Trump fait de beaux discours au sujet de l’Iran, mais il doit passer aux actes


Par M.K. Bhadrakumar – Le 9 février 2025 – Source Indian Punchline

Sadiq Khan, le maire de Londres, a prononcé un discours mémorable lors de la conférence annuelle houleuse du parti travailliste en 2016, tout en félicitant per forma Jeremy Corbyn d’avoir remporté l’élection à la direction du parti avec un mandat accru, mais en restant sceptique quant à la possibilité de « faire confiance au parti pour gouverner à nouveau ».

Il a commencé son discours en disant : « Les travaillistes au pouvoir. Nous ne nous contentons pas de parler, nous avançons aussi. Ne jamais sacrifier ou vendre nos idéaux, mais les mettre en œuvre chaque jour ».

Khan avait prédit qu’il était « extrêmement improbable » que Corbyn ramène le parti travailliste au 10 Downing Street. Il avait raison.

Les remarques du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, le 7 février à Téhéran, lors d’un discours devant les hauts responsables militaires, ont laissé transparaître une certaine méfiance, voire un certain pessimisme, quant à la perspective de parvenir à un accord durable sur le nucléaire avec les États-Unis.

Il s’agissait d’un discours inhabituel, prononcé trois jours seulement après que le président américain Donald Trump a signé, le 4 février, le mémorandum présidentiel sur la sécurité nationale imposant une « pression maximale » sur l’Iran afin de lui refuser « toute voie vers une arme nucléaire »

En résumé, le guide suprême a fait les observations suivantes :

  • Un accord nucléaire en soi n’est pas une panacée pour les problèmes de l’Iran.
  • L’expérience du JCPOA montre qu’on ne peut pas faire confiance aux États-Unis. Alors que le président Barack Obama n’a pas donné suite à l’accord de 2015, le président Donald Trump l’a tout simplement déchiré.
  • Rétrospectivement, toutes les négociations et toutes les concessions et compromis faits par l’Iran se sont révélés futiles.
  • Négocier avec les États-Unis n’est donc ni une chose sage ni une chose intelligente, ni même une chose honorable.

En effet, l’attitude des États-Unis à l’égard de l’Iran n’a pas changé de manière substantielle depuis 2015, date à laquelle l’administration Obama a négocié le JCPOA. Par conséquent, les remarques de Khamenei s’adressaient principalement à l’opinion publique iranienne polarisée sur l’efficacité et l’objectif de la reprise des négociations avec les États-Unis, et appelaient implicitement à l’unité nationale. C’est là l’essentiel.

Quant à l’action future, c’est au gouvernement d’en décider. Le président Masoud Pezeshkian, qui se targue d’être un disciple du Guide depuis qu’il est législateur, n’a pas encore réagi à la volonté déclarée de Trump de le rencontrer.

Au lieu de cela, il s’est fait l’écho des sentiments de Khamenei de manière indirecte : « Nous et nos enfants sommes capables de créer un avenir meilleur avec ce que nous avons. Il nous suffit de croire en nous-mêmes et de réaliser que nous en sommes capables. Lorsque nous développons une vision profonde et à long terme, nous pouvons réaliser et entreprendre les actions que nous désirons ».

La porte-parole du gouvernement, Fatemeh Mohajerani, a également adopté une ligne tangentielle dans un post sur X, indiquant que le gouvernement ferait de son mieux pour respecter la directive du Leader et faire résonner une voix unifiée de l’Iran. « Alors que tout le monde est conscient des problèmes, aujourd’hui nous avons besoin de plus d’unité et de solidarité qu’hier pour surmonter ces problèmes », a-t-elle écrit, ajoutant dans le même temps que “les négociations avec les pays européens se poursuivront, et tout le monde sait bien que l’Iran ne s’engagera pas dans des négociations si elles sont déshonorantes”.

Il est intéressant de noter que Mohajerani a également évité de faire une référence directe à l’administration Trump.

De toute évidence, les élites de Téhéran font cercle dans l’attente des négociations. Le président du Majlis, Mohammad Bagher Ghalibaf, a lui aussi confirmé la position de l’ayatollah Khamenei, en demandant à ses collègues du corps législatif et des autres branches du gouvernement de s’abstenir de créer des divisions.

« Il ne devrait pas y avoir de dualité ici. La nature des remarques du leader était ferme, définitive et différente du passé ». (souligné par l’auteur).

