Par Pepe Escobar – Le 2 mars 2016 – Source Russia Today
C’est un vrai miracle que lors des élections du week-end dernier en Iran, les adversaires de l’équipe Rouhani – en particulier la ligne dure opposée au traité anti-nucléaire – ont reçu une raclée retentissante – selon les termes d’Obama – à Téhéran.
Ils ont virtuellement disparu, en tant que représentants de la capitale, non seulement au Majlis (Parlement), mais aussi dans l’Assemblée des experts, légèrement orwellienne, dont les quatre-vingt-huit membres choisiront le prochain guide suprême, et qui supervise actuellement l’ayatollah Khamenei.
Il n’y a tout simplement aucun ultra-conservateur de la ligne dure parmi les trente membres parlementaires élus à Téhéran – leur chef, Gholam Ali Adel, est placé 31e. Les gagnants viennent de la soi-disant Liste de l’espoir dénommée par l’ancien président Mohammad Khatami, qui a ainsi qualifié les candidats pro-réforme.
Eh oui ! Il ne faut jamais sous-estimer la sagesse des électeurs iraniens.
Pourquoi Téhéran a-t-elle tant d’importance ? Parce que les représentants élus de la capitale sont ceux qui dictent la direction politique du Majlis.
À l’Assemblée des experts, les trois ultra-conservateurs clés ont également subi la raclée. Le plus illustre d’entre eux est l’ayatollah Mesbah Yazdi, alias Le Crocodile et chef Inquisiteur de toute sédition réformiste. J’ai essayé une fois, en 2006, de l’interviewer – en vain – à son séminaire de Qom en 2006 ; il refuse de parler aux journalistes étrangers. Il est essentiel de se rappeler que Mezbah Yazdi était le mentor spirituel de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad.
La raclée aussi pour l’ultra d’extrême-droite Mohammad Yazdi. Enfin, et très significativement, l’ayatollah Janati, le chef du Conseil des Gardiens de la Constitution – qui avait opéré la sélection des candidats à ces élections jumelles, en invalidant sans pitié d’innombrables candidats jugés trop critiques du système.
La conclusion c’est que l’Assemblée des Experts est maintenant centriste – mais encore loin d’être réformiste ; le Président Rouhani lui-même et l’ancien président Akbar Hashemi-Rafsanjani, alias Le Requin, ont attiré le plus de votes, aux côtés de cinquante-sept autres centristes.
Lent, progressif, et sans agitprop
Tout ce qui précède est arrivé grâce à une très forte mobilisation, à Téhéran, du vote de la classe moyenne libérale, jeune et féminine. Après tout les jeunes hommes et femmes composent la majorité de l’électorat, et la majorité de la population. Si elles avaient eu un slogan collectif, ce serait quelque chose comme, “La ligne dure, ça suffit !” – dont l’intolérance a seulement contribué à accroître l’isolement de l’Iran vis-à-vis de l’Ouest.
La raclée est également due à l’appel de Khatami, extrêmement populaire, renommé pour son dialogue des civilisations, toujours soutenu en masse par les femmes et les jeunes, autant qu’il est haï comme la peste par l’extrême-droite ultra et les rouages non élus de la complexe machine politique iranienne. S’il fallait résumer d’une phrase la substance de l’appel de Khatami, ce serait son incarnation de la confiance populaire dans les réformes.
Un Parlement centriste pragmatique sera une aubaine pour Rouhani dans sa quête d’ouverture économique – même s’ils représentent une minorité par rapport aux khomeynistes.
En effet, en milieu rural, l’Iran provincial est sur-représenté dans le parlement ; par exemple, les huit plus grandes villes du pays, où les centristes pragmatiques ont fait un bon score, concentrent plus de la moitié de la population, mais ne représentent que cinquante-sept des deux-cent-quatre-vingt-dix sièges au parlement.
Alors maintenant, tout est en place pour le maquignonnage. Les centristes pragmatiques de Téhéran auront assez d’espace pour convaincre plus d’un conservateur pragmatique de coopérer avec eux au Parlement dans l’intérêt national. Cela exclut, bien sûr, l’extrême-droite ultra, qui était contre l’accord nucléaire et n’est pas exactement désireuse de l’ouverture économique et culturelle de l’Iran à l’Occident – l’Asie est une autre histoire, qui est centrée sur le commerce.
Les résultats des élections ont déjà produit un regain d’intérêt des investisseurs européens potentiels sur un marché iranien très prometteur. L’Iran a besoin d’au moins $50 Mds en capitaux étrangers par an, selon le plan de cinq ans présenté par le gouvernement Rouhani en janvier.
Le point crucial est bien sûr l’énergie ; de nouveaux contrats pétroliers plus attractifs pour les multinationales étrangères ont déjà été annoncés – provoquant la colère des jusqu’au boutistes.
Mais Rouhani est un manœuvrier très intelligent. Il ne veut pas d’un Parlement embourbé dans une agitprop réformiste. Il sait que toute réforme en Iran sera lente et progressive. Voilà l’essence du calendrier centriste pragmatique.
Dans le même temps, cela aide beaucoup que l’accord nucléaire ait été soutenu en masse par les élites iraniennes. Prenons le cas d’Ali Larijani – un conservateur pragmatique – qui était à la tête du Majlis pendant deux ans et a fait un travail subtil pour repousser la ligne dure opposée au traité anti-nucléaire.
Larijani est élu en tant que représentant de Qom [une des villes saintes du chiisme, NdT]. Il a été fortement soutenu par une superstar politico-militaire : le général Qassem Soleimani, qui dirige actuellement les forces iraniennes en Syrie.
Le Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, pour sa part, a joué à la perfection son rôle d’arbitre vigilant, saluant le succès des élections tout en mettant en garde contre “un progrès superficiel sans indépendance, ni intégrité nationale.”
Donc, tout semble être sur la bonne voie pour que l’Iran obtienne les investissements étrangers dont elle a besoin et puisse réémerger comme une puissance géopolitique majeure en Asie du Sud pour avancer progressivement vers l’intégration eurasienne, aux côtés de la Russie, de la Chine et de l’Asie centrale, en apportant ce que veulent tous les Iraniens : une meilleure qualité de vie, un meilleur accès à la technologie (qui comprend l’Internet à haut débit), la paix avec les voisins (ce qui inclut la victoire contre ISIS / ISIL / Daesh), et le respect, dû depuis longtemps aux héritiers d’une grande civilisation : un pouvoir stable.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009),Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.
Traduit et édité par jj, relu par xxx pour le Saker Francophone
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