 mille milliards par an. Il suffit d’un siège à Londres et quelques mini-bureaux satellites. Le sauf-conduit du libre-échange donnera lieu à une négociation féroce à la City, de même qu’à tous les étages des bureaux commerciaux de Londres où les transactions sont libellées en euros .

J’ai suivi, il y a 19 ans, le Brexit de Hong Kong disant bye-bye à l’Empire britannique pour se joindre à la Chine. Pékin craint que le Brexit actuel ne se traduise par des sorties de capitaux, «une pression dépréciatrice» sur le yuan et une perturbation de la politique monétaire de la Banque de Chine .

Le Brexit pourrait même affecter sérieusement les relations sino-européennes, selon l’hypothèse que Pékin pourrait perdre de l’influence à Bruxelles sans le soutien britannique. Il est crucial de se rappeler que la Grande-Bretagne a soutenu un pacte d’investissement entre la Chine et l’UE et une étude de faisabilité conjointe sur un accord de libre-échange Chine-UE.

He Weiwen, co-directeur du Centre d’études Chine-États-Unis-UE dans le cadre de l’Association chinoise de commerce international, un service du ministère du Commerce, n’y va pas par quatre chemins : «L’Union européenne est susceptible d’adopter une approche plus protectionniste lorsqu’elle traitera avec la Chine. Les entreprises chinoises qui ont mis en place un siège ou des succursales au Royaume-Uni, ne seront peut-être plus en mesure de bénéficier d’un accès en franchise de droits au large marché européen, après la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE.»

Cela vaut, par exemple, pour les leaders chinois d’entreprises de haute technologie, tels que Huawei et Tencent. Entre 2000 et 2015, la Grande-Bretagne était la destination européenne principale pour les investissements directs chinois, et le deuxième plus grand partenaire commercial de la Chine dans l’UE.

Et pourtant, tout pourrait se traduire par une situation gagnant-gagnant pour la Chine. L’Allemagne, la France et le Luxembourg – tous trois en concurrence avec Londres pour le business offshore juteux sur le yuan – augmenteront leur rôle. Chen Long, économiste à la Banque de Dongguan, est confiant : «Le continent européen, en particulier les pays d’Europe centrale et orientale, seront impliqués plus activement dans le programme chinois des Nouvelles routes de la soie ‘Une ceinture, une route’

Ainsi la Grande-Bretagne deviendra-t-elle peut-être une nouvelle Norvège. C’est possible. La Norvège s’en est très bien tirée, après avoir rejeté l’adhésion à l’UE dans un référendum de 1995. Ce sera une route longue et sinueuse, avant que l’article 50 [qui gère le processus de scission de l’UE, NdT] ne soit invoqué et une négociation de deux ans UK-UE commence en territoire inconnu. L’ancien chancelier britannique de l’Échiquier Alistair Darling a résumé le tout :  «Personne n’a la moindre idée de ce à quoi ressemble une sortie de l’UE.»

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.

Traduit et édité par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

 

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