En fin de compte, c’est la voie diplomatique menée par l’astucieux ancien diplomate de carrière et ambassadeur, le ministre des affaires étrangères Abbas Araghchi (un ancien responsable du CGRI, soit dit en passant), qu’il convient de suivre de près. Araghchi est lui-même un négociateur chevronné sur le nucléaire qui a joué un rôle clé dans les pourparlers qui ont abouti au JCPOA lorsqu’il était vice-ministre iranien des affaires étrangères sous l’administration d’Hassan Rouhani.

Ce qui est le plus frappant, c’est qu’il y a une cohérence remarquable entre ce qu’Araghchi a dit dans une interview récente de Sky News avec son rédacteur en chef international Dominic Waghorn il y a une dizaine de jours et ce qu’il a dit aujourd’hui, deux jours après l’intervention de Khamenei.

En effet, l’entretien s’est déroulé dans le bâtiment du ministère des affaires étrangères à Téhéran – un geste inhabituel à l’égard d’un rédacteur en chef occidental. Waghorn est l’un des correspondants étrangers les plus expérimentés de l’Occident aujourd’hui, avec des reportages en Chine, au Moyen-Orient et aux États-Unis, et il a interviewé Trump, entre autres dirigeants mondiaux.

Lorsque Waghorn a attiré l’attention d’Araghchi sur les récentes allusions de Trump à une solution diplomatique, déclarant même qu’un nouvel accord avec l’Iran serait « agréable », le plus haut diplomate iranien a déclaré que même s’il était prêt à écouter le président américain, il faudrait beaucoup plus que cela pour convaincre l’Iran d’entamer des négociations en vue d’un nouvel accord.

Selon lui, « la situation est différente et beaucoup plus difficile que la fois précédente. L’autre partie devra faire beaucoup de choses pour gagner notre confiance… Nous n’avons rien entendu d’autre que des paroles gentilles, et ce n’est manifestement pas suffisant ».

En résumé, il existe un déficit de confiance qui doit d’abord être comblé et l’initiative doit venir de la Maison Blanche. Les belles paroles ne peuvent constituer la base de négociations sérieuses entre deux adversaires irréductibles.

Waghorn lui-même a déclaré : « Les Iraniens à qui nous avons parlé dans les rues de Téhéran ont dit qu’ils espéraient qu’un accord pourrait être conclu avec l’Occident s’il pouvait conduire à une levée des sanctions et à une amélioration de la situation économique désastreuse de l’Iran… La confiance entre l’Iran et l’Amérique est également à son plus bas niveau. Il sera extrêmement difficile de progresser vers un accord et de lever les sanctions ».

Avance rapide. Samedi soir à Téhéran, le lendemain du discours de Khamenei, Araghchi a souligné, en s’adressant à un rassemblement comprenant des hauts fonctionnaires et des membres du parlement, que les sanctions américaines actuellement en place contre le peuple iranien sont « cruelles » et constituent un obstacle majeur au développement économique de l’Iran, qui doit être levé, mais cela doit se faire par le biais de négociations et non de politiques de « pression maximale » annoncées par Trump dans son mémo présidentiel du 7 février.

Araghchi a déclaré qu’il y avait deux tâches à accomplir. La première consiste à lever les sanctions par le biais de « négociations et d’interactions avec d’autres ». La seconde, consistant à « annuler » l’impact négatif des sanctions, ce qui nécessite de l’autonomie, est « prioritaire » pour le gouvernement et est également considéré comme un devoir public.

Araghchi a souligné : « La levée des sanctions nécessite des négociations, mais pas dans le cadre d’une politique de pression maximale. Les négociations ne peuvent pas être menées dans une position de faiblesse, car elles ne seraient plus considérées comme des négociations, mais comme une sorte de capitulation. Nous n’irons jamais à la table des négociations de cette manière ».

En d’autres termes, les négociations avec les États-Unis et la promotion du programme iranien d’« autosuffisance » pour atténuer l’impact négatif des sanctions ne s’excluent pas mutuellement et ne constituent pas une question binaire, comme certains observateurs des remarques de Khamenei pourraient le penser à tort, mais peuvent se renforcer mutuellement.

Cependant, la grande question demeure : Trump, qui parle beaucoup, est-il prêt à joindre le geste à la parole ? Il faudra pour cela faire preuve de subtilité d’esprit et de créativité. Le nœud du problème est que l’administration Trump est remplie d’hommes unidimensionnels – de va-t-en-guerres et de super faucons contre l’Iran.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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