Syrie – Libération de l’autoroute M5, la colonne vertébrale de la vie économique syrienne


Moon of Alabama

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Par Moon of Alabama – Le 19 mai 2018

Dans ce point sur la situation syrienne, nous nous pencherons sur la consolidation du territoire tenu par le gouvernement syrien, nous parlerons des opérations à venir pour sécuriser l’indispensable autoroute M5, nous éclaircirons la question des S-300 et fournirons quelques indications sur les futurs développements politiques.

Au cours des douze derniers mois, l’armée arabe syrienne et ses alliés ont fait beaucoup de progrès.

20 mai 2017 – Pour agrandir

La zone détenue par le gouvernement va maintenant jusqu’à l’Euphrate et à la frontière entre la Syrie et l’Irak. Deir Ezzor a été libérée. La frontière avec le Liban a été sécurisée. Toutes les enclaves « rebelles » à l’intérieur des zones tenues par le gouvernement (à l’exception de la poche de l’EI dans le désert) ont été consolidées.

19 mai 2018 – Pour agrandir

Après avoir nettoyé la partie orientale de la Ghouta, à l’est de Damas, les forces gouvernementales syriennes se sont concentrées autour du camp de Yarmouk, au sud de la ville. Yarmouk, à l’origine un camp de réfugiés palestiniens, est une zone densément bâtie qui était tenue par des combattants de l’État islamique ainsi que par des « rebelles » payés par des pays étrangers. Les « rebelles » ont abandonné le combat et ont été évacués vers le gouvernorat d’Idleb. La superficie occupée par EI est réduite à moins de deux kilomètres carrés de terrain urbain dense. Il y avait des rapports contradictoires aujourd’hui sur le fait que les combattants de EI avaient renoncé à se battre et attendaient d’être évacués. Quoi qu’ils fassent, la zone sera libérée dans une semaine environ. La capitale syrienne sera alors totalement sécurisée.

Jusqu’à il y a deux semaines, une grande zone autour d’al-Rastan entre Homs et Hama était encore tenue par les forces « rebelles » locales. Le gouvernement syrien a envoyé ses forces d’élite du Tigre et un ultimatum – rendre les armes ou mourir. Les « rebelles » ont décidé de renoncer à un combat qu’ils auraient sûrement perdu. Ils ont accepté d’être conduits à Idleb. Al-Rastan est à nouveau aux mains du gouvernement. Cette opération a libéré l’autoroute M5 entre Homs et Hama.

L’autoroute M5 est la principale artère nord-sud de la Syrie. Elle relie Gaziantep en Turquie à Amman en Jordanie. L’autoroute traverse les principales villes syriennes d’Alep, Hama, Homs et Damas. Avant la guerre, tout le trafic de transit entre la Turquie et les riches pays du Golfe ainsi que la plupart du commerce intérieur syrien se faisaient par cette route. La Turquie, la Syrie et la Jordanie ont un intérêt économique commun à sécuriser et à rouvrir cette importante ligne de vie.

Autoroute M5 – Pour agrandir

Le prochain impératif stratégique de l’armée syrienne est donc de sécuriser l’autoroute M5 sur toute sa longueur.

Au sud de la Syrie, la liaison de la M5 avec la Jordanie traverse la partie orientale de la zone « rebelle » (en vert) en direction d’al-Mafraq en Jordanie. La frontière avec la Jordanie est fermée aux « rebelles » et étroitement contrôlée. Il y a eu des pourparlers entre la Jordanie et certains groupes « rebelles » dans le but de mettre fin au conflit dans le sud, mais ils ont échoué jusqu’à présent.

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L’armée syrienne a deux options pour le sud.

