Si la résolution HJ.84, intitulée Autorisation d'utilisation de la force militaire contre l’extrémisme islamiste, en est le signe, Obama aurait raison de penser comme cela. Parrainée par le Républicain Scott Perry et coparrainé par les Républicains Matt Salmon et Cynthia Lummis, le projet de loi créerait une longue liste des «organisations qui soutiennent l'extrémisme islamiste» qui deviendraient des cibles autorisées, alors que beaucoup de ces organisations n’ont rien fait contre l'Amérique. C’est une loi complètement dingue. – Doug Bandow
Par Doug Bandow – Le 24 juin 2016 – Source Strategic Culture
Tout le monde sait que le Congrès n’est qu’une assemblée de lâches.
La Constitution a déposé le pouvoir de déclarer la guerre entre les mains de la branche législative. Cela ne signifie pas simplement prendre note du fait que le président a bombardé ou envahi une autre nation. C’est au Congrès de décider s’il y aura guerre ou pas. Le délégué à la Convention Constitutionnelle, James Wilson, avait expliqué : «Il ne sera pas dans le pouvoir d’un seul homme, ou d’un seul groupe d’hommes, de nous impliquer dans une telle détresse; pour cela, le pouvoir important de déclarer la guerre revient au corps législatif, au sens large.»
Au cours des dernières décennies, cependant, les membres du Congrès ont préféré laisser ces décisions difficiles au président. Si la guerre se passe bien, ils applaudissent. Dans le cas contraire, ils critiquent. Cette abdication constitutionnelle a permis de mettre en place des plans de guerre unilatéraux, auxquels les présidents n’ont été que trop heureux de se prêter.
Le seul exemple contraire, au cours des dernières années, a été lorsque le président Barack Obama a posé la question de l’utilisation d’armes chimiques par la Syrie au Congrès. Les Américains ont poussé massivement leurs législateurs à rejeter cette implication militaire dans un autre grave conflit moyen-oriental. Les faucons républicains ont été dépassés par les membres de leur propre parti.
Ce qui n’a pas empêché le président de se baser sur l’autorisation périmée, adoptée après les attentats terroristes du 11 septembre, pour valider ses multiples campagnes aériennes de drones, ainsi que le déploiement de formateurs, de conseillers et de forces d’opérations spéciales. Obama ne croit certainement pas que l’ancienne AUMF (autorisation d’utilisation de la force militaire), dirigée contre ceux qui ont planifié les attaques contre le Trade Center et le Pentagone, ait encore une quelconque pertinence dans le monde d’aujourd’hui. Mais il peut craindre que le Congrès ne rende sa mauvaise situation encore pire.
Si la résolution HJ.84, intitulée Autorisation d’utilisation de la force militaire contre l’extrémisme islamiste, en est le signe, Obama aurait raison de penser comme cela. Parrainée par le Républicain Scott Perry et coparrainé par les Républicains Matt Salmon et Cynthia Lummis, le projet de loi créerait une longue liste des «organisations qui soutiennent l’extrémisme islamiste» qui deviendraient des cibles autorisées, alors que beaucoup de ces organisations n’ont rien fait contre l’Amérique. C’est une législation complètement dingue.
Normalement, un pays déclare la guerre contre des entités, non pas contre des philosophies. Habituellement, l’ennemi est une autre nation. Dans le monde d’aujourd’hui, cela pourrait effectivement être appliqué à un groupe. Mais la guerre consiste à détruire des États, démanteler des organisations et tuer des gens. Pas à critiquer des idéologies ou des théologies. Ce qui importe n’est pas de savoir si un groupe est islamiste, mais si ce groupe met en danger l’Amérique.
Deuxièmement, la menace pour l’Amérique et d’autres pays est l’extrémisme violent, pas l’extrémisme en lui-même. Il n’est pas particulièrement important de savoir si les gens ont des idées dingues, à partir du moment où ils ne tuent pas, ne mutilent pas, n’enlèvent pas, ne torturent pas et ne nuisent à personne. Il vaut mieux les éviter plutôt que de les exécuter. Si Adolf Hitler était resté un artiste de rue dérangé à Vienne, les États-Unis n’auraient eu aucune raison de le cibler en dépit de ses idées hideuses. La guerre devint nécessaire lorsque Hitler est devenu chancelier de l’Allemagne et que les divisions blindées allemandes ont été utilisées pour imposer ses opinions.
