Tensions en mer de Chine méridionale : le mystère de l’île Woody.


Par Peter Lee – le 24 février 2016 – Source Asia Times

Un unique communiqué de presse disant que la Chine a déployé des missiles sol-air en mer de Chine Méridionale (MCM) a provoqué une certaine agitation médiatique. Mais si je vous disais, pendant que ce même internet se propage, que c’est encore et toujours la même histoire.

Fox News a lancé le coup d’envoi le 16 février dans l’émission Exclusive !, déclarant, sur la base d’images satellites commerciales qu’on lui a fournies, que la Chine avait expédié, par provocation, des missiles sol-air sur les îles contestées.

Ce que l’on peut voir sur ces images satellites sont des boîtes un peu floues. Voici la confirmation officielle : un fonctionnaire états-unien a confirmé la validité de ces photos. Le fonctionnaire a dit que l’image semble montrer un système de défense aérien HQ-9, qui ressemble beaucoup au système antimissiles russe, le S-300.

L’image satellite en question

Une autre confirmation vient du ministère de la défense de Taïwan, dont le parte parole a déclaré que le ministère avait confiance en ses renseignements qui lui indiquaient qu’il y avait eu des missiles sur l’ile et «à en juger par les photos satellites, il semble que ces missiles étaient des HQ-9».

國軍先前已掌握此項動態,會密切注意後續發展。國防部認為相關各方應共同維持區域和平穩定,避免採取任何升高緊張情勢的單邊措施。軍方官員也指出,根據衛星照片,解放軍部署在永興島的飛彈是「紅旗九型」。

Le titre du communiqué initial, dans le United Daily News taïwanais, un notable journal pro gouvernemental, est intéressant :

陸永興島部署飛彈 我早掌握

«Nous savions déjà que des missiles se trouvaient sur Woody Island.»

Le communiqué reprend mot pour mot le porte-parole du ministère, le général David Lo : «Nous avions déjà été prévenus de cette activité et nous porterons une grande attention à la façon dont elle se développera.»

Hmm.

Et pour les retombées ?

Le ministre des Affaires étrangères chinoises, Wang Yi, a semblé pris de court face à ce communiqué lorsqu’on lui a posé la question au cours d’une conférence de presse conjointe avec la ministre des Affaires étrangères australienne, Julie Bishop, et s’en est sorti par un démenti qui n’en était pas vraiment un.

Il a commencé par préciser qu’il n’avait été informé du communiqué que quelques minutes avant sa rencontre avec son homologue australien. «Nous pensons que c’est une tentative de la part de certains médias occidentaux de créer des nouvelles qui n’en sont pas.»

Après s’être donné le temps de la réflexion, le porte parole du ministère des Affaires étrangères a continué dans la même direction, sans confirmer ni démentir le communiqué, mais en réaffirmant les prérogatives chinoises d’installer des systèmes de défense en mer de Chine, au cours de trois conférences de presse successives. Les échanges ont été reproduits sur le site internet du ministère et le fait que le choix du contenu des conférences de presse exposés soit d’habitude plutôt sélectif, pour le dire poliment, indique que le gouvernement chinois avait décidé de rendre sa position très publique.

Les propos de l’amiral Harry Harris, qui dirige la flotte du Pacifique états-unienne, ont été repris par le New York Times, où il déclare que le communiqué, s’il s’avérait vérifié, l’inquiéterait :

L’amiral Harry B. Harris Jr, le chef militaire américain pour le secteur Pacifique, a dit que le déploiement de missiles, s’il était vérifié, irait à l’encontre des promesses de ne pas militariser la mer de Chine faites par le président chinois, Xi Jinping, au président Obama lors de leur rencontre à la Maison Blanche en septembre dernier.

Le 19 février, grâce au commandant de la flotte du Pacifique, via le journaliste Hope Seck du site  Military.com, nous avons enfin obtenu quelques informations significatives :

«Ma réponse serait OK, réfléchissons bien à ceci», a dit l’amiral Scott Swift, jeudi dernier à la conférence de l’AFCEA à San Diego, ajoutant que ce mouvement nécessitait d’être considéré dans le contexte de l’historique de l’île.

