Par Andrew Korybko − Le 17 janvier 2022 − Source OneWorld
Cette dernière campagne de pression maximale, exercée contre le Mali, a amené des milliers de citoyens de ce pays à sortir dans les rues ce week-end, dans une effusion sans précédent d’activisme anti-impérialiste, visant à montrer au monde qu’ils ne comptent pas rester les bras croisés pendant que l’Occident leur inflige une punition collective.
La CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a récemment prononcé un embargo terrestre, aérien et financier du Mali, l’un de ses États-membres, en réponse à la proposition émise par l’armée de ce pays de reporter les élections pour une durée de cinq années. La logique entretenue par les militaires est que le pays n’est pas en mesure de tenir des élections libres et justes pendant que des pans entiers de son territoire sont occupées par des terroristes. L’argument est crédible, mais la France, ancienne puissance impérialiste, ne l’accepte pas. Paris a fait pression sur la CEDEAO pour imposer son embargo ultra-cruel et néo-impéraliste, pour punir le peuple malien avec sadisme.
L’ancienne grande puissance occidentale a peu à peu vu son influence s’éroder au cours des dernières années, dans la sphère qu’elle appelle la « Françafrique« . Cette érosion découle d’une combinaison entre l’apparition de dirigeants de plus en plus indépendants en Afrique, et de la prise de conscience politique croissante de la part de leurs peuples des proportions dans lesquelles Paris exploite économiquement ces pays, par des moyens néo-impérialistes en lien avec les extractions de matières premières (surtout l’or et l’uranium), et au travers de contrôles financiers et monétaires. La Russie a été en mesure de tirer parti de ces tendances en se présentant comme force d’« équilibrage« politiquement neutre, et en facilitant la mise en œuvre de politiques indépendantes par ces pays.
Dans le contexte du Mali, cela a débouché sur l’annonce selon laquelle la société militaire privée Wagner, dont le fonctionnement est obscur, était en pourparlers avec Bamako pour remplacer la présence militaire française, récemment réduite, qui a été retirée l’an dernier sous prétexte de punir ce pays pour le coup d’État qui y avait eu lieu. Paris a politisé ces rapports en affirmant de manière ridicule que l’implication possible de Wagner allait constituer un retour en arrière par rapport aux supposées réussites anti-terroristes remportées par la France, mais Nebenzya, l’ambassadeur de Russie à l’ONU, a récemment réfuté ces allégations en rappelant à chacun le niveau de désespoir du Mali dans son besoin d’assistance dans le cadre de sa guerre en cours contre la terreur.
C’est le triangle stratégique France-Mali-Russie qui pilote les événements dans cette nation d’Afrique de l’Ouest, située à un emplacement géostratégique. Bamako aspire à devenir plus indépendante de Paris, si bien qu’elle considère Moscou comme le partenaire le plus fiable pour l’aider à progresser vers ce noble objectif. Cependant, la France a essayé de punir cruellement le peuple malien pour les nouvelles ambitions anti-impérialistes de ses dirigeants militaires, en faisant appliquer l’embargo par la CEDEAO ; l’objet de cet embargo est d’aggraver significativement les conditions de vie, dans l’espoir d’y inspirer une Révolution de couleur et/ou davantage de guerres non-conventionnelles.
Cette approche de guerre hybride est typique de toutes les hégémonies se retrouvant confrontées à leur influence en déclin, et les États-Unis ont essayé à de multiples reprises de l’appliquer au cours de la décennie écoulée contre une kyrielle de pays, pour des raisons tout à fait identiques, l’Éthiopie en constituant le dernier exemple en date. Il est à noter que les États-Unis soutiennent l’embargo prononcé par la CEDEAO à l’instigation de la France contre le Mali. Cette campagne de pression maximale contre le Mali a amené à faire sortir des milliers de citoyens de ce pays dans les rues le week-end dernier, dans une effusion sans précédent d’activisme anti-impérialiste, visant à montrer au monde qu’ils ne comptent pas rester les bras croisés pendant que l’Occident leur inflige des punitions collectives.
Le peuple malien peut compter sur le soutien russe et chinois dans sa lutte anti-impérialiste contre l’embargo prononcé par la CEDEAO à l’initiative de la France. Ces deux Grandes Puissances ont uni leurs efforts pour empêcher le Conseil de Sécurité de l’ONU de soutenir cette dernière punition néo-impérialiste contre une nouvelle nation africaine. En matière de sécurité, l’assistance supposée apportée par Wagner pourraient bien changer la donne dans la guerre contre la terreur menée par ce pays, en apportant à l’armée nationale l’aide dont elle a besoin pour mettre en échec durablement le fléau terroriste que la France ne semble jamais avoir combattu sérieusement, en dépit d’une occupation du pays durant plusieurs années sous ce même prétexte.
Alors que Paris manipulait le sujet du terrorisme afin de jouer un jeu pernicieux du diviser pour mieux régner, Moscou, ou à tout le moins les entreprises comme Wagner, que l’on pense reliées à la Russie restent concentrées sur l’éradication de ce danger, sans poser de prérequis politiques ni essayer de manipuler leur partenaire dans le processus. La France craint l’impact substantiel de cette intervention, ainsi que ses conséquences en matière de soft power, car elle sait que cela va encore accélérer l’érosion de sa réputation dans la région, en révélant Paris comme menace auto-intéressée, manipulatrice, et même constituant une menace à la sécurité nationale pour ses « partenaires ».
Ceci explique pourquoi la Grande Puissance d’Europe occidentale met tout son poids derrière la campagne de pression maximale lancée par la CEDEAO, avec cet embargo ultra-cruel visant à punir le peuple malien. Paris veut que le Malien de la rue souffre d’avoir osé défier son agenda hégémonique, en se ralliant derrière ses dirigeants militaires anti-impérialistes. Au pire deviennent les conditions de vie du peuple malien, au mieux la France estime s’en tirer, car cela pourrait amener le peuple de plus en plus désespéré à mener à bien une Révolution de couleur, ou recourir à une guerre non-conventionnelle contre l’État malien.
Le facteur temps est donc crucial pour ce qui concerne l’assistance russe en matière de « sécurité démocratique« accordée au Mali, ce qui fait référence aux tactiques et stratégies de contre-guerre hybride, intégrant aussi bien des formes cinétiques, comme le soutien anti-terroriste (même celui assuré par des entreprises de sécurité privées considérées comme proches du Kremlin) et des formes non-cinétiques, comme une assistance socio-économique. Le modèle pour lequel la République de Centrafrique a tenu lieu de tête de pont pourrait bientôt se trouver dupliqué au Mali, tout en étant adapté aux conditions particulières qui sont celles de ce pays. Cependant, plus la Russie réussira dans cette entreprise, plus la France exercera des pressions opposées.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone