Obama donne la priorité à la guerre en Europe sur la guerre contre les gens de couleur


Eric Draitser

Par Eric Draitser – Le 20 juillet 2016 – Source CounterPunch

Les véritables priorités du président Obama étaient manifestes cette dernière semaine, lorsqu’il assistait au Sommet de l’OTAN à Varsovie, la capitale polonaise. Car tandis qu’Obama rencontrait d’autres chefs d’État de l’OTAN pour discuter de l’augmentation des troupes, apportant plus de matériel militaire en Europe de l’Est et aux portes de la Russie, en faisant monter les tensions avec une puissance nucléaire, l’Amérique se trouvait elle-même en crise.

Après les épouvantables meurtres de Philando Castile et d’Alton Sterling, et l’attaque du tireur à Dallas, les tensions raciales étaient vives ; des millions de Noirs, de Bruns et de Blancs, jeunes pour la plupart, sont descendus dans les rues des villes de tout le pays pour exprimer leur indignation devant l’assassinat incessant de citoyens innocents par la police. Et, c’était prévisible, la police a brutalement réprimé les manifestations, démontrant au monde à quoi ressemble un maintien de l’ordre militarisé, et ce qu’il peut faire.

Ainsi, avec des troupes d’assaut approuvées par l’État investissant les rues et attaquant les manifestants, le Premier Président NoirTM n’a pas voulu s’embêter à revenir à la maison et à utiliser le pouvoir que lui confère sa position pour calmer les tensions et parler des questions liées aux incarcérations massives et à la violence policière. Non, au contraire, Obama est resté en Pologne, où il a fait tout son possible pour attiser les tensions internationales. Telle est la réalité de la présidence Obama : verser des larmes de crocodile par opportunisme politique tout en poursuivant une politique étrangère belliqueuse qui peut potentiellement dégénérer jusqu’à être hors de contrôle.

L’héritage d’Obama : préparer le terrain pour la guerre en Europe ?

Choc, horreur, répulsion – ce sont là quelques-unes des réactions appropriées à la vue des meurtres, approuvés par l’État, de gens noirs et bruns, comme Castile, Sterling, Trayvon Martin, Michael Brown, Freddie Gray, et d’innombrables autres. Mais ces mêmes réactions sont tout aussi adéquates lorsqu’on évalue la politique des États-Unis et de l’OTAN en Europe de l’Est, une politique qui pourrait avoir des conséquences considérables, mais encore inimaginables pour le moment. Je veux dire, une guerre contre la Russie ? Vraiment ?

En effet, l’administration Obama a fait de sa stratégie en Europe de l’Est une pièce maîtresse consistant à s’engager pleinement dans la militarisation plutôt que dans la négociation. Le Sommet de l’OTAN à Varsovie a vu la signature d’une série d’accord qui augmenteront indéniablement le potentiel de conflit militaire. Quelques éléments saillants des accords comprennent :

  • Le stationnement par rotation de quatre bataillons en Pologne, en Estonie, en Lettonie et en Lituanie, qui commencera en 2017
  • Le développement d’une présence avancée sur mesure dans la partie sud-orientale de l’Alliance
  • La déclaration initiale de la capacité opérationnelle de missiles balistiques de défense de l’OTAN
  • L’expansion de la mission de l’OTAN au cyberespace et à la cyberdéfense
  • Un accord pour commencer la formation et la construction de la capacité en Irak
  • Une présence maritime étendue en mer Méditerranée
  • Une extension de la mission de l’OTAN en Afghanistan jusqu’en 2020 au moins
  • Une déclaration commune de la nouvelle coopération OTAN–UE, y compris en matière de sécurité maritime et de lutte contre les menaces hybrides.

Ces développements sont extrêmement inquiétants si vous considérez qu’ils sont, en effet, des mesures de défense anti-Russie qui seront correctement interprétées par Moscou comme une escalade importante nécessitant, à son tour, une escalade du côté russe. Il y a eu un moment, dans un passé pas si lointain, où le désarmement et la négociation étaient à l’ordre du jour lorsqu’il s’agissait des relations américano-soviétiques. Malheureusement, il semble que les têtes froides ont toutes pris leur retraite ou sont décédées, et aujourd’hui, seuls les têtes brûlées et les bellicistes font de la politique.

