Pour achever l’accord sur le nucléaire iranien, les États-Unis veulent y adhérer de nouveau


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 27 avril 2020

Le 8 mai 2018, les États-Unis ont cessé de participer au Plan d’action global conjoint (JCPOA), dit Accord sur le nucléaire iranien. Le New York Times rapporte que les États-Unis veulent maintenant y revenir pour une raison maligne :

Le secrétaire d'État Mike Pompeo prépare une argutie légale disant que les États-Unis sont toujours participants à l'Accord nucléaire iranien auquel le président Trump a renoncé, dans le cadre d'une stratégie complexe visant à faire pression sur le Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'il prolonge un embargo sur les armes à destination de Téhéran ou qu'il impose à nouveau des sanctions beaucoup plus sévères contre ce pays. ...
Pour forcer les choses, M. Pompeo a approuvé un plan, qui ne manquera pas de susciter l'opposition de nombre de ses alliés européens, en vertu duquel les États-Unis prétendraient, en substance, qu'ils restent légalement un "État participant" à l'accord nucléaire que M. Trump a dénoncé - mais seulement dans le but d'invoquer un "retour à la case départ" qui permettrait de rétablir les sanctions de l'ONU contre l'Iran, les mêmes qui étaient en place avant l'accord.

Si l'embargo sur les armes n'est pas renouvelé, les États-Unis exerceraient ce droit en tant que membre originel de l'accord. Cette mesure obligerait à rétablir le large éventail de sanctions qui interdisaient les ventes de pétrole et les arrangements bancaires avant l'adoption de l'accord en 2015. L'application de ces anciennes sanctions serait, en théorie, contraignante pour tous les membres des Nations unies.

L’objectif réel de l’administration Trump est bien sûr beaucoup plus large :

Calculs politiques mis à part, l'administration veut aller au-delà de l'imposition de sanctions plus sévères à l'Iran. Il s'agit également de forcer Téhéran à renoncer à toute prétention de préserver l'accord de l'ère Obama. Ce n'est qu'en le brisant, disent de nombreux hauts fonctionnaires de l'administration, que l'ayatollah Ali Khamenei et le président Hassan Rouhani seront contraints de négocier un tout nouvel accord plus au goût de M. Trump.

L’idée est idiote et elle ne fonctionnera pas. Il n’y aura pas de « retour à la case départ » pour les sanctions et l’Iran s’en tiendra à l’accord.

L’option de retour à la case départ fait partie du mécanisme de règlement des différends prévu aux articles 36 et 37 de l’accord du JCPOA. Le site UN Dispatch en donne une brève description :

L'accord signé ce matin crée un panel de huit membres, appelé "Commission conjointe", qui servira de mécanisme de résolution des litiges. Les membres de ce panel sont les cinq membres du Conseil de sécurité ayant le droit de veto, plus l'Allemagne, l'Iran et l'Union européenne. Il y a huit membres au total. Si une majorité (5) estime que l'Iran a triché, la question est renvoyée au Conseil de sécurité. Aucun pays ne dispose d'un droit de veto.

Et c'est là que les choses deviennent intéressantes. Le libellé de l'accord nucléaire dit que le vote au Conseil de sécurité ne serait pas pour réimposer des sanctions. Au contraire, le Conseil de sécurité doit décider s'il continue ou non à lever les sanctions. Et s'il ne le fait pas, les anciennes sanctions sont remises en place. Ce cadre évite la perspective d'un veto russe et garantit que si les pays occidentaux pensent que l'Iran triche, les sanctions seront automatiquement réimposées.

Les États-Unis ne participent plus à la « commission mixte » et ne peuvent donc pas déclencher le processus. Il n’y aura pas non plus de majorité pour soumettre le désaccord au Conseil de sécurité des Nations unies. Dans sa résolution 2231, le Conseil de sécurité des Nations unies a également établi que seuls les participants au JCPOA peuvent déclencher un processus de retour en arrière :

11. Décide, en vertu de l'article 41 de la Charte des Nations Unies, que dans les 30 jours suivant la réception d'une notification par un État participant au JCPOA d'une question qui, selon l'État participant au JCPOA, constitue une inexécution importante des engagements pris dans le cadre du JCPOA, il votera sur un projet de résolution visant à maintenir en vigueur les résiliations prévues au paragraphe 7 a) de la présente résolution [...].

Le fait que les États-Unis vont maintenant prétendre être toujours un État participant au JCPOA sera considéré comme une plaisanterie par tous ceux qui se souviennent des remarques de l’administration Trump concernant la cessation de sa participation.

Le 8 mai 2018, la Maison Blanche a publié un « Mémorandum présidentiel » qui titrait :

Mettre fin à la participation des États-Unis au JCPOA et prendre des mesures supplémentaires pour contrer l’influence malveillante de l’Iran et lui refuser toute possibilité de se doter d’une arme nucléaire.

