Déconstruire les clichés populaires sur la guerre moderne


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Par le Saker US – Le 19 mai 2016 – Source thesaker.is

À quoi ressemblerait une guerre entre la Russie et les Etats-Unis ?

Ce doit être la question qu’on me pose le plus souvent. C’est aussi la question à propos de laquelle j’entends les réponses les plus bizarres et les plus mal informées. J’ai abordé cette question par le passé dans de nombreux articles 1.

Il serait vain pour moi de tout répéter ici, donc je vais tenter d’approcher la question sous un angle quelque peu différent, mais je recommande fortement que ceux qui s’y intéressent, prennent le temps de lire ces articles [en anglais, NdT] qui, bien qu’ils aient été pour la plupart écrits en 2014 et 2015, sont encore valables pour l’essentiel, en particulier dans la méthode utilisée pour aborder cette question. Tout ce que je propose aujourd’hui, est de déconstruire quelques clichés populaires sur la guerre moderne en général. Mon espoir est que, par ce travail, vous puissiez vous emparer de quelques instruments indispensables pour vous frayer un chemin dans les absurdités que les médias commerciaux aiment à nous présenter comme des analyses.

Cliché No 1: l’armée US a un immense avantage conventionnel sur la Russie

Tout dépend de ce que vous entendez par avantage. Les forces armées étasuniennes sont beaucoup plus importantes que les russes, c’est vrai. Mais, contrairement aux forces russes, elles sont réparties sur toute la planète. Dans la guerre, ce qui compte, ce n’est pas la taille de votre armée, mais quelle part de celle-ci est effectivement disponible pour combattre sur le théâtre des opérations militaires (TOM, zone de conflit). Par exemple, si sur un TOM donné, vous n’avez que deux aérodromes capables chacun de soutenir des opérations aériennes pour, disons, 100 avions, cela ne vous servira à rien d’avoir 1000 avions disponibles. Vous devez avoir entendu la phrase «les civils se concentrent sur la puissance de feu, les soldats sur la logistique». C’est vrai. Les armées modernes sont gourmandes en soutien logistique, ce qui signifie que pour un tank, un avion ou une pièce d’artillerie, vous avez besoin d’une ligne d’approvisionnement immense et complexe, pour permettre au char, à l’avion ou à la pièce d’artillerie d’opérer de manière normale. Pour le dire simplement, si votre char manque d’essence ou de pièces de rechange, il s’arrête. Donc cela n’a aucun sens de dire, par exemple, que les États-Unis ont 13 000 avions et la Russie seulement 3 000. Ce pourrait bien être vrai, mais c’est aussi non pertinent. Ce qui importe, est seulement combien d’avions les États-Unis et l’Otan peuvent engager au moment du lancement des opérations de combat et ce que serait leur mission. Les Israéliens ont une longue histoire de destruction des forces aériennes arabes au sol plutôt que dans les airs, dans des attaques surprises qui sont la meilleure façon de dénier l’avantage numérique d’un adversaire. La réalité est que les États-Unis auraient besoin de nombreux mois pour rassembler en Europe occidentale une force qui aurait même un espoir marginal de l’emporter sur l’armée russe. Une autre réalité est que rien ne pourrait forcer les Russes à rester assis à observer, alors qu’une telle force est en train d’être rassemblée (la plus grande erreur commise par Saddam Hussein).[ 2. Lorsqu’il s’agissait de faire la guerre à l’Iran, il y a encore quelques années, les experts estimaient à 18 mois le temps nécessaire à l’armée US pour se mettre en ordre de combat, NdT]

Cliché No 2: un attaquant a besoin d’un avantage de 3 contre 1 ou même de 4 contre 1 sur le défenseur

