L’ aide à l’Ukraine occidentale disparaît dans un trou noir


Par Alexander Donetsky – Le 27 avril 2015 – Source Strategic-Culture

Après de longs débats, le Fonds monétaire international a approuvé un programme de prêt de $17,5 Mds sur 4 ans pour l’Ukraine, y compris un décaissement immédiat de $5 Mds. Ensuite, la Commission européenne a proposé une aide de €1,8 Md, qui sera délivrée en trois tranches. Les États-Unis fourniront un paquet $2 Mds en plus. Le montant total de l’aide étrangère augmente progressivement jusqu’à $40 Mds. Le PIB du pays est d’environ $373 Mds. L’Ukraine a plongé profondément dans la dette; le ratio dette/PIB augmente alors que l’aide étrangère n’a pas réussi à restaurer l’économie. Tout va dans un trou noir. Il n’y a aucune amélioration en vue.

Le système qui a été mis en place en Ukraine au cours des 23 dernières années s’appelle la kleptocratie. Elle imprègne toute la société ukrainienne, de la police de la circulation aux tribunaux, des services publics à la passation des marchés de l’État. Le coup d’état de 2014 a aggravé la situation. Dans l’index de corruption de Transparency International, l’Ukraine a été classée 142e sur les 175 pays étudiés. Elle est placé à proximité de l’Ouganda, des Comores, de la République centrafricaine, du Cameroun, du Nigeria et de la Papouasie–Nouvelle-Guinée. Selon les investisseurs étrangers, la part de l’économie de l’ombre est de 60%. Alexander Okhrimenko, président du Centre d’analyse Ukraine, l’un des principaux experts ukrainiens, estime que la situation s’est grandement détériorée. La corruption est omniprésente, les détournement de fonds jusqu’à 75% des achats militaires. Razzia et holdups sont devenus routiniers. Les fonctionnaires se font payer pour changer les noms des propriétaires de biens. De tels comportement invraisemblables auraient été impensables auparavant. Quelques minutes sur l’ordinateur sont suffisants pour voler une entreprise. C’est ce qui effraie les investisseurs étrangers. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, 57% des cas de corruption concernent les marchés de l’État.

Selon Ernst & Young, 2 700 dirigeants d’entreprises de 59 pays, dont 60% des hommes d’affaires ukrainiens, admettent que la corruption est endémique en Ukraine.

Peu importe que Kiev dise qu’elle «mène une guerre sacrée pour défendre l’Europe et l’ensemble du monde libre», la corruption et les détournements de fonds concernent aussi les militaires. Les boutiques Internet vendent ouvertement des gilets pare-balles. Ceux qui peuvent se permettre de payer des pots de vin évitent facilement la conscription. Aleksandr Lapko, un spécialiste adjoint principal au Bureau de liaison de l’Otan en Ukraine, dit: «Je me soucie profondément de mon pays et je veux le défendre. Mais je faisais face à un dilemme: dois-je aller à la guerre en sachant que je vais devoir payer plus de $2 000 de ma propre poche pour obtenir le matériel militaire qui pourra sauver ma vie, parce que la corruption officielle a laissé le ministère de la Défense sans suffisamment de fournitures adéquates à délivrer aux nouvelles recrues? Ou devrais-je payer un pot de vin $ 2000 pour obtenir des faux papiers témoignant que je suis médicalement inapte et devrais donc être retiré de la liste de conscription ? »

L’économiste américain Richard W. Rahn ne croit pas que la situation économique désastreuse du pays s’explique par des dépenses élevées pour la guerre. L’Ukraine ne dépense pas plus de 1% du PIB pour les besoins militaires. Selon Rahn, «il apparaît qu’une grande partie du budget ukrainien a été consacré à divers systèmes d’achat de voix et à la corruption traditionnelle». Il pense que le nouveau programme d’aide financière ira dans les tuyaux sans réformes économiques. L’économiste ukrainien bien connu O. Soskin dit la même chose. Il croit que l’argent fourni par le Fonds monétaire international sera distribué entre les principaux groupes financiers dirigés par P. Porochenko, I. Kolomoisky, A. Tourtchinov et d’autres personnes représentant les pouvoirs en place. L’an dernier, 55% de la tranche du FMI est allé au gouvernement et 45% à la Banque nationale. Les techniques de blanchiment d’argent seront utilisées; des obligations d’État internes seront émises et les banques privées qui appartiennent à Porochenko, à Kolomoisky et au groupe Iatseniouk-Tourtchinov obtiendront des crédits à des conditions favorables.

