La muraille de Kiev à la frontière de la Russie, l’Ukraine orientale est fumasse


Par Fred Weir – Le 23 avril 2015 – Source Russia Insider

Surprise, surprise!  L’Ukraine orientale n’apprécie pas l’initiative du pouvoir central de la séparer de la Russie par une clôture. Les locaux disent que Kiev n’a aucune idée du point auquel elle aggrave la situation de la région avec des initiatives du genre de la Grande muraille d’Ukraine.

L’idée géniale de Kiev enrage la région de Kharkov

KHARKIV, UKRAINE — Elle a été surnommée la Grande muraille d’Ukraine. Son dispositif prévu de clôtures de barbelés, de miradors, de bermes et de pièges à chars le long des 1300 miles [environ 2100 km] de la frontière avec la Russie ressemble à quelque chose que vous pourriez trouver sur l’une des frontières entre Israël et ses voisins hostiles.

S’il est terminé un jour, le mur scellera une frontière qui, jusqu’à l’an dernier, avait toujours été largement ouverte. Inaugurant la construction l’automne dernier, le Premier ministre Arseni Iatseniouk a indiqué que le but visait davantage qu’une simple barrière physique. «Ce sera la frontière orientale de l’Europe», a-t-il déclaré.

Mais dans la cité voisine de Kharkiv, une ville d’un million et demi d’habitants en très grande majorité russophones, mentionner le mur est accueilli surtout par des grognements irrités. L’idée d’une séparation permanente et irrévocable de la Russie ne suscite pratiquement aucune approbation. Beaucoup de gens ici ont de la famille et des amis en Russie, l’économie locale est fortement dépendante du commerce avec la Russie, et certains disent qu’ils ne peuvent tout simplement pas comprendre la raison d’être d’une frontière à cet endroit.

«La ville russe de Belgorod est à une heure de voiture; jusqu’à tout dernièrement, il n’y avait quasiment pas de formalités à la frontière. C’est un lieu de mon enfance; j’aime cet endroit, dit Yury Smirnov, un chauffeur de taxi. Maintenant, les contrôles à la frontière durent des heures, et c’est humiliant. Belgorod pourrait aussi bien être sur la lune.»

La tension entre Kharkiv et Kiev n’est que trop évidente ces jours. Tandis que les patriotes pro-Kiev sont visibles – profitant de la nuit, des groupes d’activistes ont démoli trois monuments importants de l’époque soviétique la semaine dernière –, la plupart des conversations avec les gens révèlent rapidement, à des degrés divers, la colère et désillusion à l’égard du nouveau gouvernement révolutionnaire. Chacun, ici, des deux côtés des barricades, est d’accord pour dire qu’ils sont horrifiés par ce qu’il se passe dans le Donbass voisin et qu’ils ne veulent pas voir la guerre arriver à Kharkiv. Mais les défenseurs des deux points de vue admettent qu’il faudra que Kiev fasse beaucoup d’efforts pour gagner leurs cœurs, en partie à cause de la crise économique que beaucoup imputent à un gouvernement pour lequel ils n’ont jamais voté.

«Les gens en Ukraine occidentale sont enclins à se serrer la ceinture et à penser Nous sommes en guerre avec la Russie, bien sûr il faut des sacrifices. Mais les gens ici disent: Nous vivions mieux sous [le président destitué Victor] Ianoukovitch avant que ces nouvelles personnes arrivent», dit Alexander Kirsch, un député de la Rada, le parlement ukrainien, qui est de Kharkiv et conseiller du Premier ministre Iatseniouk.

Un exercice d’équilibriste

Les gens ici ont massivement voté pour M. Ianoukovitch en 2010. Quand il a été renversé, les séparatistes ont commencé à brandir leurs drapeaux et à occuper les bâtiments même avant que les troubles n’éclatent au Donbass, où se trouvent les oblasts rebelles de Donetsk et Lougansk. Mais le maire démocratiquement élu de la ville, Gennady Kernes, après avoir brièvement fleureté avec le séparatisme, a commencé à prôner fortement la réconciliation avec le nouveau gouvernement, et les passions se sont apaisées.

Pourtant, quand des élections parlementaires se sont tenues en octobre dernier, à peine 45% des gens d’ici se sont présentés dans les bureaux de vote – remarquable, quand on sait que nulle part dans tout l’est russophone de l’Ukraine, le taux de participation au vote n’a atteint 50%. Et ceux qui ont voté ont pour la plupart soutenu la nouvelle version du parti de Ianoukovitch, connue aujourd’hui comme le Bloc d’opposition.

