Par Sayed7asan – Le 25 mars 2015
Interview-débat entre Norman Finkelstein et Gil Hoffmann (Jerusalem Post), présenté par Peter Lavelle – CrossTalk, Russia Today, 20 mars 2015.
Vidéo sous-titrée en français : Norman Finkelstein sur l’élection de Netanyahou, le racialisme et les «jihadistes juifs»
Vidéo originale intégrale : https://www.youtube.com/w
Traduction & sous-titres : http://www.sayed7asan.blo
Transcription
[Les interventions de Norman Finkelstein sont retranscrites intégralement. Les autres sont résumées]
Peter Lavelle : Norman, pour revenir à notre question, quel est le vrai visage de l’électorat israélien selon vous ? Pourquoi ont-ils voté pour Benjamin Netanyahou alors que les sondages le disaient perdant auparavant ?
Norman Finkelstein : Eh bien, toutes les analyses montrent que durant les derniers jours, Benjamin Netanyahou a fait campagne sur deux points particuliers : le premier point était «Non à un État Palestinien», et le deuxième est l’alarmisme raciste dans lequel il s’était engagé en disant à l’électorat juif israélien que les Arabes votaient en masse, et qu’il fallait une mobilisation pour stopper ce raz-de-marée arabe aux bureaux de vote. C’est cela qui a fait basculer les 4% ou 5% de voix en faveur de Netanyahou. Maintenant, je suis d’accord avec M. [Gil] Hoffmann [contradicteur de M. Finkelstein, journaliste au Jerusalem Post] pour dire qu’il se passe des choses insensées dans la région, c’est une évidence : vous avez les fous furieux de Daech (État islamique) en Syrie et ailleurs, vous avez les fous furieux saoudiens, et bien sûr, vous avez aussi les fous furieux israéliens.
Je ne vais pas me mettre à chanter des hymnes patriotiques à la gloire des États-Unis: nous avons très clairement aussi des problèmes de racisme, nous avons une police raciste, nous avons un système judiciaire raciste, mais la réalité est que durant les deux dernières élections, le peuple américain a élu à deux reprises un noir à la présidence, un Afro-Américain. Mais en ce qui concerne Israël, ils viennent d’élire rien moins que le Grand Dragon du Ku Klux Klan à la présidence. Il y a beaucoup de choses démentes qui se passent en Israël, et ces élections ont montré le véritable visage d’Israël, le vrai visage de l’électorat israélien.
[Gil Hoffmann soutient que Netanyahou est en faveur d’un État palestinien, mais pas tout de suite, à cause du danger Daech; que Netanyahou n’est pas anti-Arabes palestiniens mais anti-ingérence étrangère arabe].
Peter Lavelle : Norman, en parlant d’influence étrangère, si je peux revenir à vous, que faisait Netanyahou à Washington ? Ça, c’est une influence étrangère intéressante sur la politique américaine ! Allez-y on vous écoute !
Norman Finkelstein : En fait, Gil nous donne un bon aperçu de la mentalité israélienne. Il nous dit que le monde entier, absolument TOUS les dirigeants du monde qui ont affirmé que Netanyahou s’est opposé à un État palestinien, ils se trompent tous ! Ils sont tous victimes d’illusions, ils sont tous en plein délire ! Le New York Times a tout faux, tous les dirigeants mondiaux ont tout faux, car en réalité, Benjamin Netanyahou a soutenu la solution avec deux États ! Telle est la mentalité israélienne ! Elle n’a rien à voir avec le monde réel.
Il est manifeste que Benjamin Netanyahou n’a jamais soutenu une solution à deux États, et il s’est maintenant ouvertement déclaré contre. Et l’électorat israélien – car il ne s’agit pas seulement de M. Netanyahou mais également de tous les partis à sa droite qui s’opposent à une solution à deux États, et qui représentent la majorité d’Israël.
Cela fait des années et des années qu’on nous répète que les Israéliens soutiennent une solution à deux États, mais si vous regardez les sondages d’opinion, 75% des Israéliens sont en faveur de l’annexion des principaux blocs de colonies, 75% des Israéliens sont en faveur de la conservation de la vallée du Jourdain par Israël, 75% des Israéliens sont en faveur de la conservation de l’ensemble de Jérusalem pour Israël… Ce n’est pas ça, la solution à deux États. C’est un État plus territoires complémentaires pour Israël, et une décharge pour les Palestiniens. Tel est l’électorat israélien. Telle est la réalité.