Bon, c’est un peu vrai, en particulier au niveau tactique. C’est souvent utilisé comme une règle générale empirique, qu’être en position de défense vous donne un avantage de 3 contre 1, ce qui signifie que si vous avez un bataillon en défense vous pourriez avoir à peu près trois bataillons en attaque pour pouvoir espérer une victoire. Mais en regardant les choses à un niveau opérationnel ou, même plus, stratégique, cette règle est totalement fausse. Pourquoi ? Parce que le camp défensif a un immense désavantage : c’est toujours l’attaquant qui peut décider de quand attaquer, où et comment. Pour ceux qui sont intéressés à ce sujet, je vous recommande vivement le livre Surprise Attack: Lessons for Defense Planning de Richard Betts, qui, bien que relativement ancien (1982) et très centré sur la Guerre froide, propose une discussion très intéressante et approfondie sur les avantages et les risques d’une attaque surprise. C’est un sujet passionnant que je ne peux pas discuter en détail ici, mais permettez-moi seulement de dire qu’une attaque surprise menée avec succès, nie presque totalement l’avantage des rapports de force théoriques pour le défenseur.  Je vous donne un simple exemple : imaginez une ligne de front de 50 km, sur laquelle chaque tronçon de 5 kilomètres est défendu des deux côtés par une division. Donc chaque camp a 10 divisions, chacune responsable de la défense de 5 km de front, d’accord ? Selon la règle des 3 contre 1, le camp A a besoin de 30 divisions pour vaincre les 10 divisions en défense, c’est juste ? Faux ! Ce que le camp A peut faire, est de concentrer 5 de ses divisions sur un front large de 10 km et de mettre les cinq autres à la défense. Sur ce front de 10 km côté attaque, il a maintenant 5 divisions attaquantes contre 2 en défense tandis que sur le reste du front, le côté A a 5 divisions en défense contre 8 divisions attaquantes (potentielles). Notez que maintenant le côté B n’a pas un avantage de 3 contre 1 pour vaincre les défenses du côté A (la proportion actuelle est maintenant de 8 contre 5). En réalité, ce que fera B est de lancer davantage de divisions pour défendre l’étroit secteur de 10 km mais cela, à son tour, signifie que B a maintenant moins de divisions pour défendre le front entier. À partir de là, vous pouvez faire plusieurs hypothèses : le côté B peut contre-attaquer au lieu de défendre, il peut défendre en profondeur (à divers échelons, 2 ou même 3), le côté A pourrait aussi commencer par faire semblant d’attaquer sur un secteur du front pour ensuite attaquer ailleurs, ou le côté A peut envoyer, disons, un bataillon renforcé pour se déplacer très rapidement et créer le chaos profondément dans la défense de B. Ce que je veux dire ici, est simplement que cette règle des 3 contre 1 est purement tactique et que dans la guerre réelle, les rapports de force (normes) exigent des calculs plus développés, en y incluant les conséquences d’une attaque surprise.

Cliché No 3 : la haute technologie l’emporte

C’est une affirmation extraordinairement fausse, et pourtant ce mythe est érigé en dogme parmi les civils, en particulier aux États-Unis. Dans le monde réel, les systèmes d’armes sophistiqués, aussi précieux soient-ils, présentent aussi une longue liste de problèmes, le premier étant tout simplement leur coût.

Lorsque j’étudiais la stratégie militaire à la fin des années 1990, l’un de nos enseignants (de l’US Air Force) nous a présenté un graphique montrant le coût croissant d’un unique avion de combat américain des années 1950 aux années 1990. Il a ensuite projeté cette tendance dans le futur et a conclu, en plaisantant, que vers 2020 (si je me rappelle bien) les États-Unis n’auraient d’argent que pour un seul et très, très cher avion de combat. C’était une plaisanterie, bien sûr, mais elle contenait une leçon très sérieuse : les coûts collatéraux peuvent entraîner des systèmes d’armes excessivement chers, qui ne peuvent être produits qu’en tout petit nombre et qu’il est très risqué d’engager.

La technologie est aussi habituellement fragile et exige un réseau d’assistance, de maintenance et de réparation très complexe. Cela n’a aucun sens d’avoir le meilleur char de la planète, s’il passe la plus grande partie de son temps dans des réparation importantes.

