Sanctions contre la Russie


Quelles conséquences pour l’Europe ?


Par Emmanuel Leroy − Le 13 juin 2019

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Avant de tenter de répondre à la question des conséquences de cette crise pour l’Europe et la France en particulier, il me paraît nécessaire de rappeler le contexte de ces sanctions prises contre la Russie après le coup de force du Maïdan – soutenu par l’occident rappelons-le – et qui a entraîné le renversement du Président ukrainien légitimement élu, Viktor Yanoukovitch, ce qui conduira au référendum d’autodétermination de la Crimée en mars 2014 et au rattachement de cette dernière à la Fédération de Russie.


Initialement, j’avais prévu de faire un exposé détaillé sur les pertes consécutives aux sanctions contre la Russie dans les différentes filières touchées, en France et en Europe. Mais en regard de l’évolution très rapide de la situation géopolitique sur le plan international, j’ai pensé qu’il n’était peut-être plus nécessaire d’énumérer comme dans Perrette et le pot au lait, les veaux, les vaches, les cochons et les couvées perdus, mais qu’il était peut-être préférable d’aller droit au but et d’appeler un chat, un chat.

En guise de préambule, je voudrais Mesdames et Messieurs, vous lire ce court extrait d’un livre écrit par le général Butler de l’armée américaine, hélas méconnu en France, et qui s’appelle War is a racket paru en 1935 aux États-Unis. Son propos me paraît illustrer parfaitement la situation dans laquelle nous sommes encore plongés aujourd’hui, je cite :

Cela fait trente-trois ans que je sers chez les Marines, et il n’y a pas une méthode utilisée par les gangsters que nous n’ayons utilisée et perfectionnée. Eux utilisent des voyous pour faire peur et éliminer ; nous, nous sommes les hommes de main du « Big Business », de Wall Street et des banques. J’ai fait le coup de poing contre le Honduras pour le compte des compagnies fruitières en 1903. J’ai racketté le Mexique pour le compte d’American Oil en 1914. J’ai fait le coup de feu à Haïti et à Cuba pour que les gars de la National City Bank puissent y ramasser le pognon. J’ai secoué et vandalisé une demi-douzaine de pays d’Amérique centrale pour qu’ils puissent se soumettre au racket de Wall Street. J’ai nettoyé à la sulfateuse le Nicaragua pour le compte de Brown Brothers en 1912. J’ai foutu le feu à la République dominicaine pour American Sugar. (…) Al Capone est un minable, comparé à l’U.S. Army. Lui dirigeait au mieux trois districts de Chicago, nous, nous dirigeons et rackettons trois continents.

Major-Général Smedley D. BUTLER (1881-1940), deux fois titulaire de la Médaille d’Honneur du Congrès. War is a Racket, Round Table Press, 1935 (51 pages).

Toute ressemblance avec des événements actuels serait bien sûr absolument fortuite…

En quoi consistent les sanctions prises contre la Russie ?

Elles portent essentiellement sur les avoirs financiers, l’interdiction de séjour de personnalités politiques ou économiques, la suspension de prêts aux banques publiques, enfin l’embargo sur les technologies militaires et sur les matériels de forage pétrolier et gazier.

La Russie a bien évidemment réagi en décrétant à son tour un embargo dirigé contre l’industrie agro-alimentaire européenne.

Quelles pourraient en être les conséquences pour le secteur agricole français, surtout dans un contexte de fort ralentissement de l’activité économique ? Et en l’état actuel des choses, quelles mesures ont été adoptées à l’échelle européenne pour surmonter cet embargo ?

Recherchant des informations probantes pour aborder la question des conséquences de la politique de sanctions occidentales contre la Russie, j’ai étudié plusieurs sources, dont l’une me semblait particulièrement recommandée, à savoir la Documentation française, dans laquelle je pensais trouver des analyses objectives sur l’impact réel, direct et indirect, sur notre économie suite à cette politique de sanctions.

Le moins que l’on puisse dire est que j’ai été déçu. Déçu tout d’abord pour n’avoir trouvé dans cette prestigieuse revue, qu’un seul et unique article remontant à juin 2017 traitant de cette question.

Déçu ensuite par le choix d’un analyste de l’OTAN, M. Edward Hunter Christie, pour aborder ce problème, comme si notre pays ne comptait pas en son sein des chercheurs et des scientifiques de qualité.

Évidemment, quand on prend connaissance de l’article, on comprend mieux la finalité qui en est recherchée, à savoir noyer le poisson en globalisant l’analyse et en faisant des péréquations subtiles pour ne laisser apparaître in fine qu’un impact minime sur le PIB européen qui représenterait une perte de l’ordre de 0,1% par an sur la période considérée 2014-2016.

Voilà un extrait de cet article de La Documentation française (juin 2017) :

Les pertes cumulées, de 2014 à 2016, qui seraient dues aux seules sanctions seraient de 42 à 43 milliards d’euros. Les pertes dues à d’autres facteurs – chute du prix du pétrole en particulier – se situeraient entre 111 et 113 milliards d’euros. Les sanctions n’expliqueraient donc que 27 % à 28 % des pertes totales intervenues dans les échanges avec la Russie depuis 2013.

Ces estimations, quelles que soit leurs causes, peuvent paraître d’un montant important lorsqu’on les exprime en euros et hors contexte – une technique de présentation fort prisée par certaines sources dont celles du gouvernement russe – mais le graphique montre bien qu’il s’agit de pertes fort modestes, une fois replacées dans leur contexte.

