Politique irresponsable : le problème des armes nucléaires équipant les B-52 en Australie


Par Binoy Kampmark − Le 17 février 2023 − Source Oriental Review

Il est tout à fait plausible de penser que déployer des systèmes de lancement compatibles avec des armes nucléaires finit inévitablement par un déploiement des armes nucléaires elles-mêmes. Quelles que soient les promesses formulées par des gouvernements, voulant que jamais des armes nucléaires ne seront déployées, le secret étouffant qui entoure ces arrangements est tel que l’on ne peut que douter de telles promesses.

C’est le problème auquel est confrontée l’alliance AUKUS, qui fait de l’Australie un point central de référence pour Washington et ses ambitions de contrer la Chine. L’alliance se caractérise de plus en plus par une tonalité nucléaire. Cela a commencé par la promesse de livrer à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire, sans armes nucléaires. Puis a suivi l’annonce de déploiement de six bombardiers B-52 sur la base aérienne de Tindal, dans le Nord du pays, au Sud de Darwin.

L’Australie, dans le cadre du processus qui la transforme en État garnison des États-Unis, va très probablement finir par héberger des armes nucléaires, en dépit de ergoteurs arrogants et légalistes qui vont discuter sur ce que cela signifie exactement. On ne peut pas savoir si ce processus va se réaliser à titre éphémère ou si des accords vont être conclus à cet égard. Tout accord de ce type est voué à rendre inopérant le traité pour une zone exempte d’armes nucléaires dans le Pacifique sud, également connu sous le nom de traité de Rarotonga, dont l’Australie est signataire.

Le gouvernement australien n’agit guère pour clarifier le sujet, et ce faisant, attire davantage l’attention générale. Au Sénat, au cours des audiences du 15 février, les Verts ont exigé une clarification du sujet des armes nucléaires sur le sol australien. Le sénateur David Shoebridge a demandé si Canberra respectait le traité de Rarotonga, et si des avions B-52 en visite pouvaient transporter des armes nucléaires.

Cette dernière question était presque un point discutable, car tous les B-52H sont capables de transporter des armes nucléaires. La seule question est de savoir le type d’arme nucléaire qu’ils peuvent transporter. L’époque où l’avion transportait des bombes à chute libre est révolue, mais on peut parfaitement les armer avec des missiles de croisière à tête nucléaire.

Les États-Unis projettent de construire des infrastructures spécialisées pour héberger jusque six bombardiers B-52 sur la base aérienne de Tindal, au Sud de Darwin.

Dans sa réponse, Greg Moriarty, le secrétaire du département de la défense, a confectionné un état de respect des obligations internationales. On pourrait donc voir sur ce sujet construite la quadrature du cercle. « Je pense, plus généralement, qu’il est clair qu’il est interdit de stationner des armes nucléaires en Australie, selon le traité pour une zone exempte d’armes nucléaires dans le Pacifique sud, auquel l’Australie souscrit pleinement. »

On ne peut cependant pas en dire autant des « aéronefs étrangers [en visite] sur les aérodromes australiens ou en transit dans l’espace aérien australien, y compris dans le contexte de nos programmes d’entraînement et d’exercices, et de la coopération avec les États-Unis par l’Australie et le dispositif de défense de l’Australie. »

Chose déconcertante, Moriarty a poursuivi en reconnaissant que la pratique de transporter des armes nucléaires via des aéronefs étasuniens, si elle s’était produite, était tout à fait cohérente avec les engagements pris par l’Australie envers le traité de Rarotonga et le traité de non-prolifération nucléaire. « Des aéronefs bombardiers étasuniens ont rendu des visites en Australie depuis le début des années 1980 et ont conduit des entraînements en Australie depuis l’année 2005. Les gouvernements australiens successifs ont compris et respecté la politique menée de longue date par les États-Unis, consistant à ne pas confirmer ni nier la présence d’armes nucléaires sur telle ou telle plateforme. »

Moriarty a poursuivi pour reconnaître que « l’Australie va continuer de souscrire pleinement à nos obligations internationales, et les États-Unis comprennent et respectent pleinement les obligations internationales au sujet des armes nucléaires. »

Shoebridge, insatisfait de la réponse du secrétaire, a répliqué par une autre question : « Ainsi, M. Moriarty, dois-je comprendre, sur la base de votre réponse, que la défense n’estime pas qu’il existe une limitation, selon les obligations actuellement souscrites par traités par l’Australie [autorisant] des bombardiers B-52 dotés d’armes nucléaires à être présent en Australie, pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une présence permanente ? »

Moriarty n’a jamais eu l’opportunité de répondre. Lorsqu’il a eu l’opportunité de corriger la nature étrangement servile, et particulièrement opaque, des relations de sécurité étasuno-australiennes, Penny Wong, le ministre des affaires étrangères, s’est fait boudeur. La tradition du Maître Washington et du Domestique Canberra ne sera pas remise en cause. « Je suis le ministre, et je vous réponds. »

Dans sa réponse, en régurgitant la voix de l’empire étasunien, c’est un Wong énervé qui a renvoyé l’ensemble du sujet au jugement de Washington, en acceptant le principe de l’« ambiguïté des ogives ». « Cela contribue à assurer que nous maintenons une interopérabilité qui nous permet de rendre sûre l’Australie. Nous avons essayé d’aider en indiquant notre engagement au traité pour une zone exempte d’armes nucléaires dans le Pacifique sud. Nous y souscrivons pleinement. Et nous vous avons donné la réponse que le secrétaire a formulée. »

Il relevait, selon les explications du sénateur, de tâches subalternes du ministère de « s’engager dans d’autres hypothèses » — et elle a accusé Shoebridge de « susciter les préoccupations, et je ne pense pas que cela soit [une attitude] responsable. » Mais alors, quelle était la réponse appropriée selon Wong ? « La manière responsable de traiter ce sujet est de reconnaître que les États-Unis maintiennent une ‘position consistant à ne pas confirmer ni infirmer’, que nous comprenons et respectons. »

Cette approche irresponsable et bornée du gouvernement australien et de ses fonctionnaires implique que le public australien ne peut à aucun moment savoir si des aéronefs ou des systèmes de lancements étasuniens seront équipés d’armes nucléaires, même si ils transitent dans l’espace aérien australien, ou sont basés sur le sol australien, quelle que soit la durée de ce stationnement. Comme Jordon Steele John, le sénateur Vert et porte-parole des affaires étrangères, l’a décrit, « les Australiens ont résisté à la nucléarisation de notre appareil militaire depuis des décennies, et désormais, le gouvernement australien laisse les Étasuniens le faire à notre place. »

Ce statut de servitude déshonorant envers Washington a été exposé une fois de plus, et outre cela, la perspective de plus en plus probable d’être ciblée dans tout conflit à venir impliquant les États-Unis. Cela ne constitue guère un état de choses responsable, mais on frise en revanche la haute trahison.

Binoy Kampmark

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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