En outre, l’un des problèmes des engins à la technologie sophistiquée, est que leur complexité permet de les attaquer de nombreuses manières différentes. Prenez par exemple un drone armé. Il peut être détruit par :

  1. un tir qui l’élimine du ciel (défense active)
  2. l’aveuglement ou une autre mise hors service de ses capteurs (défense active)
  3. le brouillage de ses communications avec l’opérateur (défense active)
  4. le brouillage ou la paralysie de son système de navigation (défense active)
  5. le camouflage/le leurre (défense passive)
  6. la présentation de fausses cibles (défense passive)
  7. la protection des cibles par exemple en les enterrant (défense passive)
  8. la mobilité constante et/ou décentralisée et/ou redondante (défense passive)

Il y a encore beaucoup de mesures possibles, tout dépend de la menace effective. L’essentiel ici est, de nouveau, le coût et l’aspect pratique : combien cela coûte-t-il pour développer, construire et déployer un système d’armement avancé, par opposition au coût d’une contre-mesure (ou de plusieurs).

Enfin, l’Histoire a montré à de multiples reprises que la volonté est beaucoup plus importante que la technologie. Voyez seulement la défaite absolument humiliante et totale, infligée par le Hezbollah en 2006 aux Forces de défense israéliennes dotées de haute technologie pour plusieurs milliards de dollars.  Les Israéliens ont utilisé toute leur force aérienne, une bonne partie de leur marine, leur très importante artillerie, leurs tout nouveaux chars et ils ont été vaincus, affreusement battus par probablement moins de 2 000 combattants du Hezbollah, et encore ce n’étaient pas les meilleurs (le Hezbollah avait gardé les meilleurs au nord de la rivière Litani). De même, la campagne aérienne de l’Otan contre l’armée serbe au Kosovo passera dans l’Histoire comme l’une des pires défaites d’une immense alliance militaire soutenue par des armes high-tech infligée par un petit pays doté de systèmes d’armement clairement démodés.

Dans ces deux guerres, ce qui a vraiment sauvé les Anglosionistes, est une machine de propagande de classe mondiale, qui a réussi à dissimuler l’ampleur de la défaite des forces anglosionistes. Mais l’information est là, et vous pouvez aller voir vous-mêmes.

Cliché No 4 : les grands budgets militaires l’emportent

C’est aussi un mythe tout particulièrement chéri aux États-Unis. Combien de fois avez-vous entendu quelque chose comme «le milliard de dollars du B-2» ou «le porte-avion de classe Nimmitz à 6 milliards de dollars» ? La présupposition ici, est que si le B-2 ou le Nimitz coûtent autant d’argent, ils doivent vraiment être formidables. Mais le sont-ils ?

Prenez le F-22A Raptor à plus de trois cents millions de dollars, puis allez voir l’article de Wikipédia [en anglais, NdT] sur ce F-22A et lisez le chapitre Deployements. Qu’est-ce que nous lisons ? Le bombardier intercepte quelques T-95 russes (date d’introduction : 1956), un F-4 Phantom iranien (date d’introduction : 1960) et enfin quelques bombardements en Syrie et un assortiment hétéroclite d’engagements à l’étranger pour des raisons de relations publiques. Et voilà ! Sur le papier, le F-22A est un avion impressionnant et, il l’est vraiment à bien des égards, mais la réalité de la vraie vie est que le F-22A n’a été utilisé que pour des missions qu’un F-16, F-15 ou F-18 aurait pu accomplir à un coût moindre et où il aurait même fait mieux (le F-22A est un bombardier médiocre, ne serait-ce que parce qu’il n’a jamais été conçu pour en être un).