Malgré le danger déjà évident des nouveaux accords de l’OTAN énumérés ci-dessus, il faut aussi rappeler que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN sont engagés dans d’innombrables exercices militaires avec presque tous les pays d’Europe du Sud et de l’Est, la Russie assumant le rôle du méchant nécessaire. Voici un petit échantillon des myriades de simulations et d’exercices :

  • Rapid Trident 2016 (28 juin – 8 juillet) à Yavoriv, en Ukraine. Selon le site internet de l’armée américaine en Europe, « y participent les forces des pays suivants, Ukraine, États-Unis, Belgique, Bulgarie, Canada, Géorgie, Grande-Bretagne, Moldavie, Lituanie, Norvège, Pologne, Roumanie, Suède et Turquie. L’exercice Rapid Trident se déroule à la demande explicite du gouvernement et de l’armée ukrainiens ».
  • Noble Partner 2016 (11 mai – 26 mai) à Vaziani, Géorgie. L’exercice comprend des participants militaires étasuniens et géorgiens et est destiné spécifiquement à augmenter les capacités à affronter la Russie. Comme le site internet de l’Armée étasunienne en Europe l’a noté, « l’exercice se concentre sur des opérations terrestres unifiées [… et] met l’accent sur les capacités de l’USAREUR [l’Armée des États-Unis en Europe, ou 7e armée, NdT] de déplacer rapidement soldats et équipement à travers toute l’Europe et d’opérer conjointement avec une coalition dans toute opération potentielle future ».
  • Trident Joust 2016 (12 avril – 22 avril) en Pologne. Trident Joust est une série d’exercices soutenus par l’OTAN qui reproduit pour l’essentiel une invasion russe potentielle.
  • Joint Warrior 16-1 (12 avril – 24 avril) dans les mers du Nord et de la Baltique. Joint Warrior est une série d’exercices navals soutenus par l’OTAN effectuée par le 1er groupe maritime de la flotte permanente de l’OTAN (SNMG1 dans son sigle anglais) qui simule des scénarios réalistes de guerre en mer Baltique (traduction : une invasion russe.
  • Anakonda 16 (7 juin – 17 juin) en Pologne. Les exercices terrestres, maritimes et aériens ont impliqué 31 000 soldats venant de Pologne, des États-Unis, et de 17 autres membres de l’OTAN ainsi que cinq partenaires. Le contingent le plus important était celui des États-Unis.
  • Flaming Sword (1er mai – 20 mai) en Lituanie et en Lettonie. Cet exercice visait à évaluer la capacité des forces spéciales US à interagir avec leurs homologues en Lituanie et en Lettonie en vue d’une attaque potentielle de la Russie.
  • BALTOPS 16 (3 juin – 26 juin) en mer Baltique. Cet exercice était dirigé par les États-Unis et axé sur l’interopérabilité avec les pays partenaires dans les domaines maritime, aérien et terrestre. En plus de la participation des membres de l’OTAN, BALTOPS 16 a aussi intégré les pays partenaires que sont la Finlande et la Suède.

Il faut relever que ces exercices ne représentent qu’une fraction de l’activité totale engagée par les États-Unis et l’OTAN à proximité des frontières de la Russie, puisque ce ne sont là que ceux effectués ces trois derniers mois.

Bien sûr, l’accumulation de troupes étasuniennes en Europe de l’Est est en cours depuis un bon moment. Plus tôt cette année, les États-Unis ont annoncé une augmentation importante des forces déployées en Europe de l’Est. Et, de manière assez prévisible, la Russie a répondu quelques semaines après en disant qu’elle renforcerait aussi le déploiement de ses troupes à la frontière occidentale comme contre-mesure à l’accumulation de troupes américaine. Dire que c’était attendu serait un euphémisme. Et à considérer combien d’énergie et d’argent ont été investis dans des exercices et des mouvements de matériel militaire dans la région rien qu’en 2016, on ne peut que frémir et penser à une nouvelle augmentation en 2017. On ne peut s’empêcher de craindre que ce soit un prélude à la guerre.

Cui Bono? Qui bénéficie de la guerre au pays et à l’étranger ?