Les remarques de Swift arrivent exactement au lendemain d’une déclaration de John Kerry condamnant ces mouvements comme un signe de militarisation grandissante et promettant d’avoir une conversation des plus sérieuses avec les autorités chinoises à propos de ce déploiement présumé de missiles. Le président chinois Xi Jinping a promis de ne pas militariser la MCM lors d’une réunion avec Barack Obama à Rose Garden, ajouta Kerry.

En réalité, précise Swift, c’est au moins la troisième fois que Woody Island héberge des missiles HQ-9. Déjà deux fois auparavant la Chine a envoyé des missiles sur l’ile dans le cadre d’exercices.

«Le contexte est donc important. Ce n’est pas quelque chose de nouveau», précise-t-il.

Pendant l’un de ces exercices, la Chine a même utilisé ce système d’armement en tirant un missile HQ-9 pour abattre un drone, a-t-il ajouté. «Il y a donc eu un essai complet qui montre que le système est opérationnel et fonctionne.»

Mais, à la différence des précédents déploiements sur Woody Island, celui-ci n’est pas en relation avec un exercice, complète Swift.

«La vrai question à se poser est donc ‹dans quelle intention ? Pour combien de temps ? Est-ce un déploiement permanent ou pas ?›, dit il. C’est une série de questions auxquelles nous devons penser et que nous devons poser.»

Si c’est vraiment la troisième fois que HQ-9 fait son apparition sur Woody Island, cela expliquerait la déclaration taïwanaise disant qu’«on le sait déjà depuis un petit moment».

De toutes façons, tout cela est surtout du il semblerait, du si vérifié. L’amiral Swift s’est rapproché le plus d’une confirmation avec sa prosaïque caractérisation d’un mouvement, tout en montrant qu’il n’en savait que très peu à ce sujet. Un peu tiré par les cheveux tout cela.

Quant à la Chine, elle a simplement esquivé chaque question directe en réaffirmant son droit à installer des systèmes défensifs en mer de Chine.

La remarque de Swift, du coup, a plutôt confirmé ma foi en Janes [un magazine en ligne orienté sécurité/défense, NdT] comme source infaillible de cancans, étant donné qu’il débute son annonce par : «Pour la première fois, la Chine a déployé jusqu’à 32 missiles HQ-9 sol-air de 4e génération sur Woody Island dans les Paracels… »

Juste pour le fun, voici ce qui se dit sur la Radio publique nationale états-unienne :

LANGFITT : Je pense que c’est le cas. J’en ai parlé avec de nombreux analystes aujourd’hui et la majorité d’entre eux ne se souvient pas que la Chine ait déjà installé des missiles sur les îles disputées.

Tout comme à Hollywood, le mantra pour tout reportage sur les militaires en Asie est «Personne ne sait rien». Exactement comme le ministère de la Défense le désire, je pense.

Démêlons un peu tout cela.

D’abord, le communiqué initial de Fox News était sans aucun doute fait pour démonter la prestation faiblarde d’Obama au sommet de l’ASEAN de Sunnyland, dans laquelle il évita de dénoncer la malfaisance chinoise en MCM.

Si le lecteur entretient quelques doutes, qu’il regarde la vidéo de Fox News sur le cauchemar du président Obama pendant ce sommet de l’ASEAN : «Encore un autre exemple de puissance étrangère venant défier le président Obama de répondre à un acte de défiance et d’agression.»

Et il semble que ce soit l’œuvre d’un faucon de bas étage du Pentagone utilisant de vulgaires images satellites commerciales et non celles du Pentagone, dont la résolution est de 10 pouces (pourquoi les journalistes ne demandent pas aux militaires de rendre publiques de bonnes images concernant ces fuites me dépasse, mais passons). Fox News peut s’enorgueillir de partager le nom d’un des animaux les plus intelligents [Le renard, Fox en anglais, NdT], mais ce n’est pas, pour rester gentil, la meilleure destination pour des fuites provenant de la Maisons Blanche ou du ministère de la Défense. Ils n’ont même pas de bureau à Pékin ou, pour l’Asie, rien de plus proche que Kaboul, un fait assez remarquable à notre époque. Ce journal a donc peu intérêt à essayer d’obtenir une explication de Pékin avant de lâcher cette information dans la nature.