J’entends déjà le contre-argument : le F-22A a été conçu pour une guerre contre l’URSS et si cette guerre avait eu lieu, il aurait été tout à fait à la hauteur. Ouais, peut-être, excepté que moins de 200 ont été construits. Excepté qu’afin de maintenir une faible signature radar, le F-22 a une minuscule soute à armement. Excepté que les Soviétiques ont déployé des systèmes de recherche et de poursuite à infra-rouge sur tous leurs MiG-29 (un avion de combat vraiment pas high-tech) et leurs SU-27.  Excepté que les Soviétiques avaient déjà commencé à développer des radars anti-furtifs et qu’actuellement le F-22A est fondamentalement inutile contre les radars russes modernes. Cela n’a rien à voir avec la technologie, le F-22A est une réalisation superbe et un avion de combat très impressionnant par sa supériorité aérienne. Mais il n’aurait pas fait de différence significative dans une vraie guerre entre les États-Unis et l’Union soviétique.

Cliché No 5 : les grandes alliances militaires aident à gagner les guerres

Encore un mythe sur les guerres chéri par les Occidentaux : les alliances gagnent les guerres. L’exemple typique est, évidemment, la Seconde Guerre mondiale : en théorie, l’Allemagne, l’Italie et le Japon constituaient les forces de l’Axe, tandis que 24 pays (y compris la Mongolie et le Mexique) formaient les Alliés. Comme nous le savons tous, les Alliés ont vaincu l’Axe. C’est une absurdité totale. La réalité est très différente. Les forces d’Hitler incluaient environ 2 millions d’Européens de 15 pays différents, qui ont ajouté aux forces allemandes 59 divisions, 23 brigades, un grand nombre de divers régiments, bataillons et légions (source : ici, ici et ici).  En outre, l’Armée rouge a provoqué 80% de toutes les pertes allemandes (en hommes et en équipement) pendant la guerre. Tous les autres, y compris les États-Unis et le Royaume-Uni, ont partagé les maigres 20 %  restants et ont rejoint la guerre lorsque Hitler était déjà clairement vaincu. Certains mentionneront les divers mouvements de résistance qui se sont dressés contre les nazis, souvent héroïquement. Je ne nie pas leur valeur et leur contribution, mais il est important de réaliser qu’aucun mouvement de résistance en Europe n’a jamais vaincu une seule division allemande de la Wehrmacht ou des SS (10 000 à 20 000 hommes). En comparaison, rien qu’à Stalingrad, les Allemands ont perdu 400 000 soldats, les Roumains 200 000, les Italiens 130 000 et les Hongrois 120 000, pour des pertes totales de 850 000 hommes. Dans la bataille de Koursk, les Soviétiques ont vaincu 50 divisions allemandes, soit environ 900 000 soldats.

Alors que les mouvements de résistance étaient généralement engagés dans des opérations de sabotage, de diversion ou d’attaque de cibles de grande valeur, ils n’ont jamais été conçus pour attaquer des formations militaires régulières, pas même une compagnie (à peu près 120 hommes). Les forces allemandes en URSS étaient des structures de plusieurs groupes d’armées (Heeresgruppe), chacun contenant 4 à 5 armées (chacune avec environ 150 000 soldats). Ce que j’essaie d’illustrer avec ces chiffres, est que l’ampleur des opérations de combat sur le front de l’Est était non seulement différente de ce qu’un mouvement de résistance pouvait affronter, mais aussi différente de tout autre théâtre d’opération militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, du moins pour la guerre au sol – la bataille navale dans le Pacifique a aussi été menée à une très grande échelle.

Le bilan historique est qu’une force armée unie sous un seul commandement, réussit beaucoup mieux que de grandes alliances. Ou, pour le dire autrement, lorsque de grandes alliances se forment, c’est habituellement le grand balèze qui compte vraiment et tous les autres sont plus ou moins secondaires (bien sûr, le combattant individuel qui est attaqué, mutilé et tué n’a pas l’impression d’être secondaire, mais cela ne change rien au tableau d’ensemble).

