Qui est aujourd’hui en mesure de stopper le nouveau maccarthysme ?


Stop à la campagne de dénigrement de Trump et aux accusations infondées de collusion avec le Kremlin !


Par Stephen F. Cohen – Le 15 février 2017 – Source The Nation  via John Batchelor Show


Entamée il y a maintenant quatre ans, la discussion hebdomadaire sur la nouvelle Guerre froide USA-Russie se poursuit entre Stephen F. Cohen (professeur honoraire Université de New York et de Princeton) et l’animateur de radio John Batchelor.

Voici le résumé du dernier débat paru le 15 février dans le périodique new-yorkais The Nation (pour télécharger la discussion qui dure 40 minutes, cliquer sur www.thenation.com/authors/stephen-f-cohen).

Dans l’état actuel des choses, on ne trouve aucun fait, ni aucune logique susceptibles de confirmer les six allégations portées contre Trump et qui en font (implicitement) un traître à la solde du Kremlin et de Poutine.

Trump aurait été « prodigue de louanges » à l’égard de Poutine (New York Times du 12 février). En fait, Trump s’est contenté de dire que Poutine était « un leader fort » et « intelligent » et qu’il serait bon de « coopérer avec la Russie ». Il s’agit bien ici de déclarations vérifiables empiriquement. Elles semblent très modérées en comparaison des paroles chaleureuses prononcées par Franklin Roosevelt au sujet de Staline, ou de celles de Nixon à propos de Brejnev et particulièrement de celles du Président Clinton au sujet du Président russe Boris Eltsine, qu’il a comparé favorablement avec George Washington, Abraham Lincoln et Franklin Roosevelt.

C’est seulement en regard de la diabolisation effrénée de Poutine à laquelle les médias américains se sont livrés que Trump a pu paraître « prodigue de louanges ». Contrairement à la quasi-totalité des politiciens et des médias américains « dans le courant », Trump a simplement refusé de dénigrer Poutine en se défendant, par exemple, de l’accuser d’être un « assassin », alors qu’il n’existe pas, là non plus, de preuve.

Trump et ses associés sont accusés d’avoir fait des affaires en Russie et d’avoir traité avec des « oligarques » russes. C’est peut-être vrai, mais on peut en dire autant de tout un nombre de corporations américaines actives dans le domaine de l’énergie et des ressources minières, de compagnies comme Delta Airlines, McDonald, Wendy, Kentucky Fried Chicken et Starbucks. Leurs partenaires russes étaient souvent des « oligarques ». De plus, contrairement à la plupart des chaînes d’hôtels internationales, Trump a bien essayé de construire la sienne en Russie, mais a échoué ou n’est pas parvenu à mettre en place une structure permanente.

Les « actifs russes » dont son fils a parlé semblent provenir de la vente de copropriétés sur le sol américain à des Russes fortunés qui sont à la recherche de marques de prestige, plutôt que de crédit hypothécaire. New York ou la Floride du Sud sont à ce titre d’excellents exemples, parfaitement en règle avec la loi. On a dit que les déclarations fiscales de Trump, si elles étaient publiées, mettraient en lumière des fonds russes douteux. Si l’on s’en tient aux justificatifs et aux actes de propriété qu’il a rendus publics, cela semble peu probable. Là encore, il s’agit d’une allégation et non d’un fait avéré.

Paul Manafort, l’« associé » de Trump , qui fut brièvement son chef de campagne, est soupçonné d’avoir été pro-russe, alors qu’il était conseiller du Président ukrainien Victor Ianoukovitch, lequel a ensuite été démis de ses fonctions de façon anti-constitutionnelle en février 2014, pendant la « révolution » du Maidan. Ce soupçon est absurde. En tant qu’expert politique indépendant, Manafort était bien rémunéré, comme le sont les experts américains en matière d’élections qui ont un engagement à l’étranger. En réalité, il a conseillé à Ianoukovitch de pencher en faveur de l’Accord d’association avec l’Union européenne, lequel a finalement avorté, et de se distancier de la Russie. Ianoukovitch a suivi ce conseil dans le but d’obtenir des voix en Ukraine, en dehors de sa base située dans les régions du Sud Ouest. (Ianoukovitch, que Poutine détestait notamment pour cette raison, n’était pas considéré par Moscou comme étant pro-russe avant la fin de 2013. C’était apparemment aussi le cas de Manafort.)

Un dossier composé d’éléments sensibles et compromettants destinés à prouver comment le Kremlin aurait fait chanter Trump a été l’objet d’une fuite exploitée par la chaîne CNN et par [le site d’infotainment] Buzzfeed. Ce « rapport », qui est l’œuvre d’un ancien officier des services secrets britanniques, encouragé par des partenaires douteux en Russie et peut-être aussi en Ukraine, a été apparemment commandité par le Sénateur Marc Rubio, l’un des premiers opposants de Trump, tandis que son financement est venu de la campagne Clinton. Les quelques 30 pages qu’il contient sont un tissu d’inepties et d’absurdités, que l’on trouve en vente dans de nombreuses capitales politiques, y compris à Moscou.