Soit elle se déplace, depuis le triangle formé au nord par les frontières du Liban, de la Syrie et du plateau du Golan occupé par les sionistes (en violet), en direction du sud le long de la ligne de démarcation et jusqu’à la frontière de la Jordanie. Les observateurs de l’ONU pourraient retourner sur la ligne de démarcation du Golan, surveiller l’opération et empêcher qu’elle ne dégénère en une guerre avec Israël. Cette mesure couperait les « rebelles » d’al-Qaïda et de EI de leurs approvisionnements israéliens. Les Takfiris pourraient alors être attaqués par l’ouest, le nord et l’est et un nettoyage général s’ensuivrait. Ce mouvement serait militairement et politiquement risqué, car Israël tenterait probablement de l’empêcher. Mais cela mettrait fin une fois pour toutes à un problème politique important. Il faudrait que le commandement russe discute avec Israël de ce plan.

Soit l’armée syrienne fait mouvement, à partir de Daraa, en direction de la frontière jordanienne pour encercler la partie orientale de la zone occupée par « les rebelles », ce qui est une opération plus facile tant politiquement que militairement. La partie orientale pourrait alors être libérée tranche par tranche. Cela assurerait la sécurité du trafic sur la M5 de Damas vers al-Mafraq et Amman, mais cela ne résoudrait pas le problème empoisonnant de la poche EI/al-Qaïda le long du plateau occupé du Golan.

Entre Hama et Alep, au nord, la M5 traverse la partie orientale du gouvernorat d’Idleb détenu par les « rebelles ». L’armée syrienne devra en prendre le contrôle avant que la route puisse être rouverte. Au nord d’Alep vers la Turquie, l’autoroute traverse une zone actuellement contrôlée par les forces turques. Ces dernières sont pour l’instant en mesure de sécuriser la route.

Le gouvernorat d’Idleb est détenu par divers groupes « rebelles », le Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) aligné sur al-Qaïda est le plus puissant d’entre eux. Idleb a été déclarée zone de désescalade en vertu de l’accord d’Astana et la Turquie a mis en place douze points d’observation pour surveiller la frontière de la zone. Il y a eu d’immenses luttes intestines entre HTS (en vert foncé) et d’autres groupes « rebelles » (en vert clair).

Par SuriyakmapsPour agrandir

Les 14 et 15 mai, les négociateurs turcs, russes et iraniens se sont rencontrés pour le neuvième cycle de négociations syriennes à Astana, Kazakhstan. Aucun progrès n’a été annoncé, mais la déclaration commune souligne une fois de plus « la souveraineté, l’indépendance, l’unité et l’intégrité territoriale de la Syrie ».

C’est probablement à Astana qu’un accord a été conclu sur la partie nord de l’autoroute M5. Peu après les pourparlers d’Astana, un rapport d’une source bien informée (à qui on a donné le nom d’un héroïque tireur d’élite russe) a déclaré que la Turquie avait informé les « rebelles » du gouvernorat d’Idleb qu’ils allaient devoir évacuer la zone située à l’est de la M5 entre Hama et Alep. L’armée syrienne interviendrait alors pour sécuriser l’autoroute. Si les « rebelles » ne suivent pas le conseil turc, l’armée syrienne entrera de force dans le gouvernorat d’Idleb par l’est et le sud pour les repousser vers l’ouest, au-delà de l’autoroute.

Dès que la M5 sera sous contrôle, la ligne de vie commerciale de la Syrie vers tous ses voisins sera rétablie. Et l’économie de la Syrie redémarrera sur des chapeaux de roue, ce dont elle a grand besoin.

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Il y a eu des discussions dans les commentaires sur Moon of Alabama et ailleurs au sujet des annonces russes sporadiques sur des défenses aériennes S-300 en Syrie. Ces discussions révélaient un manque de connaissances militaires.