Pour parler de l’Otan, la réalité est qu’il n’y a pas d’Otan hors des États-Unis. Les États-Unis sont le seul pays de l’Otan qui compte vraiment. Pas seulement en termes d’effectifs et de puissance de feu, mais aussi en termes de renseignement, de projection de force, de mobilité, de logistique, etc. Chaque commandant étasunien sait et comprend cela parfaitement, et tandis qu’ils sera irréprochablement courtois à l’égard de ses collègues non étasuniens à Mons ou lors des réceptions à Bruxelles, si cela commence a sentir la merde et que quelqu’un doit partir combattre les Russes, les Américains ne compteront que sur eux-mêmes et seront heureux que les autres membres de l’Otan dégagent le passage sans délai.

Cliché No 6 : un déploiement avancé confère un avantage important

Jour après jour, nous entendons les Russes se plaindre que l’Otan s’est déplacée vers leurs frontières, que des milliers de troupes étasuniennes sont déployées aujourd’hui dans les pays baltes ou en Pologne, que les États-Unis ont déployé des missiles anti-balistiques en Roumanie et que des navires de l’US Navy longent constamment les côtes russes dans la mer Noire et la mer Baltique. Tout cela est vrai et tout à fait déplorable. Mais là où les Russes sont un tantinet roublards, c’est lorsqu’ils présentent tout cela comme une menace militaire contre la Russie.

La vérité, d’un point de vue purement militaire, est que le déploiement de forces américaines dans les États baltes ou l’envoi de navires de l’US Navy en mer Noire, sont de très mauvaises idées. Dans le premier cas, parce que les trois États baltes sont de toute façon indéfendables, et dans le second cas parce que la mer Noire est, à toutes fins pratiques, un lac russe, où l’armée russe peut détecter et détruire n’importe quel navire en 30 minutes, ou moins. Les Américains en sont tout à fait conscients et s’ils décident d’attaquer la Russie, ils ne le feraient pas depuis leur navire déployé à l’avant, mais avec des armes à longue portée comme des missiles balistiques ou de croisière.

L’idée que la Russie voudrait attaquer l’un des États baltes ou couler un navire de l’US Navy est ridicule et je ne suis pas en train de suggérer que cela pourrait arriver. Mais si vous considérez des questions purement militaires, vous regardez les capacités, pas les intentions.

La gamme des armes modernes est telle, que dans le cas d’une guerre en Europe, il n’y aura probablement pas de vrai front ni d’arrière, mais être plus près de l’ennemi vous permet plus facilement d’être détecté et exposé à un large éventail d’armes possibles. Dit simplement, plus vous êtes près de la puissance de feu russe, des systèmes de guerre électronique, des réseaux et du personnel de reconnaissance, plus le nombre de menaces potentielles dont vous devez vous soucier est grand.

Je n’irais pas jusqu’à dire qu’un déploiement avancé ne vous donne aucun avantage, c’est le cas : vos systèmes d’armement peuvent frapper plus loin, le temps de vol de vos missiles (balistiques et de croisière) est plus court, vos avions ont besoin de moins de carburant pour atteindre la zone de leur mission, etc. Mais ces avantages représentent un coût très réel. Les forces étasuniennes actuellement déployées de manière avancée sont, au mieux, une petite ligne de front dont le but est politique : tenter de démontrer leur engagement. Mais elles ne sont pas une réelle menace pour la Russie.

Cliché No 7 : Les États-Unis et l’Otan protègent les pays d’Europe de l’Est

Sur le papier et dans la propagande officielle de l’Otan, toute l’Europe et les États-Unis sont prêts, si nécessaire, à commencer la Troisième Guerre mondiale pour défendre l’Estonie [1,3 millions d’habitants] des hordes revanchardes russes. À en juger comment les minuscules États baltes et la Pologne aboient constamment contre la Russie et s’engagent dans des flots de provocations infantiles, mais néanmoins arrogantes et apparemment sans fin, les gens en Europe de l’Est y croient, il me semble. Ils pensent qu’ils font partie de l’Otan, partie de l’Union européenne, partie de l’Ouest civilisé et que leurs patrons anglosionistes les protégeront de ces effrayants Russkofs. Cette croyance ne fait que montrer combien ils sont stupides.

