Par Eric Margolis – Le 13 janvier 2018 – Source Unz Review
Henry Kissinger faisait remarquer, à juste titre, qu’il est souvent plus dangereux d’être un allié des États-Unis que son ennemi. La dernière victime de ce triste truisme est le Pakistan, un allié loyal des États-Unis depuis l’aube de notre ère.
La haine viscérale du président Donald Trump à l’égard des musulmans (peu importe de quel genre, pourquoi et où) a éclaté cette semaine lorsqu’il a ordonné l’interruption brutale des 900 millions de dollars d’aide américaine au Pakistan. Trump a accusé le Pakistan de mentir et de tromper les États-Unis en offrant un refuge sûr aux forces de résistance afghanes talibanes (« des terroristes » en américain) qui combattent les forces d’occupation américaines.
Frustrés et déçus en Afghanistan, les généraux impériaux américains, les bureaucrates du Pentagone et les politiciens essayent de rejeter la faute sur tous ceux qu’ils peuvent trouver, le Pakistan étant le premier sur la liste. Vient ensuite le tristement célèbre réseau Haqqani, qui est accusé de la plupart des échecs militaires américains en Afghanistan, bien que son rôle actif dans les combats soit modeste. Je connaissais son fondateur, le vieux Haqqani. Dans les années 1980, il était la tête de proue dans les initiatives menées par la CIA et le Pakistan pour chasser les Soviétiques d’Afghanistan.
Pourquoi Washington a-t-il accordé des milliards de dollars d’aide au Pakistan ? En 2001, Washington a décidé d’envahir l’Afghanistan pour déraciner ou détruire le mouvement de résistance pachtoune, les talibans, accusé à tort des attentats du 11 septembre 2001 contre New York et Washington. Les guerriers d’origine ethnique pachtoune que le président Reagan saluait comme des « combattants de la liberté » sont alors devenu des « terroristes » quand l’Occident a voulu occuper l’Afghanistan.
Mais envahir l’Afghanistan, un pays enclavé, est une entreprise impressionnante. Les troupes américaines devaient être ravitaillées par le port principal du Pakistan, Karachi, puis remonter les routes tortueuses des montagnes et traverser le col de Khyber en Afghanistan. L’énorme quantité de fournitures logistiques requises par les troupes américaines n’a pas pu être couverte par l’approvisionnement aérien. Il en coûte 400 $ le baril pour un gallon d’essence livré aux troupes américaines en Afghanistan, et jusqu’ à 600 000 $ par sortie pour garder un seul avion de combat américain au-dessus de l’Afghanistan. Sans une couverture aérienne 24h / 24 et 7 j/ 7, la force d’occupation américaine aurait été rapidement vaincue.
Envahir l’Afghanistan sans la coopération pakistanaise aurait été impossible. Le Pakistan a d’abord refusé de laisser les forces armées américaines franchir ses frontières. Mais comme l’ancien chef militaire pakistanais, le général Pervez Musharraf me l’a dit un jour : « les États-Unis m’ont mis un pistolet sur la tempe et m’ont dit de laisser pénétrer les troupes américaines et utiliser le Pakistan comme base, sinon ‘nous allons vous bombarder jusqu’ à vous renvoyer à l’âge de pierre’ ».
Ça c’est pour le bâton. La carotte prend la forme de 33 milliards de dollars US en espèces pour sécuriser les lignes terrestres de communication (la route Karachi-Bagram) et les lignes aériennes de communication. En fait, le Pakistan les a brièvement fermées en 2011 après que des avions de guerre américains ont tué deux douzaines de soldats de l’armée pakistanaise. Le Pakistan pourrait le refaire si Washington continue de le traiter comme un État ennemi.
Trump et son entourage ne comprennent tout simplement pas que le Pakistan a des intérêts primordiaux en matière de sécurité nationale dans l’Afghanistan voisin. Trente millions de Pakistanais sont d’origine pachtoune. Ils dominent les forces armées pakistanaises. 1 400 000 Pachtounes sont des réfugiés afghans dans le nord du Pakistan. Le Pakistan, dont la taille est étroite, voit l’Afghanistan comme son arrière-pays stratégique dans une prochaine guerre contre l’Inde, l’ennemi traditionnel.
Le régime installé par les États-Unis à Kaboul reproche régulièrement au Pakistan ses propres échecs. Sa puissante agence de renseignement, dominée par les communistes, répand régulièrement des contrevérités sur le Pakistan, affirmant que ce pays soutient le « terrorisme ».
En fait, les tribus pachtounes guerrières établies le long de la ligne Durand, la frontière artificielle entre le Pakistan et l’Afghanistan imposée par les colonialistes britanniques, sont sur le sentier de la guerre depuis le XIXe siècle. Winston Churchill a même approuvé l’utilisation de gaz toxique contre « ces tribus indisciplinées ». Le Faqir d’Ipi menaçait déjà de descendre des montagnes de l’Hindou Kouch et de mettre à sac la garnison britannique de Peshawar.
Aujourd’hui, dans les cercles du Pentagone, on entend dire que les États-Unis pourraient commencer à bombarder les « sanctuaires talibans » (des villages où vivent en fait ces habitants pachtounes) et envoyer ensuite des troupes américaines mobiles aériennes pour les attaquer. La plus longue guerre de l’histoire des États-Unis s’en trouverait rallongée. Washington ne peut tout simplement pas accepter que sa machine militaire ait été vaincue en Afghanistan, pays pourtant connu sous le surnom de « cimetière des empires ».
Il est également clair que les États-Unis n’ont pas renoncé à leur ambition de neutraliser ou de détruire l’arsenal nucléaire pakistanais. Attaquer des soi-disant enclaves terroristes dans le nord du Pakistan offrirait une couverture parfaite pour un assaut aérien et terrestre des États-Unis contre les complexes nucléaires et les sites de stockage dispersés du Pakistan. L’Inde et Israël pressent depuis longtemps les États-Unis d’attaquer l’infrastructure nucléaire pakistanaise.
Toute initiative américaine importante contre le Pakistan est très susceptible de le rapprocher d’autant plus de Pékin et d’étendre l’influence chinoise dans la région. Il est peu probable que la Chine permette que le Pakistan, un vieil allié, soit déchiré par la puissance américaine. Contrairement aux États-Unis, la Chine se souvient de ses vieux amis.
Eric Margolis
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.