Une défense aérienne est constituée de plusieurs niveaux ou couches :

  • La défense aérienne locale utilise des missiles portatifs de défense aérienne (MANPAD), des canons de 20 mm et des mitrailleuses. La portée est d’environ 2 000 mètres.
  • La seconde couche est constituée de systèmes d’une portée allant jusqu’à 20 kilomètres. La Syrie compte environ 40 systèmes Pantsir-S1/2 montés sur des camions. (Les forces russes en Syrie disposent d’une vingtaine de systèmes Pantsir-S supplémentaires pour protéger leurs bases. Ces derniers sont mobiles et constituent d’excellents postes de défense pour les aéroports et autres actifs importants. Lors de sa dernière attaque contre la Syrie, un missile israélien n’a pu détruire un système Pantsir que parce qu’il était en train d’être rechargé et ne pouvait donc pas réagir.
  • La troisième couche est constituée de systèmes de moyenne portée comme le S-200 syrien ou le BUK-2 russe plus moderne. Ces systèmes ont une portée d’environ 150 kilomètres. Les anciens systèmes S-200 que la Syrie utilise actuellement opèrent à partir de positions fixes. Cela les rend extrêmement vulnérables aux attaques de missiles de précision préprogrammées. Les frappes israéliennes ont détruit plusieurs de ces systèmes en Syrie.
  • Enfin, tout en haut de l’échelle, il y a les systèmes de défense de longue portée et de haute attitude. Les États-Unis ont les THAAD et la Russie a les systèmes S-300/S-400. Ils ont des portées supérieures à 300 kilomètres.

Les systèmes à longue portée des niveaux supérieurs ont toujours besoin d’être protégés par les couches inférieures de défense. Un missile S-300 coûte plusieurs dizaines de milliers de dollars mais ne peut pas détruire les petits drones jouets comme ceux que EI utilise pour larguer des grenades à main sur ses cibles. Il doit être protégé contre eux. Les systèmes Pantsir et quelques douzaines d’hommes avec des MANPAD et des mitrailleuses peuvent le faire.

Il serait insensé de fournir des systèmes S-300 à la Syrie sans avoir installé et sécurisé assez de couches de défense aérienne 1, 2 et 3. Ils ne feraient pas long feu. De plus les systèmes de reconnaissance (radars et systèmes de guerre électronique) et de communication, de commandement et de contrôle doivent être plus sophistiqués et plus nombreux pour pouvoir opérer les systèmes S-300. Et tous ces systèmes haut de gamme à longue portée ont besoin d’opérateurs hautement qualifiés, et sont très coûteux.

Ce dont la Syrie a actuellement besoin, c’est de systèmes Pantsir. Il est urgent de remplacer les anciens S-200 par des BUK-2 modernes et mobiles. Ces systèmes sont mieux adaptés au champ de bataille syrien que le célèbre S-300. Ils ont aussi l’avantage d’être beaucoup moins chers.

Pour avoir une meilleure idée du rôle de la Russie en Syrie, au-delà du pinaillage sur le S-300, je recommande fortement le dernier article d’Elijah Magnier : La Russie est au Moyen-Orient pour mettre fin à la guerre, pas pour participer au conflit Iran-Israël.

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Le 14 mai, le président syrien Assad a rencontré le président russe Poutine à Sotchi. Ils ont discuté du processus politique nécessaire pour mettre fin à la guerre. Assad s’est engagé dans des négociations supervisées par l’ONU sur des changements constitutionnels en Syrie, mais a rejeté les changements significatifs du système syrien que des puissances extérieures voulaient lui imposer. Il a dit :

« Nous nous sommes concentrés sur la question du Comité constitutionnel qui devrait être constitué suite au Congrès du dialogue national syrien. Nous espérons travailler bientôt avec l’ONU dans ce sens. J’ai confirmé au Président Poutine aujourd’hui que la Syrie enverrait la liste de ses délégués au Comité constitutionnel pour discuter des amendements à la Constitution actuelle. Ce sera fait dès que possible. »

Que cela ait été dit après une réunion avec Poutine confirme que la tentative russe d’écrire une nouvelle Constitution pour la Syrie a fait long feu. Il n’y aura pas de semi-fédéralisation pour les Kurdes ou autres qui affaiblirait le gouvernement central, ni aucune mesure qui affaiblirait la position d’une présidence syrienne. La Constitution peut être amendée, mais sa structure de base ne sera pas modifiée.

Traduction : Dominique Muselet

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