Lors d’une tentative d’assassinat encore non résolue, M. Kernes s’est fait tirer dessus pendant qu’il faisait son jogging à Kharkiv il y a un an. Il a passé plusieurs semaines de convalescence en Israël mais, aujourd’hui en fauteuil roulant, il est de retour à la tête de la ville et plus que jamais en désaccord avec les autorités de Kiev. Plus tard ce mois, il devra répondre lors d’un procès pour l’accusation d’enlèvement par le procureur de Kiev. Ses partisans insistent sur le fait que les accusations sons sans fondement et ont été forgées de toutes pièces afin de punir le maire pour sa position indépendante.

Il pourrait même se trouver encore plus en difficulté en raison de sa méfiance à l’égard d’une résolution votée à l’unanimité par la Rada en janvier, selon laquelle il est illégal de nier que la Russie est un État agresseur. A un journaliste qui lui demandait à brûle-pourpoint s’il était d’accord, Kernes a répondu: «Personnellement, je ne considère pas que la Russie soit un agresseur.»

En raison de son mauvais état de santé, Kernes n’a pas été disponible pour parler au Monitor récemment. Mais le porte-parole du conseil municipal favorable au maire a dit que ce dernier fait de son mieux pour contenir une ville où les gens ne sont pas seulement frappés par la crise économique la plus grave depuis les années 1990, mais sont aussi agacés par les initiatives de Kiev, dont ils ne voient pas la nécessité.

«Kiev risque une explosion sociale ici, affirme M. Sidorenko. C’est comme si, à Kiev, ils ne comprenaient rien à ce que les gens pensent et ressentent à Kharkiv. Ils se comportent comme des révolutionnaires, ils nous traitent comme du mastic à mouler dans leur nouvelle forme. Ils n’ont pas la plus vague idée de la façon dont ils aggravent les choses ici.»

Sombres perspectives

Une nouvelle série de lois votées plus tôt ce mois visent à interdire les symboles de l’époque soviétique et à accorder le statut de héros de l’Ukraine à des combattants antisoviétiques que les Ukrainiens de l’est ont appris à considérer comme des ennemis. Elles ajouteront le 8 mai – Jour de la Victoire en Europe de la Seconde Guerre mondiale – à la célébration traditionnelle du 9 mai, Jour de la victoire.

«Nous redoutons vraiment le 9 mai, cette année, dit Sidorenko. Il y a plusieurs milliers de gens qui sont des vétérans de l’Armée rouge, leurs enfants ou leurs partisans, qui iront manifester et ils porteront des symboles et des drapeaux soviétiques. Habituellement, c’est un jour heureux. Mais cette année, il pourrait y avoir des problèmes.»

Les perspectives à long terme sont encore pires. Comme la plupart des villes d’Ukraine de l’est, Kharkiv était étroitement intégrée à la machine industrielle soviétique. Le commerce avec la Russie a chuté presque de moitié l’an dernier à cause des sanctions réciproques. La ville a une énorme usine qui fabrique des turbines électriques, dont la plus grande partie était auparavant vendue à la Russie. Une usine d’assemblage d’avions Antonov est proche de la faillite, la plupart des ouvriers sont au chômage technique, pour les mêmes raisons. La seule fabrique locale qui semble prospérer est la Malyshev Works, qui construit des chars blindés pour l’armée ukrainienne.

«La guerre au Donbass prendra fin un jour, et normaliser les relations avec la Russie sera une priorité, dit Vadim Karasyov, le directeur d’un institut indépendant à Kiev, l’Institut des stratégies globales. Mais en ce moment, nous pourrions avoir perdu notre base industrielle. L’Ukraine avait des positions dans l’aviation, l’industrie de l’espace, et nous étions un grand producteur d’armement. Tout cela dépendait fortement du marché russe. De la manière dont vont les choses, une nation qui a été un jour une grande puissance industrielle finira par rejoindre l’Europe comme un pays agricole.»

Mais M. Kirsch, le seul membre du parti du Premier ministre élu dans toute l’Ukraine de l’est, dit que ces industries font partie de la mainmise de la Russie sur l’Ukraine et qu’elles doivent être démantelées et vendues de manière à ce que des entreprises plus petites, indépendantes, puissent pousser sur leurs ruines.

«La désindustrialisation n’est pas le but. La question est de faire des affaires rentables et efficaces. Le marché décidera», dit-il. Les énormes forces de travail mal payées de ces usines agonisantes, avec leurs gestionnaires corrompus, freinent l’Ukraine, selon lui. Oui, ce sera pénible. «Mais l’alternative, laisser les choses comme elles étaient et rester amis avec la Russie, est bien pire.»

Contrairement à de nombreux responsables à Kiev, Kitsch admet qu’il y a une scission nette du public entre l’Ukraine de l’ouest et celle de l’est, et qu’elle pourrait être très difficile à guérir.

«Depuis le début de la guerre, des changements d’attitude ont eu lieu, mais cela arrive trop lentement, dit-il. Nous nous dirigeons tous vers l’Europe, mais Kharkiv freine et entrave partout».

Fred Weir

Article original paru dans The Christian Science Monitor

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

 

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