Enfin, une guerre ne devrait être lancée que pour répondre aux menaces qui pèsent sur l’Amérique, pas pour régler les problèmes de voisinage des autres nations. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Washington a déclaré la guerre au Japon et à l’Allemagne, puis plus tard à l’Italie, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie. Tous se battaient contre l’Amérique ou ses alliés. Le Congrès n’a pas adopté une résolution contre le fascisme. L’Espagne avait choisi de ne pas entrer dans le conflit, alors même que le dictateur Francisco Franco avait reçu le soutien de l’Allemagne et de l’Italie pendant la guerre civile. Le régime de Franco était peut être maléfique, mais il ne représentait aucune menace sécuritaire pour l’Amérique. D’autres gouvernements auraient pu être considérés comme fascistes, mais Washington n’avait aucune raison de les attaquer.
Pourtant, les représentants Perry, Salmon et Lummis sont arrivés avec de nombreux nouveaux ennemis, tous dans le même sac : «État islamique, al-Qaïda, al-Qaïda dans la péninsule arabique, al-Qaïda au Maghreb islamique, Al Shabab, Boko Haram, le front al-Nusra, le réseau Haqqani, les talibans, les Houthis, le groupe Korasan, le Hamas, le Hezbollah ainsi que les partisans importants, les forces associées ou étroitement liées, des successeurs potentiels, à l’une de ces organisations.»
Mais alors, pourquoi s’arrêter là ? Car il y a quelques autres insurgés, des dissidents ou des factions qui pourraient être rajoutés à la liste. Pourquoi pas le groupe Abu Sayyaf aux Philippines ? Ils ont bien enlevé des Américains, et les États-Unis ont envoyé des militaires pour former l’armée philippine. La Chine assure le monde que les Ouïgours musulmans sont des terroristes, alors pourquoi ne pas les ajouter ? Qu’en est-il des talibans pakistanais, qui diffèrent des forces opérant en Afghanistan ? Sous l’impulsion d’Islamabad, les États-Unis ont déjà utilisé des drones contre eux. Et puis, certainement, les Tchétchènes russes, qui ont, sans aucun doute, commis des atrocités contre des civils, devraient faire partie de la liste. Et tous ceux que j’oublie.
La sélection proposée d’ennemis illustre bien le problème de la politique étrangère des États-Unis. EI doit être sur la liste, car il est actuellement au centre de l’action militaire au Moyen-Orient. Mais il n’a pas lancé d’acte de terrorisme contre l’Amérique ou l’Europe, avant que Washington et ses alliés n’aient lancé la lutte contre le califat. Le terrorisme est devenu la seule arme de représailles efficace d’EI. Si Washington avait laissé mener la bataille par ceux de la région vraiment menacés par État islamique, de la Turquie à l’Irak, de l’Égypte à l’Arabie saoudite, le groupe aurait probablement focalisé son énergie terroriste ailleurs que dans le monde occidental.
Al-Qaïda reste un ennemi, mais il n’en reste plus grand chose après quinze ans. En outre, en soutenant la campagne brutale de l’Arabie saoudite au Yémen, Washington a affaibli les forces luttant contre al-Qaïda et ouvert un espace pour EI, permettant au deux d’étendre leur influence. Soutenir une guerre insensée rend nécessaire d’en faire une autre, du point de vue des trois membres du Congrès.
Al Shabab est essentiellement un gang criminel opérant en Somalie. Il est composé de gens méchants, mais ils ont peu à voir avec l’Amérique. L’Union africaine est déjà intervenue militairement en Somalie. Il n’y a aucune raison pour les États-Unis de prendre, encore une fois, la responsabilité de la guerre sur un autre continent.
Le même raisonnement vaut pour Boko Haram, la vicieuse insurrection islamique au Nigeria. Tous les malfaisants de la terre ne doivent pas devenir le problème de l’Amérique. Dans les faits, Boko Haram a gagné le soutien populaire à cause de la corruption, les violations des droits de l’homme et l’incompétence des forces gouvernementales. Tout ce que va gagner l’Amérique, en déclarant la guerre à ce groupe, est de réduire la pression sur Abuja pour qu’elle se réforme. En outre, la participation des États-Unis aiderait Boko Haram en lui donnant l’occasion de se présenter comme le héros luttant contre les ennemis de l’Islam.
