Trump revient sur ses positions…


…mais les articulations grincent


Par Tom Luongo − Le 21 juillet 2019 − Source Strategic Culture

Tom LuongoLa semaine dernière, tout n’était que bruit et fureur. Les États-Unis menaçaient de prendre davantage de sanctions contre l’Iran, les Britanniques s’emparaient d’un pétrolier et l’Iran violait le JCPOA.

Cette semaine, les choses ont changé tout à coup. Un pétrolier s’évanouit en traversant le détroit d’Ormuz, l’histoire ne provoque aucune attention réelle et les États-Unis autorisent le ministre iranien des Affaires étrangères, récemment sanctionné, à venir faire son travail aux Nations Unies.

Trump tient ensuite une réunion avec son cabinet où il répète : “Nous ne cherchons pas à changer leur régime. Nous voulons qu’ils quittent le Yémen.”

Je pensais que le conseiller national à la sécurité, John Bolton, avait déclaré que les États-Unis feraient pression jusqu’à ce que “les articulations grincent”.

Là où les articulations grincent, c’est dans la péninsule arabique, pas dans le golfe Persique à Bandar Abbas. Plus précisément, je parle des Émirats arabes unis. Les EAU ont récemment envoyé une délégation à Téhéran, ce qui coïncidait avec le retrait partiel de leurs troupes du Yémen.

Selon Elijah Magnier, cette réunion avait pour objectif principal de permettre aux Émirates de réaliser qu’ils se trouvaient au cœur de ce conflit, jusqu’au sommet de leurs gratte-ciel :

«Les EAU souhaitent éviter de voir leur pays transformé en un champ de bataille entre les États-Unis et l’Iran en cas de guerre, en particulier si Trump est réélu. Les responsables des Émirats ont noté que les États-Unis n’avaient pas réagi aux représailles de l’Iran dans le Golfe et en particulier lorsque le drone américain avait été abattu. Cela indique que l’Iran est prêt à la confrontation et mettra en œuvre sa menace explicite de frapper tout pays à partir duquel les États-Unis mèneront leurs attaques contre l’Iran. Nous voulons échapper à tout cela», a déclaré un responsable d'Émirates à son homologue iranien à Téhéran.

L'Iran a promis de parler aux autorités yéménites pour éviter de frapper des cibles à Dubaï et à Abou Dhabi pour autant que les EAU retirent leurs forces du Yémen et mettent fin à cette guerre inutile. Le premier ministre saoudien, Mohammad Bin Salman, se retrouve sans son principal allié, les Émirats, pris dans une guerre impossible à gagner pour le régime saoudien. Les Houthis yéménites ont pris l’initiative en atteignant plusieurs objectifs stratégiques saoudiens. L’Arabie saoudite n’a pas d’objectifs réalistes et semble avoir perdu l’envie de continuer la guerre au Yémen.

Ainsi, avec les frappes réussies des Houthis contre des cibles majeures en Arabie saoudite, et avec les Émirats arabes unis retirant leurs forces brutalement, la guerre au Yémen a atteint un tournant critique. Rappelez-vous que le Sénat US, sous contrôle républicain, a approuvé en mars un projet de loi retirant tout soutien à cette guerre, projet auquel la Maison-Blanche devait opposer son veto pour appuyer son faiblissant espoir de voir prospérer son accord israélo-palestinien proposé par Jared Kushner.

Mais les choses ont considérablement changé depuis, cet accord ayant été reporté à une date indéterminée, et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu devant faire face à une deuxième élection cet automne, après avoir échoué à assurer une coalition stable.

Après cela, il y a eu l’échec de la conférence économique tenue à Bahreïn en juin, au cours de laquelle Kushner a révélé le volet économique de son plan de paix dans une salle à moitié vide, où seuls les fondateurs du projet manifestaient un réel soutien.

Et c’est la partie importante de cette histoire, car c’est le plan de Kushner qui a été à l’origine de toute cette stupide belligérance anti-Iranienne. L’union des pays du Golfe autour d’un pacte de sécurité, s’appuyant sur l’alliance américano-israélo-saoudienne, était censée faire pression sur les Palestiniens pour les pousser jusqu’à la table des négociations.

L’imposition de sanctions économiques maximales au Hezbollah, au Liban et en Iran, et la prolongation organisée du chaos en Syrie, étaient censés forcer les ennemis d’Israël à se replier sous la pression et obligerait, en retour, les Palestiniens à se soumettre à la volonté de Kushner et Bibi.

Le problème est que cela n’a pas fonctionné. Et maintenant, Trump reste impuissant face à cette politique idiote qui a abouti à une provocation évidente lorsque l’Iran a abattu un drone de surveillance Global Hawk de 220 millions de dollars, risquant presque une guerre plus étendue.

