Par Andrew Korybko – Le 7 mai 2019 – Source eurasiafuture.com
Le Secrétaire d’État étasunien a lancé un défi face au sommet du Conseil de l’Arctique, lundi dernier, et a déclaré au monde que son pays allait s’opposer activement aux intérêts russes et chinois dans l’Océan Arctique.
L’apparition du Secrétaire d’État Pompeo au sommet du Conseil de l’Arctique, lundi dernier, aurait pu constituer une simple routine, s’il n’avait pas agressé oralement les intérêts de la Russie et de la Chine dans l’Océan arctique. Il n’a pas prononcé autre chose qu’une déclaration de Guerre hybride contre les deux grandes puissances multipolaires, ce qui mérite une étude approfondie, au-delà des remontées superficielles qu’ont pu en faire les médias traditionnels. Suit donc une liste d’extraits de son discours, suivis chacun d’une courte interprétation de la portée stratégique qu’il porte. Notre objectif est de décrire l’approche étasunienne de la région, ainsi que le mode opératoire que l’on verra probablement déployé par les USA pour y faire valoir leurs intérêts.
Passage
Le temps est venu pour les États-Unis de se poser comme une nation arctique, et de se positionner quant à l’avenir de l’Arctique. Loin en effet de constituer la zone stérile et reculée que beaucoup s’imaginaient à l’époque de Seward [William Henry Seward occupait le poste de Pompeo à l’époque où Abraham Lincoln était président des USA, au début de la deuxième moitié du XIXème siècle, NdT], l’Arctique constitue une zone d’opportunités et d’abondance. Elle héberge 13% des ressources pétrolières mondiales inexplorées à ce jour, 30% des ressources en gaz inexplorées à ce jour, ainsi que des quantités abondantes d’uranium, des minéraux de terres rares, de l’or, des diamants, et des millions de kilomètres carrés de ressources inexploitées. Des zones de pêche en abondance.
Et sa zone principale, l’Océan arctique, gagne rapidement en importance stratégique. Les ressources extra-côtières, qui participent aux économies des États côtiers, font l’objet d’une compétition ardue. La diminution régulière de l’épaisseur de la banquise ouvre de nouvelles voies navigables et de nouvelles opportunités commerciales. Il y a là potentiellement de quoi réduire les temps de navigation entre l’Asie et l’Occident de 20 jours. Les voies navigables de l’Arctique pourraient passer devant – pourraient devenir les canaux de Suez et de Panama du XXIème siècle.
Interprétation
L’Océan arctique constitue l’une des régions les plus abondantes en matières premières au monde, et son importance géostratégique monte rapidement au fur et à mesure que l’activité de ses voies navigables reliant l’Asie de l’Est et l’Europe occidentale croît.
Passage
La Chine dispose du statut d’observateur au sein du Conseil de l’Arctique, mais ce statut dépend du respect par ce pays des droits souverains des États de l’Arctique. Les USA demandent que la Chine respecte cette condition et que ses contributions dans la région soient menées de manière responsable. Mais les mots et les actions employés par la Chine constituent la source de doutes quant à ses intentions.
Interprétation
Des fake news alarmistes sur l’activité chinoise dans la région, y compris les assertions à venir de Pompeo, pourraient servir de prétexte pour compromettre le statut d’observateur de la Chine au Conseil de l’Arctique, et contribuer à ce que les USA pensent être son « isolement », par voie de conséquence.
Passage
Entre 2012 et 2017, la Chine a investi presque 90 milliards de dollars en Arctique. Elle projette de bâtir des infrastructures entre le Canada, dans les territoires du Nord-Ouest, et la Sibérie. Le mois dernier, la Russie a annoncé des projets de liaison entre la Route maritime arctique et les Routes de la soie maritimes chinoises, ce qui amènerait au développement d’un nouveau canal de transport entre l’Asie et l’Europe du Nord. Cependant, la Chine est déjà en train de développer des voies de transport dans l’Océan arctique.
Ceci s’inscrit dans un motif qui nous est très familier.
Pékin s’emploie à développer des infrastructures critiques en les finançant par de l’argent chinois, des sociétés chinoises, et des ouvriers chinois – dans certains cas, aux fins d’établir une présence chinoise permanente en matière de sécurité. Le Pentagone nous a averti la semaine dernière que la Chine pourrait exploiter la présence de chercheurs scientifiques qu’elle a missionnés en Arctique, pour renforcer sa présence militaire – y compris le déploiement de sous-marins dans cette région comme moyen de dissuasion contre une attaque nucléaire.
Interprétation
Les USA usent de leur rhétorique habituelle à savoir que les Nouvelles routes de la soie chinoises (BRI) constitueraient un front clandestin permettant un expansionnisme militaire à l’échelle mondiale.
