Trump et Poutine – nouveaux partenaires de la détente, au moment où les attaques du « Russiagate » s’intensifient.


Par Stephen F. Cohen – Le 12 juillet 2017 – The Nation

Cohen invoque la nécessité d’une nouvelle détente avec la Russie, pour laisser la coopération prendre la place de la confrontation. En cause, des dangers sans précédent dans l’histoire de la nouvelle Guerre froide, avec des conflits qui vont de l’Ukraine à la Baltique et jusqu’en Syrie, ainsi qu’une menace réelle d’affrontement militaire direct entre les deux superpuissances nucléaires. Le « sommet » de Hambourg du 7 juillet entre le Président Trump et le président russe Poutine – comme il était  coutume d’appeler ce type de rencontre au XXe siècle – est par conséquent à saluer comme une bonne nouvelle. En effet, les deux chefs d’État sont devenus des partenaires de la détente, ou tout au moins aspirent à le devenir. La mauvaise nouvelle est que cette rencontre, et avec elle toute forme de détente, provoquent des attaques sans précédent d’un très grande partie de l’establishment politique et des médias américains.

Le partenariat de la détente entre Trump et Poutine et les espoirs d’une nouvelle détente doivent être vus dans le contexte des tentatives de leurs prédécesseurs au XXe siècle : partenariat entre Eisenhower et Khrouchtchev, entre Nixon et Brejnev, et entre Reagan et Gorbatchev. Toutes ces tentatives ont déclenché une forte opposition de milieux influents à Washington (et à Moscou). L’une d’entre elles a été vraisemblablement sabotée (par l’épisode de l’U-2 qui a fait avorter le processus mis en place par Eisenhower et Khrouchtchev) ; toutes ont remporté un certain succès, mais ont finalement échoué, à l’exception de celle qui a été l’œuvre de Reagan et de Gorbatchev entre 1985 et 1989. (Reagan pensait, lorsqu’il a quitté la Maison Blanche : « Nous avons mis fin à la Guerre froide » et Gorbatchev, qui était encore au pouvoir, pensait de même).

Aussi pressant et aussi important soit-il du point de vue des intérêts nationaux américains, le nouveau partenariat pour la détente entre Trump et Poutine se heurte à des obstacles sans précédent à Washington. Par-dessus tout, les soupçons du « Russiagate », selon lesquels Trump et ses associés se seraient compromis dans l’opération de « piratage de la démocratie américaine » lancée pendant la campagne présidentielle de 2016, continuent de se renforcer malgré l’absence de toute preuve réelle et bien que plusieurs de ces allégations aient été démenties. (Ainsi, il n’est pas vrai que « 17 agences de renseignement étasuniennes » aient confirmé que Poutine avait piraté et diffusé les courriels du DNC (Comité du parti démocrate) à la demande de Trump ; le FBI ayant admis n’avoir jamais examiné les ordinateurs du DNC, il n’existe aucune preuve formelle de qui a piraté qui, voire de l’existence d’un piratage ; et les allégations selon lesquelles Poutine aurait aussi piraté les élections françaises et allemandes – aggravant ainsi son cas – ont été démenties par les services de sécurité de ces deux pays). Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, un président prend le risque de se voir atteint, voire même menacé d’« impeachment », au moment où il inaugure une relation de détente avec la Russie. Dans ce contexte, Trump a fait preuve d’une très grande détermination en rencontrant Poutine en privé à Hambourg. Mais la question reste ouverte de savoir s’il dispose d’assez de fermeté, d’habileté et de soutien politique pour devenir un partenaire fiable de la détente. (Raison pour laquelle Poutine a dû lui-même soulever la question du « Russiagate » pour déterminer si Trump était réellement en mesure de mettre en œuvre leurs accords compte tenu de l’opposition, voire du sabotage auquel il est exposé à Washington – une interrogation que les sceptiques de l’entourage rapproché de Poutine font peser sur le leader russe).

Bien que nous ignorions ce qui a été discuté et convenu à Hambourg – les partenaires de la détente ont toujours quelques « secrets » à garder de manière à protéger le processus diplomatique de coopération – Cohen estime que les quatre principaux résultats du « sommet » sont les suivants : formaliser et mettre en évidence le nouveau partenariat de détente entre les présidents russe et américain ; accord de coopération sur la Syrie contre les forces terroristes qui s’y déploient, pas seulement de façon limitée comme il a été annoncé, mais de façon plus large, ce qui suppose un accord avec Moscou pour que le Président syrien Assad soit maintenu au moins jusqu’à la défaite totale de l’État islamique ; créer un canal de négociation entre les E.-U. et la Russie pour négocier un règlement de la guerre civile et de la guerre par procuration qui sévit en Ukraine, contournant ou réduisant ainsi le rôle joué jusqu’ici par l’Allemagne et la France, qui ont largement échoué jusqu’à présent ; enfin, accord pour discuter des moyens de limiter les dangers de la cybertechnologie dans les affaires internationales. Bien que Trump ait été contraint de revenir sur ce point de la rencontre, il ne fait aucun doute que cette question va rester un sujet de négociation qui figurera à l’ordre du jour des relations entre les E.-U. et la Russie, compte tenu des manières dont les cyberattaques pourraient menacer la sécurité nucléaire des deux parties.

La discussion entre Cohen et Batchelor porte ensuite sur les perspectives de chacun de ces points d’accord. Cohen relève que Poutine subit une pression interne pour rendre la pareille, même de façon tardive, aux sanctions imposées par Obama en décembre 2016 – notamment, en faisant saisir les deux propriétés détenues par la Russie aux États-Unis et par l’expulsion de 35 prétendus agents du renseignement russes, posant comme diplomates. Comme cela équivaudrait à remettre en cause le nouveau processus de détente entre Trump et Poutine, celui-ci espère que Trump va au moins restituer à la Russie ses propriétés.

Ni Cohen, ni Batchelor ne sont exagérément optimistes sur les perspectives de détente entre Trump et Poutine. Des problèmes politiques importants subsistent des deux côtés, mais surtout à Washington. Cohen relève que si, comme des commentateurs bien informés le pensent, le « Russiagate » est principalement le fait de plusieurs agences de renseignements étasuniennes avec l’appui de leurs alliés dans les médias et au Congrès, il faut s’attendre à des tentatives délibérées visant à saper la détente. Était-ce une simple coïncidence, demande Cohen, si de nouvelles fuites sur le « Russiagate » sont parvenues dans les médias à la veille de la rencontre entre Trump et Poutine et immédiatement à sa suite ?

Stephen F. Cohen

Traduit par JMB, relu par Catherine pour le Saker Francophone

 

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