Poutine interviewé par Bloomberg [1/4]


Développement de l’Extrême-Orient russe – Litiges territoriaux avec le Japon


Russia’s President Vladimir Putin Interview to Bloomberg. Parts I, II, and III


Saker US

Le 3 septembre 2016 – Source bloomberg

Le 1er septembre, Vladimir Poutine a donné, à Vladivostok, une interview au rédacteur en chef de la société internationale de médias Bloomberg. [Imaginez une seconde Obama acceptant une interview de Russia Today, NdT]

Cet entretien est publié en quatre parties :

  • Première partie : développement de l’Extrême-Orient russe – litiges territoriaux avec le Japon
  • Deuxième partie : relations avec la Chine – politique énergétique – cyberguerre
  • Troisième partie : avenir de l’euro – politique de change – politique budgétaire – élections US – relations avec la Grande-Bretagne
  • Quatrième partie : relations avec la Turquie – état des lieux en Syrie – confiance Est-Ouest – guerre en Tchétchénie – politique étrangère – héritage et réflexions sur le système politique – succession et réflexions sur les difficultés du pouvoir

John Micklethwait :

Monsieur le Président, je vous remercie beaucoup de parler à Bloomberg. Nous sommes à Vladivostok, à la frontière de la Russie, pratiquement sur sa frontière à la côte du Pacifique, le deuxième Forum économique de l’Est est sur le point de commencer. Quels résultats attendez-vous de ce Forum ?

Le Président de la Russie Vladimir Poutine :

– Nous tenons à attirer l’attention de nos partenaires, des investisseurs potentiels dans l’Extrême-Orient russe. En ce sens, le Forum, comme événement, est similaire à d’autres instances régionales de ce genre. La Russie accueille un grand nombre de ces forums, y compris le Forum économique international de Saint-Pétersbourg, habituellement au début de l’été, ainsi que le Forum économique à Sotchi.

L’Extrême-Orient est d’une importance particulière pour nous en terme de développement prioritaire de cette région. Au cours des dernières années, disons même au cours des dernières décennies, nous avons été confrontés à de nombreux problèmes ici. Nous avons accordé peu d’attention à ce territoire bien qu’il mérite beaucoup mieux, car il concentre une grande richesse ainsi que des chances pour le développement futur de la Russie. Non seulement pour la seule Russie, mais aussi pour le développement de toute la région Asie-Pacifique, parce que ce pays est très riche en ressources naturelles et minérales.

Lorsque nous parlons de l’Extrême-Orient, nous entendons généralement l’Extrême-Orient lui-même, y compris le Territoire de Primorye, le Territoire de Khabarovsk, le Kamtchatka et la Tchoukotka, ainsi que la Sibérie orientale. Toute cette zone contient des ressources énormes, y compris du pétrole et du gaz, 90% de l’étain en Russie, 30% de l’or russe, 35% des forêts, 70% des poissons russes sont pêchés dans les eaux locales.

Cette région a une infrastructure de transport et de chemin de fer sensiblement développée. Au cours des dernières années, nous avons travaillé activement à la connexion des routes. Il y a aussi un énorme potentiel pour le développement des industries de l’aviation et de l’espace. Comme vous l’avez remarqué, nous avons lancé un nouveau centre spatial russe dans l’une des régions d’Extrême-Orient. Comme je l’ai déjà dit, l’industrie de l’aviation, y compris la force aérienne de combat, a été traditionnellement développée ici. C’est en Extrême-Orient russe que l’avion SU [Sukhoï], bien connu dans le monde entier, est fabriqué.

Enfin, nous reprenons ici aussi la fabrication de navires de haute mer, tout d’abord à des fins civiles. Un peu plus tôt aujourd’hui, j’ai été témoin de la mise en service de l’un des sites les plus prometteurs de ce genre.

Il s’agit aussi là d’une bonne occasion pour les échanges humanitaires avec nos voisins. Notre intention est de développer ici des activités musicales, théâtrales et des expositions. Tout récemment, M. Gergiev, un musicien et chef d’orchestre russe distingué, y a tenu ses concerts. Nous allons mettre en place, ici, une annexe du St-Petersbourg Mariinsky Theatre. Nous prévoyons également d’ouvrir des succursales locales du Musée de l’Ermitage et de l’Académie du ballet russe Vaganova.

Comme vous pouvez le voir, nous sommes en ce moment dans le bâtiment de l’Université fédérale d’Extrême-Orient. Je suis sûr que vous aussi vous avez eu l’occasion d’évaluer la taille de l’Université – il y a déjà environ un millier d’étudiants étrangers qui étudient ; il y a aussi un grand nombre de professeurs étrangers. Nous aimerions voir se développer ici la science et l’enseignement supérieur, de sorte que cette université pourrait devenir l’un des principaux centres de recherche dans l’ensemble de la région Asie-Pacifique.

Sans doute reste-t-il encore beaucoup à faire, mais compte tenu de la demande du marché du travail, la pertinence d’une telle université est indéniable.

