Donbass : Sanctuaires profanés


Par Dagmar Henn – Le 12 avril 2015 – Source thesaker.is

Voici le premier article qui m’a été envoyé par la représentante de la communauté du Saker en Novorussie, Dagmar Henn, du Saker allemand. Dagmar a fait un voyage difficile, avec très peu d’occasions d’écrire et seulement quelques connexions sporadiques et lentes à Internet (après tout, c’est une zone de guerre). J’espère que ce sera le premier d’une série de témoignages oculaires, envoyés par Dagmar sur la réalité de la vie en Novorussie aujourd’hui.

The Saker

Nous nous arrêtons devant une église incendiée. C’est Petrovsky, une des zones les plus affectées par les bombardements ukrainiens. La destruction semble totalement accidentelle, la loterie d’un bombardement qui a laissé des ruines entre des bâtiments intacts, immaculés. C’est une banlieue avec de petites maisons d’un étage, construites en briques rouges, entourées de barrières de métal vertes, coincées entre des mines, des fabriques et des voies de chemin de fer. Tout le paysage est dominé par des collines artificielles, des terrils laissées par un siècle d’exploitation des mines, qui montrent encore leurs escarpements de pierres brutes.

Eglise du Donbass bombardée par Kiev en 2014

Ce bâtiment a été construit au XIXe siècle pour un usage administratif, raconte Alexandr Kolesnik, un membre du parlement de Novorussie, puis a été transformé en école, et finalement en église au moment de la perestroïka. Toutes les femmes de notre groupe se couvrent la tête. Stanislawska, l’une de nos guides, se précipite sur le photographe turc pour lui demander le foulard qu’il porte autour du cou lorsqu’elle remarque que je n’ai rien sur moi qui pourrait remplir cet office, et donc je finis par entrer dans le lieu avec son foulard de coton gris sur les cheveux. Ce qui était autrefois la salle centrale est maintenant une ruine ouverte. Des marques noires descendent des trous béants qui auparavant étaient des fenêtres, et l’odeur de bois brûlé flotte encore dans l’air, même si le feu est éteint depuis des semaines. Le toit de l’entrée existe encore, mais seulement comme un plafond de charbon de bois. C’est, en minuscule, la version de Donetsk de la cathédrale de Coventry.

Une petite salle, derrière l’ancien sanctuaire, reste encore presque intacte, et une communauté de fidèles, serrés les uns contre les autres, assiste à un service. L’endroit a été bombardé, sans interruption, pendant une journée entière, me dit-on, et lorsque l’église a été touchée, il y avait des gens dedans, mais heureusement ils ont pu sortir et personne n’a été tué.

Il y a une cour derrière l’église, gardée par deux chiens enchaînés qui protestent bruyamment contre notre intrusion; dans la cour, il y a aussi un puits et quelques plate-bandes pour les légumes. Entre une table et une collection de tubes de métal, il y a les restes des obus qui ont détruit l’église; est-ce que c’est des Grad ? Non, ce n’est pas des Grad, c’est des Ouragan. Les obus Ouragan sont plus grands que les obus Grad…

Nous continuons notre voyage.

Entre des arbustes, de petites maison et un terril datant de la mine, une petite cabane se révèle être l’entrée d’un ancien abri soviétique contre les bombes. Je n’étais jamais entrée dans un tel abri auparavant. Comme nous descendons les escaliers de béton, je pense à ma mère. Lorsque j’étais petite, elle essayait de me faire plier mes vêtements soigneusement après m’être déshabillée, en me disant combien c’est utile si on doit s’habiller rapidement dans l’obscurité, en cas d’alarme à la bombe. Je n’ai jamais voulu plier mes vêtements, parce que je ne voulais pas provoquer de guerre…

Derrière deux lourdes portes d’acier blanc commence un monde souterrain rempli de lits, de couvertures, de tas d’effets personnels – et de gens. Deux petites filles aux boucles blondes se présentent ; l’aînée porte sa petite sœur dans les bras; la plus petite est habillée d’une robe rose, d’une couronne d’argent et se présente comme une princesse…

Les gens cuisinent sur de minuscules réchauds électriques posés sur le sol en béton, à quelques mètres seulement du prochain lit, directement sous une affiche représentant la structure de la défense soviétique, disparue depuis longtemps. Le haut des parois dans la première salle est décoré d’une frise ternie de la glorieuse armée soviétique, qui donne au lieu l’atmosphère de sanctuaire profané, envahi par des habitants du présent. C’est une forme particulière de cynisme qu’une de ces images, autrefois colorées, montre un lance roquettes Grad, exactement le type de d’arme dont ils ont cherché à se protéger.