Dans la section 2, le mémorandum ordonne :

Le secrétaire d'État doit, en consultation avec le secrétaire au Trésor et le secrétaire à l'Énergie, prendre toutes les mesures appropriées pour mettre fin à la participation des États-Unis au JCPOA.

Lors du point de presse de ce jour-là, le conseiller à la sécurité nationale de l’époque, John Bolton, insistait sur le fait que les États-Unis avaient abandonné l’accord et ne pouvaient donc plus déclencher la disposition de « retour à la case départ » de la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies. En parlant des sanctions, il a dit :

AMBASSADEUR BOLTON: [...] Cette éventualité est affichée sur le site web du département du Trésor depuis 2015 en raison de la possibilité d'utiliser les dispositions de la résolution 2231, que nous n'utilisons pas parce que nous sommes sortis de l’accord. [...]

Q: Mais cela ne sera pas négocié - pour ceux qui existent ?

AMBASSADEUR BOLTON: Nous sommes sortis de l'accord.

Q: Nous en sommes sortis ?

AMBASSADEUR BOLTON: Nous en sommes sortis. Nous en sommes sortis.

Q: Nous en sommes sortis ?

AMBASSADEUR BOLTON: Vous avez compris.

Le lendemain, le Washington Post publiait un article de Bolton. Sa première phrase dit :

Mardi, le président Trump a annoncé sa décision de se retirer de l'accord nucléaire iranien déchu.

Le décret 13846 du 6 août 2018 qui a réintroduit les sanctions américaines contre l’Iran dit :

Je, DONALD J. TRUMP, Président des États-Unis d'Amérique, à la lumière de ma décision du 8 mai 2018, de mettre fin à la participation des États-Unis au Plan d'action global conjoint du 14 juillet 2015 (JCPOA), [...] ordonne par la présente : [...]

Il y a tout juste six semaines, le représentant spécial des États-Unis pour l’Iran, Brian Hook, reconfirmait que les États-Unis étaient sortis de l’accord et ne pouvaient donc pas déclencher le retour à la case départ:

Hook semble, pour l'instant du moins, avoir mis un terme à toute spéculation selon laquelle les États-Unis pourraient tenter de revenir sur l'accord, en revendiquant sa participation malgré le retrait, pour déclencher le retour à la case départ.

"Nous sommes sortis de l'accord", a-t-il déclaré lorsqu'on lui a demandé, "et donc les pays qui sont restés dans l'accord prendront des décisions qui sont dans leur capacité souveraine".

Après toutes ces déclarations et confirmations que les États-Unis ne participent plus au JCPOA, les autres parties à l’accord ne seront certainement pas d’accord avec les arguments des États-Unis pour prétendre qu’ils sont toujours dans le coup :

Un diplomate européen de haut rang, qui s'est exprimé sous le couvert de l'anonymat, a rejeté cette stratégie, estimant qu'elle poussait les termes de l'accord bien au-delà de leur contexte logique.

Mais l’auteur de l’article du NY Times, David Sanger, affirme que la stratégie pourrait fonctionner malgré tout :

Mais la stratégie de l'administration pourrait bien fonctionner, même si d'autres membres des Nations unies ignoraient cette initiative. A ce moment-là, sur le papier du moins, les Nations Unies retourneraient à toutes les sanctions contre l'Iran qui existaient avant que M. Obama ne conclue l'accord avec Téhéran.

Non, cela ne peut pas fonctionner. Seuls les participants à l’accord peuvent déclencher le processus de retour à la case départ. Les États-Unis ne sont plus reconnus en tant que participant.

Avant qu’un retour en arrière ne puisse avoir lieu, il existe en fait des processus formels au sein de la « Commission conjointe » et du Conseil de sécurité des Nations unies qui doivent être suivis. Ces processus n’auront pas lieu parce que les autres membres de la JCPOA et du CSNU ignoreront simplement la tentative américaine de les déclencher.

Certains membres de l’accord pourraient néanmoins le faire. Mais il est peu probable que les Européens prennent le parti des États-Unis sur cette question. En janvier, ils ont fait savoir qu’ils déclencheraient le mécanisme de règlement des différends de la JCPAO, qui se termine par une remise en place des sanctions, parce que l’Iran a dépassé certaines limites formelles de l’accord. Mais l’Iran a répliqué en faisant valoir qu’il était toujours dans les limites de l’accord et a ensuite menacé de quitter le traité de prolifération nucléaire si les Européens continuaient dans cette voie.

Les Européens, ne voulant pas prendre ce risque, se taisent depuis.

Le clown qui dirige le département d’État devra trouver de meilleures idées.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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