Par Andrew Korybko − Le 5 septembre 2022 − Source OneWorld Press
Le cycle auto-alimenté de désordres socio-économiques et politiques déclenché par les dirigeants européens obéissant avec les exigences étasuniennes de mesures contre-productives va sans doute se poursuivre pour une durée indéterminée.
Une manifestation de grande ampleur s’est tenue à Prague, capitale de la Tchéquie, samedi 3 septembre, comptant entre 70 000 et 100 000 personnes, qui se sont rassemblées pour mobiliser pacifiquement l’attention sur les décisions prises par le gouvernement, qui ont fortement impacté le niveau de vie de la population au cours des six derniers mois. Le premier ministre Petr Fiala, au lieu de prendre acte de leur désaccord légitime et de se dissocier des causes sous-jacentes aux souffrances socio-économiques ressenties par la population, a essayé de discréditer les manifestants en affirmant de manière trompeuse que la manifestation « a été suscitée par des forces pro-russes, » en ajoutant qu’« il est clair que la propagande russe et les campagnes de désinformation sont présentes sur notre territoire et que des gens les écoutent. »
Sa réaction semble avoir été influencée par Annalena Baerbock, le ministre des affaires étrangères allemand, dont une remarque récente a totalement discrédité le concept-même sous-jacent aux démocraties occidentales, en insistant sur l’idée que son gouvernement va s’accrocher à toutes ses sanctions anti-russes illégales en dépit du fait que celles-ci sont directement responsables des souffrances socio-économiques du peuple allemand. Comme elle, Fiala refuse de changer de trajectoire, et encore moins de reconnaître que ce sont les politiques choisies par son gouvernement qui sont responsables du déclenchement des mêmes réactions par son peuple, à l’instar des réactions allemandes. La nature identique des politiques suivies par ces gouvernements de pays voisins et leur réponse au mécontentement populaire indique une tendance importante.
De fait, l’élite européenne a reçu l’ordre de la part de ses chefs étasuniens de promulguer des politiques contre-productives, qui plombent son économie et provoquent des troubles politiques, des événements qui n’ont rien à voir avec la soi-disant « propagande russe » et tout à voir avec l’ingérence des États-Unis dans leurs affaires intérieures souveraines. Si ces politiciens avaient maintenu ne serait-ce qu’un semblant d’indépendance politique, ils auraient au moins accepté de prendre acte des frustrations exprimées pacifiquement et légitimement par leurs peuples respectifs, et seraient peut-être revenus sur au moins une partie des mesures contre-productives pour conserver leur posture politique.
Au lieu de cela, ces dirigeants s’agrippent aux politiques responsables de la déstabilisation de leurs pays respectifs, par eux-mêmes établies, et pour des raisons qui sont clairement reliées aux dettes dont ils sont redevables envers leurs parrains étasuniens en échange de leur place au pouvoir. C’est une chose de se faire éjecter de son poste à l’issue de la prochaine élection, exactement comme l’avait prédit le président Poutine au cours du Forum Économique International de Saint-Pétersbourg (SPIEF) pour l’ensemble de l’UE dans un avenir proche, pour amener à ce qu’il a décrit comme « un changement d’élites« (c’est un coup habilement joué face aux changements de régime fomentés par les États-Unis), mais c’en est une autre de se faire retirer le pouvoir par les États-Unis en représailles à ses décisions.
Le terme « se faire retirer le pouvoir » utilisé ici ne signifie pas seulement que les renseignements étasuniens pourraient orchestrer la séquence d’événements politiques menant au remplacement d’un dirigeant par une autre marionnette plus servile que lui, mais pourquoi pas, dans un scénario du pire, une élimination plus radicale du personnage. C’est avec ces craintes à l’esprit, dont la crédibilité est tout à fait sérieuse au vu du pedigree de la CIA au cours des décennies passées, que des politiciens comme Baerbock et Fiala continuent de s’accrocher à leurs décisions contre-productives malgré le fait que celles-ci ont déjà complètement déstabilisé leurs pays respectifs. Vouloir accuser de tout la « propagande russe » ne va que contribuer à augmenter l’exaspération du peuple.
La censure pratiquée par l’UE sur les médias russes emblématiques internationaux, RT et Spoutnik, implique qu’aucun de ces médias (qui sont uniquement financés sur deniers publics, et non pas « contrôlés par l’État », contrairement à la BBC et à ses homologues occidentaux) ne dispose d’une possibilité réaliste d’influencer les Tchèques, les Allemands ou les nombreux autres peuples membres du bloc à manifester contre leur gouvernement, même si ces médias essayaient d’induire un tel mouvement (chose qu’ils n’ont pas faite, et ne feront pas). Ces citoyens le savent également, si bien que les fausses affirmations proférées par leurs dirigeants constituent des insultes à leur intelligence et constituent des attaques désespérées pour tenter de discréditer leurs origines authentiquement populaires ainsi que l’expression strictement pacifique de leurs droits constitutionnels, ce qui provoque davantage de manifestations.
Le cycle auto-alimenté de désordres socio-économiques et politiques déclenché par les dirigeants européens obéissant aux exigences étasuniennes de mesures contre-productives va sans doute se poursuivre pour une durée indéterminée. Le résultat final en est que l’UE va continuer de se voir déstabilisée par la grande stratégie machiavélique étasunienne consistant à utiliser le chaos comme arme pour essayer de créer des opportunités exploitables par la suite pour prolonger sans fin le déclin de leur hégémonie unipolaire. Des millions de gens vont en pâtir, l’influence des États-Unis va monter au sein du bloc, et l’Europe ne sera jamais en mesure d’entrer de nouveau en compétition avec les États-Unis.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone