Le précurseur de l’Union européenne


Par Fr. Andrey TKACHEV  le 22 avril 2018  Source orientalreview.org

Pourrait-on considérer, au moment où Napoléon traversa le fleuve Neman, et dit de la Russie « que son destin s’accomplisse », qu’une agression de la Russie par une Union européenne du XIXe siècle avait commencé ? On peut l’appeler comme on veut, mais à l’exception des Balkans, alors sous occupation turque, toute l’Europe était embarquée dans cette campagne − la Prusse, l’Autriche et la Suisse en tant qu’alliés, et la Pologne, l’Espagne et l’Italie comme vassaux. Il ne manque quasiment aucun pays. Bien entendu, il n’y a pas de sens historique à plaquer un vocabulaire contemporain sur des événements passés. Mais là où le chercheur s’arrête, le polémiste peut s’aventurer. Et, ces précautions étant posées, je vais pourtant considérer que la campagne napoléonienne était une campagne de l’Union européenne d’alors. À cette époque, elle n’était pas unifiée par un marché commun du travail et des capitaux, mais par un génie, qui s’était extrait de la révolution comme un serpent sort du feu ; un génie en lequel beaucoup, quand ils ne virent pas l’Antéchrist en personne, distinguèrent son annonciateur.

Alors bien sûr, l’Union européenne que nous connaissons est apparue quand elle est apparue, et pas une année plus tôt. Elle a commencé son existence après la Seconde Guerre mondiale, sur la base d’une communauté européenne du charbon et de l’acier. Son objectif second, outre l’argent, est d’unifier les élites industrielles européennes à leurs profits mutuels, afin qu’elles n’aient plus besoin de fomenter des guerres les unes contre les autres. C’est une affaire propre aux élites et aux énormes bénéfices réalisés par les grandes industries. Ne laissez pas votre petit cœur s’attendrir quand elles vous racontent leurs contes de fées sur les petites et moyennes entreprises, ou les Droits de l’Homme – du « petit » homme. N’oubliez pas : cela commence par les énergies fossiles, puis on parle de fondre et de laminer du métal, et d’autres joyeusetés industrielles ; tout cela est-il si glamour ? C’est seulement après cela que viennent les coiffeurs, les maquilleuses, les architectes d’intérieur, les émissions à la télé et les vétérinaires pour animaux domestiques. Voilà la logique économique. Il faut disposer d’usines pour avoir des centres commerciaux, des bars et des garderies. Sans les usines, vous n’avez pas ce qui suit − qu’importent les comptines et les danses que vous voyez sur le thème des hausses de budgets et des droits civiques. Laissez ça à ceux qui y croient.

Au demeurant, c’est exactement ce que fait l’Union européenne − celle de maintenant, pas celle de Napoléon. Elle prodigue des comptines sur les petites et moyennes entreprises, et dans le même temps, elle étrangle les industries locales dans les pays où son influence s’étend. Elle achète le secteur bancaire, détruit les industries, corrompt les peuples par des crédits à la consommation et sèvre les gens du travail qu’ils ont accompli toute leur vie. Jusqu’il y a peu, l’UE continuait d’instiller à ses vassaux, doucement mais sans relâche, les nouveaux principes dont les gens lettrés ne parlent qu’en chuchotant. C’est cela, l’Union européenne. Et si Napoléon était l’annonciateur de l’Antéchrist, il n’était qu’un gamin par rapport à cette clique de bureaucrates gris, qui chantent l’égalité en pavant la route de Satan.

Mais j’aimerais, en pensée, revenir à une époque plus reculée que celle de Koutouzov ou Bonaparte. Revenons au XVIe siècle, plus précisément, en l’an 1596. Il s’agit de l’année de l’Union de Brest. Retour à ces jours bénis où les Européens n’étaient pas obligés d’accepter que les unions entre personnes du même sexe débouchent sur un mariage. Comment ? Il faisaient l’unanimité là-dessus. Les Européens s’éveillaient au son des cloches des cathédrales et scrutaient chaque mot des encycliques papales ; ils n’auraient jamais pu imaginer un couple vivant hors des liens officiels du mariage. Les usines ne les intéressaient pas : il n’y avait pas d’usine. On mesurait sa richesse selon l’étendue et la qualité de ses terres, et la capacité de ses sujets à les travailler. Le paradis et l’enfer étaient des réalités. La vie était dure, sale, courte, mais extrêmement intéressante. Le vrai pouvoir, à l’époque, résidait dans les sphères de l’idéologie. Et l’idéologie de ce bon vieux XVIe siècle était religieuse jusqu’à l’os.

