Boeing prévoit le retour du 737 MAX en novembre…


…mais pas dans le monde entier


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 12 septembre 2019

Le Boeing 737 MAX devait reprendre son vol en octobre. Hier, le PDG de Boeing, Dennis Muilenburg, a reporté cette date à novembre :

Le président-directeur général de Boeing, Dennis Muilenburg, a réitéré mercredi sa projection selon laquelle, malgré les inquiétudes exprimées publiquement par le régulateur européen de la sécurité aérienne, le 737 MAX devrait être remis en service vers novembre.

Il est peu probable qu’il s’agisse du dernier changement de date. Muilenburg avait d’autres mauvaises nouvelles :

Toutefois, il a admis qu'un manque d'harmonisation entre les organismes de réglementation internationaux pourrait signifier que l'avion au sol pourrait d'abord reprendre son vol aux États-Unis, puis dans d'autres grands pays par la suite.
"Nous réalisons des progrès solides et satisfaisants en vue d'une remise en service ", a déclaré M. Muilenburg lors d'une conférence d'investisseurs organisée par Morgan Stanley à Laguna Beach, en Californie. Il a ajouté plus tard qu'"une autorisation de vol progressive de l'avion par les régulateurs du monde entier est une possibilité".

Cette « autorisation de vol progressive » signifie que la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis certifierait que l’avion est sûr alors que d’autres organismes de réglementation ne le feraient toujours pas. On demanderait aux passagers américains de prendre l’avion dans un appareil que le reste du monde jugerait encore trop dangereux pour voler. Les 737 MAX volant des États-Unis vers d’autres pays seraient toujours cloués au sol, tout comme la plus grande partie de l’ensemble de la flotte en Europe et en Chine.

Je doute que les assureurs, les compagnies aériennes américaines, les passagers et leurs pilotes accueillent favorablement une telle démarche « par étape ». C’est un comportement extrêmement risqué. Tout accident survenu pendant cette période, quelle qu’en soit la raison, causerait des problèmes encore plus graves à la compagnie aérienne concernée, à Boeing et à la FAA.

Il est probable que Boeing et la FAA aimeraient blâmer les organismes de réglementation étrangers pour leurs exigences tardives ou déraisonnables. Mais l’histoire des deux accidents mortels du 737 MAX et l’évolution depuis prouvent que seuls Boeing et la FAA en sont responsables.

La déclaration de Muilenburg faisait suite à une présentation du 3 septembre (pdf) par le chef de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), Patrick Ky, au Parlement européen. Il documente comment l’AESA a dit très tôt à la FAA et à Boeing ce qu’elle allait faire avant de permettre à l’avion de reprendre ses vols.


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Le 1er avril, l’AESA a fixé 4 conditions :

  • Les modifications de conception proposées par Boeing doivent être approuvées par l’AESA (aucune délégation à la FAA).
  • L’AESA doit mener à bien un examen indépendant supplémentaire et plus large de la conception.
  • Les accidents de JT610 et ET302 devront être considérés comme suffisamment bien compris.
  • Les équipages de pilotage du B737 MAX doivent recevoir une formation adéquate.

La déclaration la plus importante de ce qui précède est que l’AESA ne se fiera pas au jugement de la FAA sur la sécurité de vol du 737 MAX, mais qu’elle se fera son propre jugement. C’est la conséquence de la délégation du pouvoir de certification de la FAA à Boeing et de l’immobilisation très tardive de l’avion.

Ky a ouvertement reproché à la FAA d’avoir donné trop d’autorité à Boeing :

« Oui, il y a eu un problème avec cette notion de délégation par la FAA de l’évaluation de la sécurité du MCAS à Boeing », a déclaré Ky à la commission du Parlement européen.

« Cela n’arriverait pas dans notre système », a-t-il insisté. « Tout ce qui est critique pour la sécurité, tout ce qui est innovant… doit être étudié par nous et non délégué. »

L’AESA a chargé 20 de ses experts, pilotes d’essai et ingénieurs d’examiner le 737 MAX. Ils ont évalué 70 points à tester et, en juin et juillet, ont effectué des vols d’essai sur simulateur. Des problèmes techniques importants ont été décelés et communiqués à Boeing, début juillet. La résolution de ces problèmes est une condition de la re-certification de l’avion :


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Ces problèmes sont :

  • Absence de surveillance exhaustive des défaillances du système entraînant un emballement du stabilisateur.
  • Forces trop élevées nécessaires pour déplacer le volant de compensation manuel en cas d’emballement du stabilisateur.
  • Déconnexion trop tardive du pilote automatique près de la vitesse de décrochage (dans des conditions spécifiques)
  • Charge de travail trop élevée de l’équipage, entraînant un risque de confusion dans certains cas de panne, en particulier la défaillance simple de l’angle d’attaque au décollage.

Boeing devait apporter des solutions à chacun de ces problèmes.

Mais lors d’une réunion des régulateurs internationaux en août 2019, Boeing n’a pas réussi à en présenter :

Des frictions entre Boeing Co. et les autorités internationales de sécurité aérienne menacent d'un nouveau retard dans la remise en service de la flotte de 737 MAX immobilisée au sol, selon les responsables du gouvernement et des syndicats de pilotes informés de la question.