J’ai écrit plus haut que les États-Unis sont la seule véritable force militaire dans l’Otan et que les dirigeants militaires et politiques étasuniens savent tout cela. Et ils ont raison. Les capacités non américaines de l’Otan sont une plaisanterie. Que pensez-vous que valent en réalité, dans le monde, disons les armées belge ou polonaise ? Oui, vous avez raison – à la fois une plaisanterie et une cible. Et qu’en est-il des glorieux et invincibles Portugais et Slovènes ? La même chose. La réalité est que les forces armées non américaines de l’Otan ne sont que des feuilles de vigne cachant le fait que l’Europe est une colonie des États-Unis – certaines feuilles de vigne sont plus grandes, d’autres plus petites. Mais même les plus grandes (l’Allemagne et la France) ne sont que cela – un ustensile jetable au service des véritables maîtres de l’Empire. Si une vraie guerre devait éclater en Europe, on dirait à tous ces petits États européens pompeux qu’ils doivent dégager le passage et laisser les grands garçons prendre les affaires en main. Tant les Américains que les Russes le savent, mais pour pour des raisons politiques, ils ne l’admettront jamais publiquement.

Maintenant, je dois admettre que je ne peux pas prouver ce que je vais dire. Tout ce que je peux faire c’est de fournir un témoignage personnel. Lorsque je travaillais à mon Master en études stratégiques à Washington DC, j’ai eu l’occasion de rencontrer et de passer du temps avec de nombreux militaires américains, allant des officiers de cavalerie blindée déployés dans la Trouée de Fulda à un chef des opérations navales. La première chose que je dirai à leur propos est qu’ils étaient tous patriotes et, je pense, d’excellents officiers. Ils étaient tous tout à fait capables de faire la différence entre les absurdités politiques (comme l’idée du déploiement avancé de portes-avions étasuniens pour attaquer la péninsule de Kola) et la manière dont les États-Unis combattraient vraiment. Un officier supérieur du Pentagone attaché à l’ Office of Net Assessment [un laboratoire d’idées au sein du département de la Défense, chargé de planifier des stratégies à long terme, NdT] était très direct à ce propos et a déclaré à notre classe qu’«aucun président américain ne sacrifiera jamais Chicago pour protéger Munich». Autrement dit, oui, les États-Unis combattraient les Soviets pour protéger l’Europe, mais les États-Unis ne mèneraient jamais cette bataille au point où leur territoire serait menacé par les armes nucléaires soviétiques.

La faille évidente là-dedans, est que cela part de l’idée que l’escalade peut être planifiée et contrôlée. Bon, l’escalade est planifiée dans de nombreux bureaux, agences et départements, mais tous ces modèles montrent en général qu’elle est très difficile à contrôler. Quant à la désescalade, je ne connais aucun bon modèle la décrivant (mais mon exposition personnelle à cette sorte de choses est aujourd’hui très ancienne, peut-être les choses ont-elles changé depuis la fin des années 1990). Gardez à l’esprit que, tant les États-Unis que la Russie ont intégré dans leurs doctrines militaires l’usage des armes nucléaires, pour empêcher une défaite dans une guerre conventionnelle. Donc si nous croyons, comme c’est mon cas, que les États-Unis ne veulent pas recourir aux armes nucléaires pour, disons, sauver la Pologne, alors cela signifie fondamentalement que les États-Unis ne veulent même pas défendre la Pologne avec des moyens conventionnels ou, du moins, ne pas la défendre beaucoup.