La cité du Vatican

La cité du Vatican

Ainsi, l’Europe catholique du XVIe siècle, dont le cœur était à Rome (précisément, au Vatican), proposa aux Slaves de l’Est une union (unia, en Latin) en ces termes : « Embrassez notre foi, car nous sommes plus hauts que vous. Sans nous, et sans notre foi, vos âmes ne seront pas sauvées. Sans nous, vous serez des esclaves et des mécréants. Mais si vous nous rejoignez, vous partagerez notre majesté, et vous entrerez au Paradis avant même votre mort. Embrassez notre foi et remettez-vous en à nous. Sans quoi, nous vous y obligerons, pour votre propre bien ; parce que Dieu, au travers du Pape, nous en a donné le droit. »

Ça, c’était l’Union européenne du XVIe siècle. Pas de charbon, pas d’acier, pas de LGBT, pas de crédits à la consommation − mais toute l’arrogance du colon envers les indigènes ; la même vanité et la même impénitence. Fondamentalement, c’est une forme de satanisme, sous un masque chrétien ; simplement, de nos jours, ce satanisme fatigué porte un masque de philanthropie libérale. Nos ancêtres, pour incultes qu’ils fussent, n’étaient dépourvus ni de sagesse, ni d’intuition naturelle, ni d’un certain sens de la dignité. En réponse à cette proposition, ils relevèrent leurs manches et se préparèrent à se battre. Ça se passait ainsi en ce XVIe siècle béni, qui se coula en XVIIe siècle béni avec tous ses sujets non résolus. Dans l’ensemble, l’Unia fut un échec. Mais pas un échec immédiat, et pas un échec partout. Elle parvint à infecter une partie d’un corps jusque-là sain. L’Unia s’implanta fermement en Ukraine de l’ouest et partiellement en Biélorussie de l’ouest. Une nouveau phénomène était né dans ces régions : une foi orientale, saupoudrée de rites occidentaux et d’une obéissance à Rome ; ou, au contraire, une foi occidentale avec des rites orientaux. Personne n’est en mesure de déterminer laquelle de ces propositions est la plus juste.

Passés quelques siècles, les gens s’accoutument à toute erreur, ou peuvent aimer profondément toute distorsion. Mais la nature de la distorsion, en soi, ne change pas. Elle ne fait que grandir dans la conscience de ceux qui y sont accoutumés. Pour autant, la menace qu’elle porte reste présente.

Il reste peu de choses à dire en conclusion. Au XXIe siècle, nous retombons sur un problème dont les racines remontent à la fin du XVIe siècle. L’Unia, qui a dévasté l’Ukraine plus d’une fois dans l’histoire et a amené à la partition de la Pologne, n’a rien perdu de sa charge négative. L’Unia réside au cœur de tous les problèmes historiques ukrainiens. Comme tout son passé et, encore plus, son histoire contemporaine nous l’ont montré, elle peut être la source non seulement de querelles, mais aussi de rages et de prises d’armes, de conflits montés contre des frères de sang, et d’appels au bain de sang. En surface, elle prône la tolérance européenne, mais en profondeur elle appelle à la « Kristallnacht » [la nuit de cristal, NdT] ; en surface elle veut l’amour sans frontières, mais en profondeur elle pousse à la nazification avec tout ce qui s’ensuit. Il n’est pas évident pour les gens de voir en quoi un mouvement religieux vieux de 400 ans peut aujourd’hui présenter des influences plus fortes que le taux de change du dollar ou que le prix du pétrole brut. Mais c’est ainsi. Les erreurs des théologiens peuvent porter à lourdes conséquences. Toute l’histoire de la russophobie de l’Ukraine moderne et toute sa haine de l’orthodoxie sont sorties de l’Unia, de cet ancien modèle d’unité européenne et de sa réussite à établir une tête de pont dans le monde slave à l’Est.

Évitez de considérer l’histoire superficiellement. Ne pensez pas que l’argent décide de tout, et que tout s’explique par l’enrichissement personnel. L’Histoire est plus compliquée que cela, et l’homme plus mystérieux. Si l’hérésie pénètre l’âme d’une société, petite ou grande, les gens pris de cette hérésie peuvent agir à l’encontre de leurs propres intérêts et de leur raison. Cela va amener à une sorte de scénario suicide, l’hérésie constituant une forme de mort spirituelle. Au milieu de cette mort absurde, les gens vont encore créer des histoires héroïques, et chanter les chants sur le thème de la beauté de mourir pour la liberté. Cela ne va pas beaucoup les aider. Mais le plus triste est qu’il est impossible de les en dissuader.

Voici la dernière pensée du jour. Regarder les dernières informations ne nous est utile que sur la base d’une certaine connaissance de l’histoire mondiale, et de quelques bases théologiques. Faute de quoi, nous ne faisons que soumettre notre conscience à quelque manipulation activée par quelqu’un d’autre.

Fr. Andrey TKACHEV

Traduit par Vincent relu par jj pour le Saker Francophone

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