Mais le résultat, a été d’exposer les États-Unis et non l’Iran comme la cause des problèmes actuels.

Depuis lors, Trump a finalement dû se redresser pour endosser le rôle de l’adulte dans la pièce – ce qu’il est en principe – et mettre un terme à cette folie.

Les EAU ont compris le potentiel de réponse asymétrique de l’Iran à la belligérance des États-Unis. Les Saoudiens ne peuvent pas gagner la guerre au Yémen que le prince héritier Mohammed bin Salman a commencée. Les retombées de cette guerre ont été de repousser le Qatar hors de l’orbite du Conseil de coopération du Golfe, en annulant des accords avec l’Iran concernant la mise en valeur du gisement de gaz et des gazoducs de North Pars vers l’Europe.

Et maintenant, les EAU ont compris qu’ils étaient confrontés à une menace existentielle dans tout affrontement entre l’Iran et les États-Unis.

Ce qui est révélateur, c’est que Trump fait du Yémen l’objet d’une négociation, plutôt que les ambitions nucléaires de l’Iran. Parce qu’il n’a jamais été question de programme nucléaire. Il a toujours été question du programme de missiles balistiques de l’Iran.

Et le secrétaire d’État Mike Pompeo voudrait nous faire croire que pour la première fois le programme de missiles de l’Iran est sur la table des négociations. Je ne sais pas si cela est réellement vrai, mais c’est un irréfutable aveu de que c’est ce que les États-Unis veulent.

La principale raison pour laquelle Trump et Netanyahu sont si remontés contre l’accord JCPOA est l’externalisation mutuelle du programme de missiles balistiques nucléaires entre l’Iran et la Corée du Nord. La Corée du Nord travaillant sur l’ogive nucléaire tandis que l’Iran travaille sur le missile balistique.

Trump a tweeté à ce sujet il y a près de deux ans, confirmant ce lien. J’ai écrit à ce sujet quand il l’a fait. Presque tout ce que j’avais dit à propos de la Corée du Nord dans l’article est maintenant applicable à l’Iran. C’est la raison pour laquelle il détestait le JCPOA, cela n’arrêtait pas la marche de l’Iran et de la Corée du Nord vers des États nucléarisés.

Mais déchirer l’accord était la mauvaise approche pour résoudre le problème,  il faut plutôt arrêter de verser des centaines de milliards de dollars d’armes dans la région, comme l’a récemment souligné le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif. Ce faisant, Trump a repoussé le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre chinois Xi Jinping de l’autre côté de la table.

Maintenant, il est isolé, seul avec les provocateurs – Israël, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite – qui essaient de le pousser à faire quelque chose qu’il ne veut pas faire. Et toutes ces provocations qui se sont produites le mois dernier n’ont pas réussi à faire bouger Trump ou les Iraniens. Ils ont appris à faire preuve de patience, peut-être grâce à Poutine. Appelez ça la géopolitique du chat et de la souris, si vous voulez.

J’ai dit le mois dernier que la solution des ambitions nucléaires de l’Iran était de régler la question des relations avec la Corée du Nord. Trump, intelligemment, est allé là-bas, faisant ce que lui seul pouvait faire, s’est entretenu avec le président de la RPDC, Kim Jong-Un, et a réitéré son désir sincère de mettre fin à la prolifération des armes nucléaires.

Il peut amener l’Iran à la table mais il va devoir renoncer à quelque chose. Il est donc politiquement faisable maintenant de définir le cadre des négociations avec l’Iran, autour de leurs revendications, et d’arrêter d’armer les Saoudiens.

Trump ne peut pas, à ce stade, faire marche arrière directement avec l’Iran. La guerre au Yémen est profondément impopulaire aux États-Unis et mettre fin à notre soutien serait une aubaine pour Trump sur le plan politique. Échanger cela contre la levée des sanctions serait un bon premier pas pour résoudre le gâchis dans lequel il se trouve et créer un peu de confiance.

Le renvoi de John Bolton, qui semble plus probable chaque jour, en serait un autre.

Trump ferme déjà les yeux sur les exportations iraniennes vers la Chine et vraisemblablement vers d’autres pays. Je pense que les Britanniques agissent de manière indépendante en essayant de semer le trouble et de faire reluire le curriculum vitae du secrétaire aux Affaires étrangères, Jeremy Hunt, dans sa lutte pour le poste de Premier ministre face à Boris Johnson. C’est pourquoi ils ont détourné le pétrolier.

Mais toutes les petites distractions ne sont que des pilules empoisonnées pour éviter de discuter des vrais problèmes. Trump vient de tailler dans tout ça. L’Iran aussi. Espérons qu’ils restent concentrés.

Tom Luongo

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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