Plus récemment, la chaîne CNN a fait savoir que ses propres détecteurs de fuites auraient confirmé certains éléments du dossier, mais rien jusqu’à présent qui puisse compromettre Trump. (…) On apprend par ailleurs que le Sénateur John McCain, qui est un fervent opposant à toute forme de détente avec la Russie, a transmis au FBI une copie du dossier. Le FBI détenait sans doute déjà des exemplaires du dossier qui faisait l’objet de rumeurs depuis plusieurs mois. McCain a fait comprendre qu’il voulait qu’il soit divulgué. Finalement, quelqu’un s’est chargé de l’ébruiter.

Les allégations de prétendues affinités de Trump avec le Kremlin reposent pour l’essentiel sur l’accusation selon laquelle Poutine aurait piraté le Comité national démocrate et diffusé les fameux courriels volés par l’intermédiaire de WikiLeaks. Cela dans le but de mettre Trump à la Maison Blanche. Un résumé de ces « faits » a été présenté dans un rapport déclassifié rendu par le milieu du renseignement et largement publié en janvier 2017. Bien qu’il soit devenu une preuve intangible aux yeux des ennemis politiques et médiatiques de Trump, ce rapport de 13 pages ne contient pratiquement rien de convainquant. Environ la moitié du rapport est constitué d’hypothèses ou de conjectures et non de faits avérés prouvant qu’une opération russe a été montée en faveur de Trump. (…)

Plusieurs experts américains en matière de piratage affirment eux-mêmes que les pirates travaillant pour l’État russe savent travailler sans laisser de traces, contrairement à ce qu’affirment les services de renseignements US. En fait, le groupe « Veteran Intelligence Professionals for Sanity » est d’avis que les documents accusateurs du Comité national démocrate n’ont pas été piratés, mais bien divulgués de l’intérieur. Si c’est le cas, cette affaire n’a absolument rien à voir avec la Russie. (…) De plus, à sa dernière conférence de presse, Obama a évoqué le scandale du Comité démocrate comme étant une fuite, et non un piratage. Il a déclaré ne pas savoir comment les courriels sont parvenus à WikiLeaks, ceci malgré les allégations lancées par ses propres services de renseignement. (…) À l’autre extrémité de la prétendue conspiration, on comprend mal que Poutine ait pu à ce point favoriser l’imprévisible Trump et courir un tel risque. En cas de découverte, l’affaire aurait vraisemblablement compromis Trump et grandement favorisé Clinton. Si l’on s’en tient aux débats en cours dans les journaux russes proches du Kremlin, les opinions divergeaient plutôt à Moscou sur la question de savoir, lequel des candidats à la présidence était le meilleur – ou le moins mauvais – pour la Russie.

Finalement, il faut parler de la démission (ou du renvoi) du Général Michael Flynn, conseiller de Trump en matière de sécurité nationale. Il est accusé d’avoir été en contact avec des représentants de la Russie au sujet des sanctions imposées par Obama à la veille de son départ de la Maison Blanche et avant l’investiture de Trump. Flynn aurait induit Mike Pence en erreur sur le contenu de ces discussions. Ce type de contact compte pourtant des précédents. D’autres candidats américains à la présidence et des présidents élus avant leur intronisation ont été en contact avec des États étrangers. Ainsi, Nixon semble l’avoir fait pour empêcher la conclusion d’un accord de paix sur le Vietnam qui aurait favorisé Humphrey. Reagan a été en contact avec l’Iran pour prévenir la libération d’otages américains avant l’élection. Il s’agit donc d’une pratique courante. Autre exemple, le principal conseiller d’Obama sur la Russie, Michael McFaul, a déclaré récemment au Washington Post (le 9 février) avoir  été en visite à Moscou en 2008, avant l’élection présidentielle, pour parler avec des officiels russes. Le reporter du Washington Post a qualifié cette initiative de « comportement approprié ». (….) D’une manière générale, si l’objectif de Flynn était  de persuader le Kremlin de ne pas réagir trop vivement aux sanctions d’Obama − qui  étaient assorties d’une menace provocante de cyberattaque contre Moscou − cette initiative paraît raisonnable et conforme aux intérêts américains. À moins que nos médias politiques de référence ne préfèrent au contraire déclencher chez Poutine la réaction la plus vive possible, ainsi que certains partisans d’une guerre froide semblent le vouloir.

En conclusion, Poutine constitue moins une menace pour la démocratie américaine que la campagne visant à dénigrer le Président Trump pour ses prétendus liens avec le Kremlin, sauf si des faits venaient à corroborer les allégations qui fondent cette campagne. Poutine est moins dangereux pour les États-Unis et la sécurité internationale que les ennemis américains de la détente, lorsqu’ils se livrent à de telles manœuvres. Ce n’est pas Poutine qui disqualifie la presse américaine par de « fausses nouvelles » – à moins que des faits tangibles ne soient présentés à l’appui des allégations portées par les médias contre Trump en relation avec la Russie. Et c’est moins « l’ancien agent du KGB et le voyou Poutine » qui empoisonne la politique américaine que les professionnels américains du renseignement qui sont en guerre avec leur nouveau président.

Le Président Eisenhower a finalement stoppé Joseph McCarthy. Qui aujourd’hui est en mesure de stopper le nouveau maccarthysme, avant qu’il ne gangrène encore plus ce qui est considéré comme « l’âme de la démocratie » ? Les faits devraient le faire. Mais en face des faits, il n’y a que l’éthique des professionnels et leur patriotisme.

Stephen F. Cohen

Traduit par Jean-Marc, relu par M pour le Saker Francophone

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