Passage
Souhaitons-nous voir les nations de l’Arctique au sens large, ou plus spécifiquement des communautés indigènes, suivre la voie de l’ancien gouvernement du Sri Lanka ou de la Malaisie, et se laisser empêtrer par la dette et la corruption ? Voulons-nous voir les infrastructures essentielles de l’Arctique terminer comme les routes construites par la Chine en Éthiopie, en ruines et dangereuses après quelques années à peine de service ? Voulons-nous que l’Océan arctique se transforme en une nouvelle Mer de Chine, minée par la militarisation et par les différends territoriaux ? Voulons-nous que le fragile environnement de l’Arctique se voie exposé aux mêmes dévastations écologiques que celles que la marine de pêche de la Chine inflige aux eaux de ses côtes, ou aux mêmes activités industrielles non régulées au sein même de ses frontières ? Je pense que les réponses à ces questions sont très claires.
Interprétation
Sans surprise, les USA ne peuvent pas s’empêcher de faire allusion à leurs propres accusations de soi-disant « piège de la dette » chinois. Les USA indiquent également, chose importante, qu’ils prévoient de s’en prendre à la Chine en réutilisant le scénario qu’ils ont déjà déployé en Mer de Chine : il s’agit pour eux de diviser pour mieux régner, sous couvert d’arbitrage de différends territoriaux (dans le cas de l’Arctique, ces différends sont sans doute ici émis par la Russie).
Passage
Nous nous inquiétons des revendications territoriales de la Russie sur les eaux internationales de la Route maritime Arctique. Figurent parmi ces revendications les derniers projets russes en date de relier cette route aux Routes de la soie maritimes chinoises. Sur la Route maritime arctique, Moscou exige d’ores et déjà, illégalement, que les autres nations lui demandent la permission avant d’emprunter ces routes, exige que des pilotes russes soient présents à bord des navires étrangers, et menace d’utiliser la force armée pour couler tout navire ne souscrivant pas à ses exigences.
Interprétation
L’engagement vibrant du Président Poutine, d’intégrer l’Union économique eurasiatique, menée par la Russie, avec les Nouvelles routes de la soie, lors du Forum BRI du mois dernier à Pékin, va amener à l’émergence de ce que certains ont pu décrire comme la Route de la soie polaire, un couloir maritime d’échanges commerciaux échappant au contrôle de l’US Navy. Cela inquiète Washington quant à l’avenir de ses influences sur l’Eurasie.
Passage
La Russie laisse déjà des empreintes de bottes militaires dans la neige derrière elle. La Russie a formellement annoncé son intention de réaffirmer sa présence militaire dans la région en 2014, avec la ré-ouverture d’une base militaire arctique remontant à l’époque de la Guerre froide.
Depuis lors, en partie grâce à son importante flotte de brise-glace, la Russie a pu rénover d’anciennes bases et des infrastructures. Elle affirme avoir bâti 475 nouveaux sites militaires, parmi lesquels des bases au nord du Cercle arctique, ainsi que 16 nouveaux ports en eau profonde. Elle sécurise sa présence en mettant en place de nouveaux systèmes de défense avancés, et des missiles anti-navires.
Interprétation
La réaffirmation de la puissance militaire de la Russie dans sa sphère d’influence légitime fait très peur aux USA, car le Pentagone sait que Moscou pourrait fort bien procéder en Arctique comme elle l’a fait fin 2018 dans le Détroit de Kertch : utiliser la force militaire pour défendre les prétentions territoriales faisant partie intégrante de sa sécurité nationale.
Passage
Aujourd’hui, les USA partagent leur attention sur l’Arctique et la sécurisation de son avenir.
Sous le Président Trump, nous fortifions la présence diplomatique et de sécurité des USA dans la région. Du côté de la sécurité, en réponse aux activités de déstabilisation de la Russie, nous hébergeons des exercices militaires, renforçons notre présence armée, reconstruisons notre flotte de brise-glace, étendons les financements de nos gardes-côte, et créons un nouveau poste de direction militaire aux Affaires arctiques dans notre armée.
Nous faisons également le meilleur usage de partenariats importants, que nous étendons encore cette semaine même. L’exercice Trident Structure mené par l’OTAN à l’automne dernier constitua le plus grand exercice militaire de l’Arctique depuis la Guerre froide, impliquant plus de 50 000 personnes. Sur le volet diplomatique également, nous sommes pleinement engagés. Nous travaillons à renforcer notre présence dans l’ensemble de la région et à améliorer nos engagements aux côtés de chacun de nos partenaires de l’Arctique.
Interprétation
Toutes les affirmations précédentes du présent discours visaient à « justifier » le déploiement de la nouvelle stratégie générale des USA en Arctique, visant à défier les intérêts de la Russie et de la Chine.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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