D’une part, les gains issus d’autres marchés en dehors de l’UE depuis 2013, également cumulés sur la période 2014-2016, s’élèvent à 729 milliards d’euros, soit plus de seize fois l’effet des sanctions. D’autre part, comparé au PIB de l’UE, les pertes engendrées par les sanctions contre la Russie sont manifestement très faibles : environ 0,1 % du PIB par an. Cumulées sur les trois années considérées, les pertes totales seraient de 0,29 % à 0,30 % du PIB annuel de l’Union, bien moins que les pertes pour la Russie, qui se situeraient entre 1,30 % et 2,33 % du PIB annuel de la Russie, selon les hypothèses retenues.

L’inclusion de l’interdiction russe sur les importations de biens alimentaires en provenance de l’Union européenne porterait l’estimation des impacts de 0,1% à 0,13% du PIB par an.

Les pertes par rapport au marché russe, environ cinq milliards d’euros en 2016 par rapport à 2013, sont pleinement compensées par des gains sur d’autres marchés hors UE, de plus de huit milliards d’euros.

Alors évidemment, pour pallier les conséquences négatives pour l’économie française, on nous parle de réorientation des échanges. Je cite encore l’article :

L’analyse de la réorientation des échanges constitue un élément essentiel de toute étude sérieuse sur l’incidence des sanctions …

… Parmi les 28 États membres de l’UE, 21 ont enregistré un accroissement net des exportations vers le reste du monde en dépit de la récession en Russie, sous l’effet de la hausse des exportations vers d’autres marchés (dans l’UE et en dehors de celle-ci), qui a plus que compensé la contraction des exportations vers la Russie. Ce constat vaut également pour l’Union européenne dans son ensemble : les exportations vers la Russie se sont certes repliées de 8,65 milliards d’euros, mais les exportations vers d’autres régions ont crû de 49,02 milliards d’euros (y compris les échanges intra-européens) …

Et donc tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, puisque 21 pays de l’UE sont gagnants dans ce jeu de chaises musicales et tant pis pour les 7 pays qui sont perdants, dont la Lituanie, fortement touchée par l’embargo, mais que l’on calmera probablement par un nouveau prêt d’un milliard ou deux en provenance du FMI et une promesse d’embauche dans une institution internationale prestigieuse pour leurs dirigeants politiques qui auront avalisé cette politique de sanctions contre la Russie allant à l’encontre des intérêts de leur pays.

Il convient de préciser aussi que dans les pays présentés comme gagnants dans cet article, il existe de fortes disparités selon les secteurs. S’il est vrai que jusqu’à présent, la filière céréalière française a plutôt bien tiré son épingle du jeu, grâce aux marchés égyptien et ceux du Maghreb notamment, il n’est pas certain que cette situation favorable soit maintenue demain car l’agriculture russe est en plein essor et la réponse du berger à la bergère pourrait se faire sentir très rapidement.

Par ailleurs, si l’état des lieux est encore aujourd’hui satisfaisant pour la filière céréalière, il n’en est pas de même de celle des viandes, notamment porcines, qui auront du mal, vous en conviendrez, à trouver des marchés de substitution dans le monde musulman, et cela sans même aborder la concurrence intra-européenne avec des pays comme la Pologne où les écarts de salaires avec un pays comme le nôtre, permettent une politique de dumping face à laquelle nos producteurs sont irrémédiablement condamnés.

Pour aborder de manière honnête le coût réel, direct et indirect, des sanctions sur l’économie française, il eut été plus intéressant de questionner des experts français comme Thierry Pouch par exemple, de l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCA) dont l’avis sur l’impact des sanctions diffère radicalement de celui de M. Hunter, expert de l’OTAN et dont les analyses macro-économiques (et vous pouvez écrire macro comme vous voulez) visent à justifier cette politique de sanctions dont on sait qu’elles affaiblissent l’Europe et la France en particulier mais qu’elles ne touchent pratiquement pas les USA qui ne sont que très peu impactés par l’embargo.

Au final, que pouvons-nous tirer comme conclusion de cette politique de sanctions qui nous a été imposée par l’OTAN et la Commission européenne ?
Eh bien Mesdames et Messieurs, que si la Russie a certes été touchée et affaiblie, au moins dans un premier temps, cette politique coercitive a contribué à renforcer considérablement sa filière agro-alimentaire et depuis 2017, elle est même devenue première exportatrice mondiale de blé.

En revanche, et malgré la présentation biaisée des spécialistes de l’OTAN ou de l’OCDE (ce sont d’ailleurs souvent les mêmes), la France a perdu un marché important pour nombre de ses produits et particulièrement pour sa filière laitière. Et je ne parle même pas des suites qui nous attendent avec le projet Northstream 2 où sont impliqués plusieurs acteurs majeurs de notre industrie.
Allons-nous, là encore, laisser notre place aux Chinois comme nous venons de le faire en Iran ?

Et c’est là que je voulais attirer votre attention, car au-delà des sanctions contre la Russie, c’est toute l’Europe qui est visée et au premier chef notre pays qui est rançonné et racketté comme nous l’avons vu avec les affaires BNP ou Alstom et beaucoup d’autres moins médiatisées.

Quand M. Marleix dénonce, à juste titre, les turpitudes observées dans l’affaire Alstom, nous sommes dans ce cas précis très au-delà du domaine des simples sanctions, nous sommes victimes de la part de nos « amis » américains d’une politique de racket et de prédation à laquelle je faisais allusion au début de cet exposé et dont François Mitterrand à la fin de sa vie, dans un entretien avec le journaliste Georges-Marc Benhamou nous avait pourtant averti, je le cite :
« La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment, et pourtant une guerre à mort ».

Je vous laisse Mesdames et Messieurs, méditer cette réflexion.

Emmanuel Leroy

Cet article est tiré d’une présentation à l’Assemblée Nationale le 13 juin 2019, l’auteur étant invité par l’Académie de géopolitique de Paris.

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