La dernière complication de cette longue saga, selon ces responsables, découle d'une séance d'information de Boeing en août, qui a été interrompue par les organismes de réglementation des États-Unis, d'Europe, du Brésil et d'ailleurs, qui se sont plaints que le constructeur d'avions n'avait pas fourni de détails techniques ni répondu aux questions précises sur les modifications apportées au fonctionnement des ordinateurs de contrôle en vol du MAX.

En conséquence de la réticence de Boeing, l’AESA a rendu publiques ses exigences en les intégrant dans la présentation ci-dessus. Même en cas de pression politique, l’AESA ne peut en aucun cas revenir sur sa décision.

L’AESA aura ses propres pilotes qui effectueront les vols de certification sur le 737 MAX rénové. Ils le testeront avec le MCAS modifié ainsi que sans lui. Ils testeront également les autres points énumérés par l’AESA.

Les organismes de réglementation de la sécurité aérienne ne fournissent pas de solutions techniques aux problèmes qu’ils trouvent. Ils disent seulement à Boeing de fournir et de mettre en œuvre des conceptions qui répondent aux exigences d’un organisme de réglementation. Si l’un des points ci-dessus n’est pas résolu de manière satisfaisante, l’AESA ne permettra pas au 737 MAX de voler en Europe. D’autres régulateurs comme la CAAC chinoise suivront probablement l’AESA sur la question, mais pourraient également ajouter des points supplémentaires. Environ 80 % des avions à couloir unique de Boeing sont vendus sur les marchés étrangers. Ceux-ci ne pourront pas voler tant que les exigences de l’AESA et d’autres n’auront pas été satisfaites.

Jusqu’à présent, Boeing a fourni une solution aux problèmes de calculateur de commandes de vol. Il n’a pas encore amélioré les déroutants systèmes d’alarme, les procédures de l’équipage et la formation connexe. Boeing ne veut pas d’une formation obligatoire sur simulateur pour les nouveaux pilotes de 737 MAX et la FAA semble être d’accord sur ce point. Mais le Canada a déjà dit qu’il exigerait une telle formation et l’AESA et d’autres sont susceptibles de faire de même. Boeing n’a donné aucune réponse appropriée aux problèmes d’intégrité de l’angle d’attaque. L’AESA souhaite un troisième capteur AoA ou une solution technique équivalente. Le problème du volant de compensation manuelle, qui s’applique également à l’ancien type 737 NG, demeure également un problème en suspens.

Muilenberg ne semble pas comprendre (pdf) que Boeing doit faire plus sur ces questions que de ‘répondre aux questions’ :

Rajeev Lalwani, Analyste à Morgan Stanley & Co. LLCQ

... nous avons tous vu cette discussion à propos des détecteurs à ajouter. Nous aimerions donc que vous précisiez ce qui est exact et ce qui ne l'est pas.

Dennis A. Muilenburg Président du conseil, président et chef de la direction de Boeing Co.

(....) nous allons respecter les questions individuelles des différents régulateurs et l'AESA a soulevé quelques questions et nous sommes en train d'y répondre. Je ne dirais pas que cela divise les gens. Je pense simplement que ce sont des questions auxquelles nous devons répondre dans le cadre du processus. Et des questions sur des choses comme l'angle d'attaque, la conception du système. Reconnaître que notre architecture sur les avions de Boeing est différente de celle des avions d'Airbus. Et cela a toujours été un sujet de discussion ; cela ne signifie pas nécessairement des changements de matériel. Dans certains cas, il est possible de répondre à ces questions par des travaux de simulation, des mises à jour logicielles ou des mises à jour de processus. Il n'y a donc pas de spécificité dans les réponses. Ce ne sont que des questions que nous nous posons dans le cadre du processus normal de certification. C'est ainsi que je le décrirais. Je pense qu'il faut y prêter attention, qu'il y a beaucoup de travail à faire pour répondre aux questions. Mais tout le monde est motivé à travailler ensemble ici et cela crée de l'incertitude quant au calendrier.

L’absence d’un deuxième capteur pour l’AoA et le blocage du volant de compensation manuel nécessitent des solutions techniques. Simplement « répondre aux questions » ne suffira pas. Pour ma part, je ne vois pas comment l’AESA ou la CAAC vont laisser Boeing s’en tirer comme ça.

L’aveu de Muilenburg que l’avion n’est pas prêt pour une certification internationale est une nouvelle dévastatrice pour l’entreprise, même s’il a essayé de vendre cela comme un progrès. La FAA pourrait lever la mise au sol de l’avion sous la pression politique, mais les autres régulateurs ne suivront pas. Le tumulte public qui en résultera rendra presque impossible la vente de billets pour les vols 737 MAX.

Même si Boeing trouve des solutions que les régulateurs internationaux peuvent enfin accepter, leur mise en œuvre prendra des mois supplémentaires. Les problèmes liés aux capteurs de l’angle d’attaque et aux roues de compensation nécessiteront probablement des modifications matérielles aux quelque 600 avions MAX existants. La demande de formation sur simulateur retardera encore davantage la reprise des vols de l’avion. Il n’y a qu’une vingtaine de simulateurs 737 MAX dans le monde et des milliers de pilotes devront y passer.

Ces problèmes techniques et organisationnels sont connus depuis plusieurs mois. L’AESA et d’autres les ont signalés tôt et souvent. Mais Boeing traîne encore les pieds au lieu de les résoudre. Les retards causés par ce comportement déraisonnable mettent en péril les ventes, la réputation et peut-être même l’existence de l’entreprise.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

 

 

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