Il ne suffit pas de pointer simplement la brutalité féroce infligée par la police aux communautés de couleur, ou de mettre en lumière le bellicisme des élites politiques du monde entier. Il faut plutôt comprendre l’interdépendance de ces deux phénomènes, et le fait que le même système promeut et profite des deux ; bref, c’est le complexe militaro-industriel qui gagne.

Avec une augmentation du matériel militaire et des déploiements de troupes en Europe de l’Est, des sociétés comme Lockheed-Martin, Raytheon et Boeing devraient gagner davantage de contrats lucratifs, venant ajouter à leurs bénéfices alors que le monde vacille dangereusement au bord de l’abîme. Mais ce sont aussi toutes les entreprises qui fabriquent des gilets pare-balles, des armes à feu, des véhicules blindés, des téléphones satellitaires et beaucoup de choses encore. C’est une industrie au sein de l’industrie. Et les affaires flambent.

Pourquoi ? Parce que les mêmes entreprises qui profitent du fait qu’elles équipent l’armée américaine et l’OTAN profitent pour faire de même pour les services de police locaux. Cette militarisation de la police fait partie de la création d’un État policier complet destiné en particulier aux communautés de couleur pauvres qui se lèvent pour manifester contre les assassinats éhontés de la police. Et, comme avec l’Europe de l’Est, Obama a présidé à une augmentation massive de la militarisation de la police.

Comme l’a rapporté le New York Times en 2014 :

« Au cours de l’administration Obama, selon les données du Pentagone, les services de police ont reçu des dizaines de milliers de mitrailleuses ; près de 200 000 magasins de munitions, des milliers d’équipements de camouflage et pour la vision nocturne ; et des centaines de silencieux, de véhicules blindés et d’avions. L’équipement a été ajouté aux armureries des services de police qui ressemblent et agissent comme des unités militaires. »

C’est évident, l’engagement purement rhétorique d’Obama pour la justice sociale, comme son engagement en faveur de la paix dont témoigne son prix Nobel, est le produit d’une manipulation cynique de relations publiques, et non une action véritable. Et, dans le sillage de Ferguson et Baltimore, Obama a annoncé en 2015  que certains équipements de style militaire ne seraient dorénavant plus disponibles pour la police ; eh bien, Monsieur Espoir et Changement a déjà renié cet engagement après l’attaque par un tireur embusqué à Dallas.

Selon des chefs de police présents à une rencontre privée avec Obama, le président les a assurés que « son administration reconsidérerait une décision antérieure qui suspendait la vente d’équipement militaire aux autorités policières ». Voilà ce qu’il en est, même pour la plus petite concession aux communautés les plus frappées par la violence policière.

Mais le point le plus important qui doit être abordé est que le même complexe militaro-industriel est la force motrice à la fois de l’impérialisme américain et des assassins de la police soutenus par l’État. Tandis que l’armée étasunienne entraîne les Polonais, les Lettons, les Lituaniens et les Géorgiens à tuer des Russes, les entreprises de sécurité d’Israël forment les officiers de police américains à agir comme des occupants et à tuer des citoyens en Amérique. En effet, la politique étrangère belliciste de Washington a été amenée à l’intérieur du pays. Peut-être pourrait-on l’exprimer plus précisément en disant que la guerre et l’occupation ont toujours existé dans les communautés de couleur, que les meurtres et la violence ont seulement été mises en lumière aujourd’hui parce qu’elles ont été portées à l’attention de l’Amérique blanche.

Le manque de respect pour la paix et la vie humaine est évident dans les rues de Ferguson, Baltimore et Bâton Rouge, tout comme il s’affiche avec les bruits de sabres américains en Europe de l’Est. Il semble que les idées mêmes de paix et de justice soient aussi étrangères aux États-Unis qu’un bol de bortsch.

Et tandis que le mouvement de contestation des meurtres policiers continue à croître aux États-Unis, un mouvement pour la paix cherchant à éviter une Troisième Guerre mondiale paraît briller par son absence. Il semble qu’il soit plus que temps pour en mobiliser un. Et considérant combien les problèmes sont reliés, peut-être que les mouvements qui grandissent pour les contester pourraient l’être aussi.

Eric Draitser est le fondateur de StopImperialism.org et animateur de CounterPunch Radio. C’est un analyste géopolitique indépendant basé à New York. Pour l’atteindre : ericdraitser@gmail.com

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone

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