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Au cours de cette année un certain nombre de scandales très médiatisés ont éclaté. Chacun d’eux aurait été suffisant pour faire démissionner le gouvernement d’un pays occidental. Mais Kiev ferme les yeux sur eux. La lutte contre la corruption est devenue politiquement motivée. Prenez l’accord sur le charbon sud-africain. Des accusations sont portées contre le ministère ukrainien de l’Énergie et Ukrinterenergo. Ayant déclenché une guerre dans le Donbass, la principale zone de mines de charbon, le gouvernement a mis le pays au bord de l’effondrement économique. Il a fallu une décision politique pour acheter 1 million de tonnes de minerai en Afrique du Sud. Lorsque le charbon a commencé à arriver, il est devenu évident qu’il n’était pas bon pour les centrales ukrainiennes. Le ministère de l’Énergie et Ukrinterenergo ont été accusés de corruption. Le bureau du procureur général ukrainien a détenu Vladimir Zinevich, directeur de la société d’État Ukrinterenergo, accusé d’avoir gaspillé $30 millions en concluant un accord pour acheter un charbon de mauvaise qualité en Afrique du Sud et en augmentant son prix de façon injustifiée lors de la vente aux consommateurs ukrainiens. Le gouvernement a changé après les élections législatives et l’affaire a été oubliée.

Ioulia Timochenko a révélé la corruption dans Naftogas, une société d’énergie de l’État. Rien n’a été fait pour vérifier ses accusations. Selon Timochenko, le coût des prix du gaz en Ukraine est de $23.5 pour mille mètres cubes. Il est vendu à un prix beaucoup plus élevé pour amasser des fonds pour les pots de vin. Elle a dit que les négociants de gaz régionaux ajoutaient de l’azote pour réduire l’efficacité calorifique du gaz et ainsi augmenter la consommation et par la suite, les paiements par les locataires et les services publics. Ils en tirent un profit personnel. Rien n’a été fait pour enquêter sur l’affaire parce que la question principale pour Timochenko est la lutte contre Iatseniouk, pas la remise en ordre du secteur de l’énergie.

Porochenko exerce une pression sur Iatseniouk. Le député S. Kaplin du parti présidentiel a présenté un projet de loi pour la création d’un comité d’enquête sur les cas de corruption dans le gouvernement. L’ancien chef de l’inspection financière de l’État Nicholas Gordienko a déclaré que le gouvernement de Arseni Iatseniouk utilise des schémas de corruption, dont le montant s’élève à près de $320 millions. Selon lui, des techniques de corruption étaient utilisées par les chemins de fer ukrainiens, Ukrgasdobicha, Ukrpochta, Ukrzheleznodorozhpostavki, Ukrtrangas et Neftegas. En réponse, Gordienko a été viré  et on a intenté un procès contre lui. Le Premier ministre Iatseniouk reste en fonction.

Après la révolution de la dignité [Maidan, NdT], l’Ukraine a créé un bureau anti-corruption. Il faut payer 100 000 dollars pour y appartenir (sic). Ceux qui sont prêts à verser ces sommes savent qu’ils seront payés de retour en trois mois.

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Naturellement, la corruption totale en Ukraine provoque l’inquiétude des investisseurs occidentaux et des bailleurs de fonds, qui, comme David Cameron l’a noté, doivent jeter de l’argent dans des trous noirs en violant les lois de leur propre pays. La députée européenne Beatrix von Storch dit que la décision du Parlement européen d’accorder des crédits à l’Ukraine viole l’article 212 de la Constitution européenne. Steve Stockman, du Comité de la Chambre américaine des affaires étrangères, a demandé au Service de recherche du Congrès d’enquêter sur les cas de corruption et de fraude sur les fonds publics en Ukraine. L’Occident est en train de perdre son intérêt, il ne voit pas de perspectives pour faire des affaires avec la corruption en Ukraine. Les gouvernements des États occidentaux et les grandes institutions internationales ne prévoient pas de prendre part à la Conférence internationale pour le soutien financier à l’Ukraine qui se tiendra le 28 avril. Le commissaire européen Johannes Hahn, qui est responsable de la politique de voisinage de l’UE, a déclaré à Reuters: «Nous devons éviter un puits sans fond. Nous voulons avoir un plan précis.» Toute cette histoire de la relation entre l’Ukraine et les donateurs étrangers montre qu’il y a un seul plan possible. Il se résume à chercher de l’argent pour le voler. Une fois attribué, il disparaît dans un trou noir.

Alexander Donetsky

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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