Guerre commerciale entre les États-Unis et l’Allemagne ?


Le 24 avril 2018 − source orientalreview.org

La température est récemment montée d’un cran dans les relations entre les USA et Allemagne. À rebours des tentatives répétées de Washington visant à aligner ses alliés dans le giron de l’OTAN en réaction à un « ennemi commun » fabriqué − en l’occurrence la Russie − le poids lourd économique européen ne cesse d’agacer son partenaire d’outre-atlantique en renforçant ses positions propres.

La première raison de cette divergence est purement économique. Si l’on regarde le tableau général, l’Allemagne est politiquement restée un protectorat américain ; elle reste même officiellement un pays occupé militairement, et ce depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais, économiquement, c’est le schéma inverse qui s’est progressivement établi : les USA constituent désormais, en pratique, une colonie allemande. La balance commerciale américaine accuse un déficit proche des 70 milliards de dollar par an, ce qui en fait le deuxième déficit le plus important en volume, dépassé uniquement par le déficit américain envers la Chine. Cet état de fait n’est pas pour plaire au président Donald Trump, qui veut changer la donne. Mais quel que soit son désir exprimé d’agir pour protéger les USA et les travailleurs américains, on a toutes les raisons de penser que son objectif premier est de porter préjudice aux rivaux de l’Amérique et d’affaiblir les positions de Berlin.

Le Professeur Gustav Horn, directeur de l’institut politique macro-économique

Si l’on s’en réfère à Gustav Horn, le directeur de l’institut politique macro-économique (IMK) basé à Dusseldorf, la voie commerciale choisie par Trump pourrait pousser l’Allemagne vers la récession. Et plusieurs éléments très concrets sont préoccupants : le risque de récession, estimé à 6.8% en mars 2018, se voir ré-estimé un mois plus tard à 32.4%, c’est à dire que cette probabilité a quasiment quintuplé ! Les déclarations protectionnistes du président des USA ont des conséquences profondes sur les marchés financiers et l’économie en Allemagne.

Pour celle-ci, l’année que nous vivons est la cinquième année de croissance économique rapide ininterrompue. C’est une bonne performance à long terme selon les standards actuels, surtout si l’on considère les problèmes économiques des autres pays en Europe. Le chômage allemand a atteint un niveau si bas qu’il n’est pas rare d’y voir des entreprises refuser des commandes par manque de main d’œuvre. Les niveaux de taxes record collectées par le gouvernement d’Angela Merkel sont également remarquables. Mais au final, c’est bien le point fort de l’économie allemande : son orientation vers l’exportation, qui pourrait se révéler constituer sa faiblesse. Trump le « protectionniste » est mal disposé envers les pays présentant une balance commerciale excédentaire envers les USA. Et Berlin, dont Trump n’hésite pas à déclarer qu’elle suce la moelle de l’économie américaine [Si le président du système monétaire dominant dit cela de l’Allemagne, que devraient donc en dire les Européens qui subissent l’euro de plein fouet ? NdT], a fait l’objet de critiques spécifiques de sa part plus souvent qu’à son tour, tout comme la Chine et le Japon.

En janvier 2017, le département d’État aux finances américain infligeait une amende de 425 millions de dollars à la Deutsche Bank pour violation des lois américaines anti-blanchiment, sur un dossier qui a vu environ 10 milliards de dollars sortir de Russie entre 2011 et 2015. Le directeur du département d’État américain faisait ainsi à cette occasion la leçon à la plus grande banque allemande : « Dans le réseau financier interconnecté que nous connaissons de nos jours, les institutions financières mondialisées doivent se montrer plus vigilantes que jamais dans la guerre contre le blanchiment d’argent et les autres activités pouvant contribuer à la cybercriminalité et au terrorisme international. » Il fallait comprendre que la banque avait travaillé avec des clients ciblés par des sanctions infligées après les événements en Ukraine.

À peu près en même temps, Trump frappait un grand coup sur l’industrie automobile allemande. Dans une interview accordée au journal allemand Bild, au cours de laquelle il déclarait défendre les intérêts des fabricants automobiles américains, il avait violemment critiqué BMW, Volkswagen et Daimler, à cause de leur volonté d’exporter trop de véhicules vers les USA au lieu de les construire sur le sol américain, menaçant ces fabricants d’une taxe à l’importation de 35%.

Les réactions ne se firent pas attendre. Faisant suite au scandale des émissions diesel, Volkswagen fut la première à répondre, confirmant la signature d’un accord avec le département américain de la justice stipulant le paiement d’une amende de 4.3 milliards de dollars, ainsi que « des mesures complémentaires de renforcement du système de surveillance ».

Il est remarquable que Trump ait choisi l’industrie automobile allemande comme exemple au moment où il mettait en place ses politiques protectionnistes. Il ne prenait pas seulement l’Allemagne comme « souffre-douleur », mais le symbole même de sa puissance économique − ses fabricants automobiles. Dans les faits, force est de constater que l’Allemagne n’est plus le « partenaire particulier » américain qu’elle était en Europe, mais qu’elle est désormais considérée comme principal rivale économique, contre laquelle une guerre à l’issue pré-programmée peut être déclarée.