Al-Nusra et le groupe Khorasan sont apparemment associés à al-Qaïda, mais sont effectivement concentrés sur la guerre civile en Syrie. Ironie du sort, ils sont du côté de l’Amérique dans ce conflit et ont grandement bénéficié des armes américaines que lui ont rétrocédées les soi-disant insurgés modérés. Alors que Washington a de bonnes raisons d’espérer que les deux groupes soient vaincus par des opposants au régime plus amicaux, ou même par le gouvernement Assad, ils n’ont pas attaqué les États-Unis. La meilleure politique militaire en Syrie est de rester en dehors de tout cela.
Le réseau Haqqani et les talibans sont les adversaires de l’Amérique en Afghanistan. Cependant, Washington a depuis longtemps rempli ses principaux objectifs dans ce tragique pays d’Asie centrale, en dispersant al-Qaïda et en punissant les talibans pour avoir accueilli des terroristes anti-américains. Ces derniers ne sont pas susceptibles de refaire cette erreur, ce qui veut dire que les États-Unis devraient se retirer et renoncer à leur tentative désespérée de construction nationale et de promotion de la démocratie en Asie centrale.
Loin d’être des extrémistes islamistes, les Houthis étaient connus pour leur modération religieuse et sont une variante chiite proche des sunnites. Le groupe n’a jamais ciblé d’Américains. Cependant, les Houthis se battent contre le gouvernement central du Yémen depuis 2004, et ont gagné la supériorité militaire en s’alliant avec l’ancien président Ali Abdullah Saleh, que l’Amérique a longtemps soutenu. Les Houthis n’ont jamais été contrôlés par l’Iran. C’est l’Arabie saoudite, un État totalitaire qui ne permet pas la liberté, qui a transformé le conflit en une lutte sectaire religieuse. Les observateurs extérieurs signalent que Riyad est responsable de la majeure partie des décès de civils au Yémen : Washington serait plus justifié de déclarer la guerre à l’Arabie saoudite, qui continue de promouvoir le wahhabisme fondamentaliste dans le monde entier.
Le Hamas est une organisation maléfique, mais n’a pas d’ambitions mondiales et ne menace pas l’Amérique. Israël est bien capable de faire face à son adversaire beaucoup plus faible. Washington ne devrait pas déclarer la guerre à ces pays, ces mouvements ou ces groupes, juste parce qu’une puissance alliée souhaite qu’elle le fasse.
Le Hezbollah, également, n’est pas un ami d’Israël, mais pas un ennemi militaire de l’Amérique. Même s’ils ont été accusés des attentats de 1983 contre l’ambassade des États-Unis et la caserne du Corps des Marines, la responsabilité exacte est incertaine. L’organisation était seulement en train d’émerger à l’époque et n’a été complètement formée qu’en 1985. En fait, le Premier ministre israélien Ehud Barak a admis que c’était la présence militaire de son pays qui a créé le Hezbollah. Dans tous les cas, en 1983, les États-Unis sont devenus un combattant de la guerre civile ethnique du Liban et ont bombardé les forces islamiques. Washington ne pouvait alors prétendre à l’immunité contre des vengeances. Cibler le Hezbollah aujourd’hui mettrait l’Amérique en désaccord avec le gouvernement libanais et une nation avec une forte population chrétienne qui exerce un pouvoir politique régional important.
L’Amérique a été en guerre tous les jours depuis que le Congrès a adopté l’AUMF, à la suite des attaques du 11 septembre. Il en résulte une Amérique moins sûre, la création de nouveaux ennemis et le déclenchement de nouveaux conflits. Pourtant, les représentants Perry, Salmon et Lummis voudraient autoriser une action militaire ouverte contre une foule de nouveaux groupes qui ne sont pas actuellement en guerre contre les États-Unis. La menace terroriste augmenterait en conséquence.
Au lieu de cela, le Congrès ne devrait approuver de future action militaire que lorsque Washington n’a aucun autre moyen de protéger l’Amérique – son territoire, son peuple et ses libertés constitutionnelles. Les pères fondateurs voulaient déjà restreindre les dirigeants militaristes. Ils ne considéraient pas la guerre comme une option politique possible, mais comme quelque chose à éviter, si possible. James Madison a écrit : «De tous les ennemis de la vraie liberté, la guerre est peut-être le plus à craindre, parce qu’elle renferme et développe le germe de tous les autres.» C’est encore plus vrai aujourd’hui que lorsque l’Amérique a été fondée.
Doug Bandow est un analyste sénior de la Cato Institute et ancien assistant spécial du président Ronald Reagan.
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.
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