Dans la salle suivante, la frise est dédiée aux forces ennemies, avec des croquis en noir et blanc de fusées Pershing et d’avions de combat Tornado; dans le coin en bas, un petit dais forme un minuscule espace personnel, rempli d’ours en peluche et de vestiges de cadeaux de Noël humanitaires.

Certains de ces gens ont vécu là depuis l’été de l’an dernier. Quelques-uns d’entre eux n’osent pas quitter l’abri; ils y transportent une autre vie, sous la forme d’un perroquet, d’un pigeon ou d’un chien, qui partagent leur demeure cachée. C’est trop loin pour eux du centre de la ville, où ils pourraient atteindre les endroits où est distribuée l’aide humanitaire, donc toute leur existence dépend des livraisons de bénévoles, et quelques-unes d’entre elles sont transformées en boulettes fraîchement cuisinées sur une table de bois, avec une vue directe sur un homme qui dort et l’organigramme des défenses soviétiques.

Cela avait été construit comme un abri antiatomique, donc il y a de l’eau, de l’électricité et de l’air frais, bien qu’il sente le moisi; un luxe relatif comparé à d’autres abris, qui ne sont en fait que des caves ordinaires, dénuées de toute infrastructure permettant d’y habiter longtemps.

Lorsqu’elle a entendu dire, l’été dernier, que la République populaire de Donetsk préparait des abris contre les bombes, Olga, mon interprète, a pensé que c’était ridicule. Il était prouvé que la plupart des abris étaient inutilisables; ils avaient été connectés à des usines et à des mines, donc les nouveaux propriétaires les avaient remplis d’autre chose ou avaient négligé de les entretenir, et certains d’entre eux ont été victimes de fermetures ou de faillites. Pourtant, qui pourrait sérieusement s’attendre à ce qu’une guerre fratricide retourne contre le peuple l’arsenal soviétique qu’il avait construit un jour pour le protéger?

Ici, personne ne veut nous parler. Le membre du parlement novorusse qui nous accompagne est visé par la diatribe d’un vieux mineur, partiellement traduite par Olga, qui a probablement censuré les imprécations. Ils ne font que mentir, de toute façon. Nous ne voulons pas parler avec eux. Pendant qu’il exprime sa colère, une femme d’âge moyen, superbement coiffée et maquillée, caresse le pigeon attaché à un des tubes en traversant la deuxième salle. C’est la peau de ses mains qui trahit son ancien métier.

Quand nous sortons de l’abri, les deux petites filles sont assises silencieusement l’une à côté de l’autre, sur l’un des bancs de bois.

C’est la fin de l’après-midi lorsque nous arrivons au stade de Donetsk. L’OVNI récemment atterri, avec sa façade de verre, a été égratigné, mais pas gravement endommagé par les hostilités. Les héros du sport figurant sur les énormes banderoles qui le décoraient ont disparu depuis longtemps; le club est parti pour l’Ukraine de l’Ouest parce qu’il ne voulait pas laisser passer sa chance de participer à la Ligue des champions, même si cela signifie que les supporters de sa ville natale devront traverser un territoire ennemi pour assister aux matches. Le stade brillant reste une coquille vide, entourée par le système élaboré de cages et de clôtures que les nobles de l’UEFA utilisent pour contrôler une foule prolétarienne sauvage.

Il est illuminé la nuit, dit Olga, c’est superbe, il ressemble à un diamant. Je ne peux confirmer; il y a toujours un couvre-feu la nuit à Donetsk, donc les seuls étrangers susceptibles de voir ça sont ceux qui résident dans les nouvelles tours tape à l’œil de l’hôtel proche.

En plus du stade, il y a un monument rappelant la Grande Guerre patriotique, une version tardive des années 1980, une construction triangulaire noire avec deux grandes statues, un soldat et un mineur; sur la plateforme en face de lui, des chars d’assaut, des canons anti-aériens et d’autres armements de la Seconde Guerre mondiale. Stanislawka, l’ancienne fleuriste, grimpe sur un ancien blindé transport de troupes et demande une photo. L’espace à côté est vide; personne ne sait si l’objet manquant a été enlevé pour être repeint en perspective de la célébration, qui approche, du Jour de la victoire, ou s’il a été remis en service, comme c’est arrivé pour d’autres monuments de ce genre. Les couples viennent ici après leur mariage, raconte Olga, c’est une tradition, en honneur à leurs ancêtres qui se sont battus pour vaincre le fascisme; comment pourrions-nous jamais accepter que notre histoire soit réécrite? Comment pourrions-nous jamais accepter la loi de Bandera ?

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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