Les autres grands journaux furent aussi heureux ? – désespérés ? – de propager l’information de la Fox sans obtenir de commentaire venant de Chine. Reuters a contacté le général Lo à Taïwan, pas une référence habituelle pour les journaux occidentaux sur le sujet des îles Paracels, peut être parce qu’aucun ministre de la Défense d’ASEAN n’était intéressé a parler de cette histoire pendant que le sommet civil de Sunnyland se déroulait.

Mais il semble aussi que la Navy n’ait pas été très enthousiaste. Même si les mots magiques mer de Chine méridionale sont utilisés dans ce communiqué de presse, Woody Island est dans les Paracels, de vrais îles proches de la cote chinoise (saisies au Vietnam en 1974 et, même si disputées, elles ne reviendront plus au Vietnam), pas des îles construites comme les Spratly, loin au milieu de la MCM, celles qui sont la cause de tout le pataquès médiatique habituel contre la Chine.

Woody Island est une base militaire chinoise en développement depuis les années 1990. L’aéroport a été utilisé comme terrain militaire depuis sa construction. Il a été équipé d’une série de radars depuis 2008. En 2014 la piste a été agrandie pour accueillir des avions plus grands dont des Boeing 737. Un débat public a eu lieu pour savoir si Woody Island devait être développée de façon mixte civile/militaire ou rester militaire. Apparemment la décision a penché en faveur de la mixité car le gouvernement chinois prévoit d’inaugurer un vol civil quotidien pour l’île dès cette année.

L’orientation militaire de Woody Island ne fait aucun doute. Elle est considérée comme un élément clé dans l’extension de la couverture aérienne de l’armée de l’air chinoise vers la MCM qui se fait depuis l’île d’Hainan, et l’extension de la piste d’atterrissage a été largement commentée comme permettant la rotation d’avions de chasse plus sophistiqués. Plusieurs avions de type J-11 ont apparemment été installés sur Woody Island à la fin de l’année dernière sans que l’armée américaine ne râle et, comme l’a fait remarquer l’amiral Swift, l’île a déjà été utilisée pour des exercices impliquant des missiles sol-air. Je ne serais pas surpris si des missiles aient été temporairement installés parallèlement aux avions de chasse J-11 l’année dernière.

J’ai récemment vu un communiqué de presse disant que la Chine est en train de remplacer un groupe de J-11 par un autre sur Woody Island, ce qui explique peut être le déploiement de missiles sol-air de début février.

Donc, en résumé, rien de neuf sur Woody Island. En tous cas à propos de la militarisation en MCM, ce qui explique la réponse du style une affaire comme une autre du ministère des Affaires étrangères chinois et du ministère de la Défense taïwanais, voire même de la marine états-unienne. En considérant que les missiles étaient déjà déployés début février et que n’ayons pas vu ces images floues d’équipement de construction, il se pourrait bien que les pontes de la Navy n’aient pas vu l’intérêt de faire une histoire au sujet des manœuvres militaires de la Chine de début février, manœuvres que les États-Unis avaient complètement acceptées, sans faire le moindre commentaire, les années précédentes, et ont préféré se cacher derrière des commentaires du genre supposés ou si vérifiés plutôt que de chercher la Chine et d’entraîner une confrontation croissante sur un tel sujet.

Et n’oubliez pas la possibilité que la Chine ait prévenu le gouvernement états-unien du futur déploiement et que quelques petits malins du Pentagone aient saisi cette opportunité pour se lancer dans une campagne de harcèlement contre la Chine à l’occasion de la conférence de l’ASEAN.

Ce genre d’histoire aurait pu être intéressante et utile, mais apparemment pas assez alarmiste pour la presse occidentale. Finalement, il s’avère que le seul résultat durable a été d’avoir rendu public le caractère routinier des activités militaires que la Chine effectue sur Woody Island, alors qu’elle devient une base aérienne à part entière et établit les bases pour une possible déclaration de zone d’identification aérienne en MCM.

Peter Lee.

Article original paru sur Asia Times.

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.

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