En plus de tout ce que j’ai déjà mentionné, il y a un autre domaine auquel nous attachons de l’importance de par ses bonnes perspectives – la biologie marine. Pendant de nombreuses années, cette région a été le foyer de l’un des principaux instituts de l’Académie des sciences de Russie, l’Institut de biologie marine. Vous savez, nous lançons un nouveau centre ici ; nous avons construit un marinarium dans ses locaux, qui sont censés être non seulement un lieu public où les gens, je suis sûr, vont profiter de la faune, mais aussi une partie de l’Institut de biologie marine. Un groupe très intéressant et prometteur s’est formé ici, et nous serions heureux si nos investisseurs potentiels, nos homologues de l’étranger, tout d’abord ceux de la région Asie-Pacifique, en savaient plus à ce sujet.

L’un des invités [du forum] est le Premier ministre du Japon M. Abe. Il vient à Vladivostok et il semblerait qu’un accord politique, pour ainsi dire, est en préparation. Peut-être que pourriez troquer l’une des îles Kouriles en échange d’une coopération économique sérieuse en expansion. Êtes-vous prêt pour un tel accord ?

Nous ne négocions pas des territoires bien que la conclusion d’un traité de paix avec le Japon soit certainement une question majeure et nous aimerions trouver une solution à ce problème en collaboration avec nos amis japonais. En 1956, nous avons signé un traité, et étrangement, il a été ratifié à la fois par le Soviet suprême de l’Union soviétique et le Parlement japonais. Mais le Japon a refusé de le mettre en œuvre et ensuite l’Union soviétique a aussi, pour ainsi dire, annulé tous les accords conclus dans le cadre du traité.

Il y a quelques années, nos homologues japonais nous ont demandé de reprendre les discussions sur la question et nous les avons rencontrés à mi-chemin. Au cours des deux années passées les contacts ont été pratiquement gelés à l’initiative de la partie japonaise, pas la nôtre. Dans le même temps, actuellement nos partenaires ont exprimé leur désir de reprendre les discussions sur cette question. Cela n’a rien à voir avec tout type de troc ou de vente. Il s’agit de la recherche d’une solution qui ne désavantage aucune des deux parties, et où personne ne se perçoit comme vainqueur ou vaincu.

À quel point êtes-vous maintenant proches d’un tel accord ? Plus près qu’en 1956 ?

Je ne pense pas que nous sommes plus près qu’en 1956, mais de toute façon, nous avons repris notre dialogue et sommes convenus que nos ministres des Affaires étrangères et les experts compétents au niveau des sous-ministères vont intensifier ce travail. Naturellement, cette question a toujours été un sujet de discussions entre le président russe et le Premier ministre du Japon. Je suis sûr que lors de la réunion avec M. Abe, ici à Vladivostok, cette question sera également discutée, mais pour trouver une solution il faut que tout soit bien pensé et préparé et, je le répète, une solution qui ne repose pas sur l’idée de causer des dommages, mais, au contraire, sur le principe de créer les conditions pour le développement de relations à long terme entre les deux pays.

En effet, le territoire à l’Est, n’est pas, me semble-t-il, une préoccupation pour vous. En 2004, par exemple, vous avez remis l’île Tarabarov à la Chine, pourriez-vous faire la même chose, disons, à Kaliningrad ?

Nous n’avons rien remis, ces territoires ont été contestés et nous avons négocié cette question avec la République populaire de Chine – je tiens à souligner que cela a duré quarante ans – et nous avons finalement réussi à trouver un accord. Une partie du territoire a été affectée à la Russie, et une autre à la République populaire de Chine.

Il est très important de noter que cela été possible en raison du niveau élevé de confiance entre la Russie et la Chine atteint à ce moment-là. Si nous atteignons le même niveau de confiance avec le Japon, nous serons en mesure d’arriver à certains compromis.

Cependant, il y a une différence fondamentale entre la question liée à l’histoire du Japon et nos négociations avec la Chine. C’est quoi ? La question japonaise a résulté de la Seconde Guerre mondiale et elle est stipulée dans les dispositions internationales sur les conséquences de la Seconde Guerre mondiale, alors que les discussions sur les questions frontalières avec nos homologues chinois n’ont rien à voir avec la Seconde Guerre mondiale ou d’autres conflits militaires. Ceci est le premier, ou plutôt, devrais-je dire, le deuxième point.

En troisième lieu, en ce qui concerne la partie occidentale. Vous avez mentionné Kaliningrad.

Je plaisantais.

Toute plaisanterie mise à part, si quelqu’un est prêt à reconsidérer les résultats de la Seconde Guerre mondiale, nous en discuterons. Mais alors nous devrons discuter non seulement de Kaliningrad, mais aussi des pays de l’Est de l’Allemagne, de la ville de Lvov, une ancienne partie de la Pologne, et ainsi de suite, ainsi de suite… Il y a aussi la Hongrie et la Roumanie sur la liste. Si quelqu’un veut ouvrir la boîte de Pandore et s’en occuper, alors d’accord, qu’il hisse l’étendard et qu’il y aille.

Suite…

Traduit et édité par jj, relu par Catherine pour le Saker Francophone

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