Encore une fois, l’idée que la Russie attaquerait quelqu’un en Europe est au-delà du ridicule, aucun dirigeant russe n’envisagerait jamais un plan aussi stupide, inutile, contre-productif et auto-destructeur, ne serait-ce que parce que la Russie n’a pas besoin de territoire. Si Poutine a dit à Porochenko qu’il ne voulait pas s’emparer du Donbass, quelle est la probabilité que les Russes rêvent d’occuper la Lituanie ou la Roumanie ? Je défie quiconque de présenter une raison rationnelle pour les Russes de vouloir attaquer un pays à l’Ouest, ni ailleurs, même si ce pays n’avait pas d’armée et n’était membre d’aucune alliance militaire. En fait, la Russie pourrait avoir facilement envahi la Géorgie dans la guerre du 08/08/08, mais elle ne l’a pas fait. Et quand avez-vous entendu pour la dernière fois que la Mongolie ou le Kazakhstan craignaient une invasion russe (ou chinoise) ?

Par conséquent, la simple vérité est que malgré toutes les grandes gesticulations et les revendications bruyantes sur la défense des Européens contre la menace russe, il n’y a pas de menace russe, exactement comme les États-Unis n’entameront jamais une baston nucléaire avec la Russie pour défendre Chisinau ou même Stockholm.

Conclusion

Donc si tout ce qui précède n’est que clichés sans rapport avec la réalité, pourquoi les médias commerciaux occidentaux sont-ils remplis de telles absurdités ? Principalement pour deux raisons : les journalistes sont pour la plupart prêts à tout et bons à rien, et ils préfèrent de beaucoup diffuser de la propagande pré-emballée, plutôt que faire l’effort d’essayer de comprendre quelque chose. Quant aux têtes parlantes à la télévision, les divers généraux qui parlent en tant qu’experts sur CNN et le reste, ce sont aussi de simples propagandistes. Les vrais pros sont occupés à travailler pour les diverses agences gouvernementales et ils ne vont pas parler en direct à la TV de la menace russe.

Mais la raison la plus importante à cette propagande insensée, est qu’en prétendant constamment débattre d’une question militaire, les propagandistes anglosionistes dissimulent ce faisant la nature réelle du véritable conflit entre la Russie et les États-Unis à propos de l’Europe : une lutte politique pour le futur de celle-ci. Si la Russie n’a aucune intention d’envahir qui que ce soit, elle a assurément un immense intérêt à essayer de dissocier l’Europe de son actuel statut de colonie/protectorat étasunien. Les Russes le réalisent parfaitement, et tandis que les élites européennes actuelles sont maniaquement russophobiques, la plupart des Européens (à l’exception possible des États baltes et de la Pologne) ne le sont pas. Dans ce sens, le récent vote de l’Eurovision, où le suffrage populaire a été retourné par de soi-disant experts, est très symbolique.

Le premier secrétaire général de l’Otan a très ouvertement décliné son objectif réel concernant l’Europe, «garder les Américains dedans, les Russes dehors et les Allemands couchés». Les Russes veulent exactement l’inverse : les Russes dedans (économiquement, pas militairement bien sûr), les Américains dehors et les Allemands debout (économiquement, encore une fois). C’est la véritable raison derrière toutes les tensions en Europe : les États-Unis veulent désespérément une Guerre froide 2.0 alors que la Russie tente aussi fort qu’elle peut de l’empêcher.

Alors à quoi ressemblerait une guerre entre la Russie et les États-Unis ? Honnêtement, je ne sais pas. Tout dépend de tellement de facteurs différents, qu’il est quasiment impossible de le prédire. Cela ne signifie pas que cela ne peut pas arriver, ou n’arrivera pas. Il y a de nombreux très mauvais signes que l’Empire agit de manière irresponsable. L’un des pires est que le Conseil Otan-Russie (NRC dans son sigle anglais) a presque totalement cessé de fonctionner.

La principale raison de la création du NRC était de s’assurer que des lignes de communications sûres étaient ouvertes, en particulier dans une situation de crise ou de tension. Hélas, comme un moyen de signaler leur mécontentement envers la Russie à propos de l’Ukraine, l’Otan a maintenant presque complètement fermé le NRC, alors que celui-ci avait précisément été créé dans ce but.

