Par Andrew Korybko – Le 20 juillet 2018 – Source orientalreview.org
Trump a fait tourner les têtes cette semaine, en décrivant l’UE comme un « ennemi ».
La remarque, « politiquement incorrecte » et jusqu’alors inimaginable, est tombée au cours d’une interview que le président des USA a accordée à CBS News, à l’issue du sommet orageux de l’OTAN de la semaine dernière. Quand on lui a demandé qui constituait « le plus grand ennemi actuel » des USA, a répondu de manière tout à fait inattendue : « Eh bien, nous avons nombre d’ennemis. Je pense que l’Union européenne est un ennemi, ce qu’ils nous infligent en termes commerciaux. Là, vous n’auriez pas pensé à l’Union européenne, mais c’est un ennemi. » Peu après, il revenait sur sa déclaration en disant : « Je respecte les dirigeants de ces pays. Mais, d’un point de vue commercial, ils ont vraiment profité de nous et nombre de ces pays sont membres de l’OTAN et n’ont pas payé ce qu’ils devaient », mais les dégâts étaient déjà causés.
Un sondage récent indique que deux tiers des allemands estiment Trump comme « plus dangereux » que le président Poutine, et le ministre des Affaires étrangères allemand déclarait lundi que son pays « ne peut plus totalement compter sur la Maison Blanche ». Les médias traditionnels dépeignent cette situation comme une destruction auto-infligée des relations transatlantiques américaines traditionnelles, et laissent à penser que Trump trahit les alliés les plus proches de l’Amérique, mais la situation est bien plus compliquée que ne le laisse apparaître ce type d’explication simpliste.
L’idéologie « L’Amérique d’abord » de Trump est totalement contradictoire avec l’idéologie mondialiste de l’élite eurolibérale, et le milliardaire devenu président ne veut plus laisser ses contribuables régler la plupart des coûts de l’OTAN, tandis que les Européens vont et viennent à leur gré sur ces sacrifices financiers. En outre, il n’acceptera plus non plus, en aucune manière, le déséquilibre des barrières douanières entre les USA et l’UE. Sa réponse à ce sujet a par ailleurs été manipulée par d’habiles tactiques de gestion de la perception, la faisant passer pour « une attaque spontanée contre le commerce libre et équitable », quant bien même en réalité le commerce n’a jamais été réellement ni libre ni équitable, et que là réside le problème depuis le départ. Les USA devaient, selon les plans, subvenir à l’« utopie de prospérité socialiste » de l’UE, à cause des considérations remontant à la guerre froide, et ce raisonnement dépassé avait malgré tout perduré à des fins de mondialisation unipolaire.
Les Américains ont commencé à ressentir de l’irritation à voir leur gouvernement redistribuer des ressources, depuis des dizaines d’années, aux européens et même à la Chine au travers d’accords commerciaux asymétriques. C’est à l’image de ce que les Russes au temps de l’Union soviétique pouvaient ressentir, à voir le même processus au bénéfice d’autres républiques de l’Union et plus loin en Europe de l’est, et même envers les alliés de Moscou dans le « Grand sud » en Afrique et en Asie. Ce processus d’extraction indéfinie de richesse des États-Unis n’est pas sans conséquences à long terme sur la sécurité nationale du pays, et c’est pour cela que Trump qualifie l’UE d’« ennemie » : il s’agit de la désignation la plus nette de la compétition économico-stratégique entre les deux « faux amis », n’en déplaise aux Européens de se voir finalement nommer ainsi par le président des USA en personne.
Cet article constitue une retranscription partielle de l’émission radio context countdown, diffusée sur Sputnik News le vendredi 20 juillet 2018
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker francophone
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