Pepe Escobar dans l’est de l’Ukraine : de quoi hurler à Donetsk

Pepe Escobar

Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 31 mars 2015 – Source : Asia Times

Pepe Escobar, l’œil itinérant de Asia Times, revient d’un voyage de presse dans la République populaire de Donetsk, l’enclave pro-russe de l’oblast de Donetsk dans l’est de l’Ukraine. Le secteur a été le théâtre d’intenses combats entre les rebelles pro-russes et l’armée ukrainienne.

À peine revenu de la République populaire de Donetsk en lutte, je me retrouve de nouveau devant l’arrogance et l’insolence de l’Otanistan dans toute sa splendeur.

Plusieurs personnes au Donbass, à Moscou et maintenant en Europe, m’ont demandé ce qui m’a le plus frappé au cours de cette visite.

Je vais commencer par paraphraser Allen Ginsberg dans son poème Howl : J’ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie.

Ces lignes ont été écrites pendant la Guerre froide, au milieu des années 1950. En ce début du XXIe siècle, nous voilà maintenant plongés dans la Guerre froide 2.0.

Ce que j’ai vu, ce sont les effets secondaires atroces de la folie (guerrière) des plus obtus esprits de ma génération (et de la génération suivante).

Du côté russe de la frontière, j’ai vu des réfugiés, des familles européennes de classe moyenne pour la plupart, dont les enfants, lorsqu’ils sont arrivés pour la première fois au refuge, se cachaient sous les tables dès qu’ils entendaient un avion voler dans le ciel.

Le Dylan du Donetsk

J’ai vu le Bob Dylan de Donetsk confiné dans sa chambre isolée d’un centre pour anciens combattants, transformé en abri de réfugiés, qui lutte contre le cafard et le désespoir en fredonnant des chansons qui parlent d’amour et d’héroïsme.

 

Abri de l’époque soviétique

J’ai vu des familles entières terrées dans des abris antiaériens datant de l’ère soviétique tout décorés, qui avaient peur de sortir même en plein jour, parce que les opérations antiterroristes orchestrées par Kiev les avaient traumatisées.

J’ai vu une ville industrielle et industrieuse moderne à moitié vide et partiellement détruite, mais pas soumise, qui arrive à survivre avec courage et abnégation, avec un peu d’aide des convois humanitaires russes.

Des filles de Donetsk sous la statue de Lénine

J’ai vu de très jolies filles passer le temps près de la statue de Lénine à la place centrale, qui déploraient que pour s’amuser, il ne restait que les fêtes de famille chez l’une ou chez l’autre parce que la vie nocturne est morte et que nous sommes en guerre.

 

Le voisinage d’Oktyabrski bombardé

J’ai vu pratiquement tout le quartier de Oktyabrski jouxtant l’aéroport bombardé comme Grozny, où il n’y avait personne hormis quelques babouchkas errant çà et là, qui étaient trop fières pour renoncer à leurs photos de famille des héros de la Deuxième Guerre mondiale.

J’ai vu des postes de contrôle qui me rappelaient Bagdad à l’époque du renforcement des effectifs américains par le général Petraeus.

L’hôpital d’Oktyabrski bombardé

J’ai vu le spécialiste des traumatismes du principal hôpital de Donetsk confirmer qu’il n’y avait pas de Croix-Rouge et pas d’aide humanitaire internationale pour secourir les habitants de Donetsk.

J’ai vu Stanislava, un des meilleurs éléments de la République populaire et une tireuse d’élite experte, qui assurait notre sécurité, pleurer lorsqu’elle a déposé une fleur là où s’est déroulée une bataille féroce, au cours de laquelle les membres de son escouade ont subi des tirs nourris qui ont fait vingt blessés graves et un mort. Stanislava a été touchée par des éclats d’obus, mais elle a survécu.

J’ai vu des églises orthodoxes totalement détruites par les bombardements de Kiev.

J’ai vu le drapeau russe toujours flotter au-dessus de l’immeuble anti-Maidan où siège maintenant le gouvernement de la République populaire.

J’ai vu le stade étincelant du Donbass, où évolue le Shaktar Donetsk, tel un OVNI dans une ville déserte dévastée par la guerre, sans la moindre âme qui vive là où les partisans de l’équipe devraient se rassembler.

J’ai vu la gare de Donetsk bombardée par les brutes de Kiev.

J’ai vu un sans-abri crier Robert Plant! et Jimmy Page! et j’ai appris qu’il adorait encore Led Zeppelin et gardait ses copies vinyles.

J’ai vu une rangée de livres qui ne se sont jamais rendus derrière des fenêtres craquelées dans Oktyabrski bombardée.

J’ai vu des tombes fraîches là où la République populaire enterre ses héros de la résistance.

J’ai vu le haut de la colline de Saur-Mogila que les forces de la résistance de la République populaire ont perdue et reconquise, où flotte au vent un drapeau rouge blanc et bleu solitaire.

 

La statue du Superman sortant des ruines à Saur-Mogila

J’ai vu un Superman surgir des décombres à Saur-Mogila, une statue tombée d’un monument à la mémoire des héros de la Deuxième Guerre mondiale qui, il y a soixante-dix ans, luttaient contre le fascisme ; monument aujourd’hui touché, mais pas détruit, par des fascistes.

J’ai vu le chaudron de Debaltsevo au loin et j’ai pu mesurer pleinement comment, sur le plan géographique, les combattants de la République populaire s’y sont pris pour encercler et prendre en étau les combattants de Kiev démoralisés.

J’ai vu les soldats de la République populaire pratiquer leurs exercices militaires sur la route reliant Donetsk à Lougansk.

J’ai vu le ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Donetsk espérer une solution politique plutôt que la guerre, tout en admettant que personnellement, il souhaite que la République populaire devienne un État indépendant.

J’ai vu deux commandants cosaques durs à cuire me dire, sur une ferme d’élevage de chevaux dans la terre sainte cosaque, que la véritable guerre n’a pas encore commencé.

Je n’ai pas vu l’aéroport de Donetsk totalement détruit, parce que les militaires de la République populaire étaient trop préoccupés par notre sécurité et ne voulaient pas nous délivrer de permis au moment même où l’aéroport était visé, au mépris de Minsk 2. Mais j’ai vu la destruction et une pile de corps de soldats ukrainiens sur le téléphone mobile d’un combattant serbe des forces de la résistance de la République populaire.

Je n’ai pas vu, tout comme les observateurs internationaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe d’ailleurs, des rangées et des rangées de chars et de soldats russes qui, dans les rêves fiévreux du docteur Folamour actuellement à la tête de l’Otan, le général Breedlove, appelons-le Follehaine, envahissent l’Ukraine à répétition.

Je n’ai pas vu non plus l’arrogance, l’ignorance, l’impudence et les mensonges qui défigurent les visages impeccablement soignés de ceux qui à Kiev, Washington et Bruxelles, maintiennent toujours et encore que tous les habitants du Donbass, y compris les babouchkas et les enfants de tous les âges, ne sont rien d’autre que des terroristes.

Ces trouillards qui sont les purs produits de la civilisation occidentale, jamais ils n’oseront montrer leurs visages impeccablement soignés à la population du Donbass.

Voici donc le cadeau que je leur offre.

Un hurlement de colère et mon mépris sans borne.

Traduit par Daniel, relu par jj pour Le Saker francophone

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

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