En outre, le déploiement avancé, en plus d’être souvent inutile militairement, est aussi potentiellement dangereux, car un incident local entre les deux camps peut rapidement dégénérer en quelque chose de très grave. En particulier lorsque d’importantes lignes de communication ont été supprimées. La bonne nouvelle, relativement, est que les États-Unis et la Russie auront des communications urgentes entre le Kremlin et la Maison Blanche et que les armées russes et étasuniennes ont aussi des capacités de communications urgentes directes. Mais en fin de compte, le problème n’est pas technologique, mais psychologique : les Américains sont apparemment incapables ou ne veulent pas négocier sur quoi que ce soit. D’une certaine manière, les néocons ont imposé leur vision du monde à l’État profond américain, et cette vision est que toute dynamique entre la Russie et les États-Unis est à somme nulle, qu’il n’y a rien à négocier et que contraindre la Russie à se conformer et à se soumettre à l’Empire au moyen de son isolement et de son confinement, est la seule approche envisageable. Cela ne marchera pas, bien sûr. La question est de savoir si les néocons ont la capacité intellectuelle de le comprendre ou si les vieux (paléo-conservateurs) patriotes anglo-américains pourront finalement virer les tarés congénitaux (selon l’expression de Bush senior pour parler des néocons) de la Maison Blanche.

Mais si Hillary réussit à entrer à la Maison Blanche en novembre, alors les choses vont devenir vraiment effrayantes. Vous vous souvenez que j’ai dit qu’aucun président des États-Unis ne sacrifierait jamais une ville américaine pour défendre une ville européenne ? Eh bien, cela présuppose un président patriote, qui aime son pays. Je ne crois pas que les néocons aient quoi que ce soit à cirer de l’Amérique et des Américains, et ces fous pourraient bien penser que sacrifier une ville américaine (ou plusieurs) le vaut bien, si cela leur permet de larguer des bombes nucléaires sur Moscou. 2

Toute théorie de la dissuasion présume un acteur rationnel, pas une cabale de psychopathes haineux comme les tarés congénitaux.

Au cours des dernières années de la Guerre froide 1.0, j’avais beaucoup plus peur des gérontocrates du Kremlin, que des officiers anglo-saxons et des responsables à la Maison Blanche ou du Pentagone. Aujourd’hui, j’ai peur de la (relativement) nouvelle génération d’officiers genre petit merdeux, qui ne pensent qu’à se faire bien voir comme Petraeus, ou des maniaques comme le général Breedlove, qui ont remplacé les combattants ancien style de la Guerre froide (comme les amiraux Elmo Zumwalt, William Crowe ou Mike Mullen), qui au moins savaient qu’une guerre avec la Russie devait être évitée à tout prix. Il est carrément effrayant pour moi, de réaliser que l’Empire est actuellement dirigé par des hommes non professionnels et incompétents, non patriotes et malhonnêtes, qui sont guidés soit par des idéologies haineuses, soit par l’unique but de plaire à leurs patrons politiques.

L’exemple d’Ehud Olmert, Amir Peretz et Dan Halutz entrant en guerre contre le Hezbollah en 2006 ou de la tentative de Saakachvili de procéder à un nettoyage ethnique de l’Ossétie du Sud en 2008, ont montré au monde que des dirigeants mus par l’idéologie peuvent lancer des guerres absolument impossibles à gagner, en particulier s’ils croient en leur propre propagande sur leur invincibilité. Espérons et prions pour que ce genre de folie n’emporte pas les dirigeants actuels des États-Unis. La meilleure chose qui pourrait arriver pour l’avenir de l’humanité serait que de véritables patriotes reviennent au pouvoir aux États-Unis. Ensuite l’humanité pourrait enfin pousser un grand soupir de soulagement.

The Saker

Article original publié sur The Unz Review

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

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