Peter Navarro, conseiller aux politiques commerciales de Trump

Autre fait notable, on a vu en janvier 2017 Peter Navarro, conseiller aux politiques commerciales de Trump, au cours d’une interview avec le Financial Times, accuser l’Allemagne de manipuler un euro sous-évalué, laissant ainsi l’Allemagne favoriser ses exportations et « exploiter » les USA ainsi que ses propres partenaires européens. Il soulignait qu’entre 2015 et 2016, les émissions records de monnaie de la Banque Centrale Européenne avaient fait baisser la valeur de l’euro de 25%. Ce qu’omettait de dire le conseiller de Trump, c’était que Berlin en cela ne faisait que suivre l’exemple de Washington, tout comme Pékin. Pour couronner le tout, Navarro désignait Berlin comme principal obstacle au Transatlantic Trade and Investment Partnership [TTIP].

Ted Malloch

Ted Malloch, qui fut à un moment pressenti comme ambassadeur des USA auprès de l’UE, est allé encore plus loin, déclarant en janvier 2017 que la zone euro était aux portes de la mort et que l’euro « pourrait s’effondrer dans les 18 prochains mois ». De fait, c’est l’opinion de Donald Trump lui-même qu’il exprimait, ce dernier ayant prédit dans une interview pour Bild que la chancelière allemande Angela Merkel ne resterait plus en poste bien longtemps et que nombre de pays membres de l’UE suivraient bientôt le Royaume-Uni sur la voie de la sortie.

Les attaques américaines ne sont donc pas nouvelles. Mais jusqu’à présent, elles restaient surtout cantonnées à des allocutions et des tweets dans le style bien connu de Trump. Même si ces derniers ont eu des conséquences importantes, on ne saurait comparer leurs effets avec les conséquences d’actions tangibles. À présent, Washington joint les actes à la parole et semble se montrer sérieuse, comme l’a prouvé l’affaire des tarifs [douaniers] de mars [2018] sur les importations chinoises.

« Nous ne savons pas encore si les tarifs [douaniers] punitifs finiront ou pas par s’appliquer aux importations européennes, mais les inquiétudes s’intensifient », explique Gustav Horn.

On peut s’attendre à ce que, l’économie du continent européen voyant sa croissance décliner, les autres pays européens se retiennent de réagir trop négativement aux décisions de Washington. De nombreux dirigeants européens partagent l’avis de Trump sur le renforcement de l’économie allemande, et sont convaincus que cette croissance s’est faite aux dépens du reste de l’Europe. Il est indéniable que l’économie allemande est la grande gagnante de la création de la zone euro, au sein de laquelle Berlin réalise ses exportations vers des pays très en retard sur le développement économique allemand.

Donald Trump n’est pas le premier président américain à s’inquiéter, que ce soit du commerce allemand très lucratif (pour les Allemands) ou des mesures d’austérité que Berlin impose à l’ensemble du continent. Barack Obama s’était lui aussi disputé avec Angela Merkel, affirmant que l’Allemagne devrait stimuler sa propre demande intérieure et importer davantage de produits et marchandises d’autres pays européens, au lieu de s’en tenir à renforcer sa propre industrie d’exportation au mépris de ses voisins.

Au vu de l’environnement observé et sur la base des résultats de leurs études, les analystes de l’IMK exhortent la chancelière à augmenter les dépenses visant à renforcer l’économie domestique allemande, plutôt que de continuer de faire croître ses domaines d’exportation, considérés comme non soutenables. « Il y aurait deux répercussions positives si nous renforcions la croissance domestique en Allemagne et en Europe, déclare Gustav Horn. D’abord, la croissance deviendrait moins sujette aux trous d’air sur les marchés d’exportation mondiaux. Et deuxièmement, cela diminuerait les excédents commerciaux allemands − coupant ainsi l’herbe sous le pied de Trump. »

Le président Donald Trump rencontre la Chancelière allemande Angela Merkel dans le bureau ovale de la Maison Blanche

Quoi qu’il en soit, outre les aspirations protectionnistes du président américain, Washington a dévoilé son engagement fort à durcir sa politique de sanctions anti-russes. Les dégâts envers l’industrie allemande pourraient s’élever à des centaines de millions d’euros. Les fabricants automobiles Volkswagen et Daimler, ainsi que l’entreprise Siemens, prendront une nouvelle fois l’impact de plein fouet. Mais, à ce qu’il semble, Angela Merkel a ses propres projets visant à sortir de ce guêpier. Le gouvernement allemand comprend ses responsabilités envers la communauté des affaires, qui a toujours insisté pour pouvoir investir en Russie. Pour cette raison, Berlin va tâcher de tenir bon et de défendre les intérêts de ses entreprises nationales. Mais d’ici à ce qu’un accord constructif soit trouvé avec Washington, ce sont jusqu’aux petites et moyennes entreprises allemandes qui vont se sentir menacées.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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