Si vous voulez comprendre Israël, en tant qu’Américain, tout ce que vous avez à faire, c’est considérer la situation du Sud des États-Unis avant le mouvement (noir) des droits civiques. La même cruauté, le même racisme implacable, le même sentiment de supériorité. Mais en ce qui concerne les Israéliens, ce n’est pas seulement une supériorité envers les Arabes, il y a cette sorte de suprématisme juif, de supériorité juive envers tout le monde. C’est pour cela que lorsque M. Netanyahou est venu au Congrès, les premiers membres du Congrès qui se sont retirés sont les membres de la Coalition des noirs, car ils ont immédiatement compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’un suprématiste juif, mais bel et bien d’un sale raciste vicieux qui insultait le président des États-Unis car c’est un Afro-Américain.
Tout le monde sait bien…
Gil Hoffmann : Est-ce que vous plaisantez ? »
Norman Finkelstein : .. .que si c’est George Bush qui avait été au pouvoir et non Barack Obama, M. Netanyahou n’aurait jamais osé une telle provocation. Il l’a fait car en plus d’être un suprématiste juif, c’est un raciste.
Peter Lavelle : Ok Norman, je veux vous accorder un temps égal, si vous voulez répondre Gil, allez-y, c’est le but de cette émission.
[Gil prétend que Finkelstein n’a pas dit un mot de vrai, qu’il n’y a pas de racisme en Israël, mais aux États-Unis. Il refuse de s’exprimer sur les colonies pour juifs exclusivement et dénonce la menace nucléaire iranienne. Il affirme que la grande majorité des députés juifs sont pour un État Palestinien.]
Peter Lavelle : Ok Norman, voulez-vous réagir brièvement avant la pause ?
Norman Finkelstein : Eh bien, nous avons là un autre exemple du degré de connexion d’Israël avec la réalité, à quel point ce degré est faible. Il nous dit maintenant, après que Netanyahou a explicitement déclaré sur une tribune Non à un État Palestinie» et qu’il a remporté ce qu’on caractérise maintenant comme une victoire écrasante en Israël, nous avons maintenant M. Gil Hoffmann qui vient dans votre émission et nous déclare que l’opposition à un État palestinien est inexistante en Israël. C’est ce qu’il vous dit. L’opposition à un État palestinien…
Gil Hoffmann : Ce n’est pas ce que j’ai dit.
[Interrogé sur les colonies, Hoffmann répond que le danger de l’État islamique s’oppose à la possibilité d’un État palestinien maintenant, mais que Netanyanhou y est favorable, et que ce sont les Palestiniens qui ont élu le Hamas terroriste qui rejette toute négociation avec Israël.]
Norman Finkelstein : Gil, vous êtes vraiment en train de vous ridiculiser. Vous n’êtes pas en Israël. Vous participez à une émission qui est diffusée dans le monde entier. Comment pouvez-vous dire les choses que vous osez prononcer dans cette émission ? Les Palestiniens ne veulent pas négocier ? Ce sont les Palestiniens qui sont un obstacle ?
Vous savez très bien que votre Premier ministre a dit «Non à un État Palestinien». Vous savez très bien que l’électorat israélien, pour recourir au langage employé actuellement en Israël, a massivement voté pour ce Premier ministre. Vous savez très bien que l’Autorité palestinienne a essayé désespérément de parvenir à une résolution du conflit avec deux États depuis maintenant 30 ou 40 ans environ, et avant l’Autorité palestinienne, c’était l’Organisation pour la libération de la Palestine: déjà aussi loin qu’en 1976, 1978, les Palestiniens essayaient de négocier une telle résolution du conflit.
Vous savez très bien que c’est Israël qui constitue un obstacle, et pas parce qu’Israël est maléfique. C’est un fait très basique: Israël a une politique d’occupation qui ne lui coûte rien. Les Européens paient les factures en Cisjordanie, et l’Autorité palestinienne fait le sale boulot: ils emprisonnent et torturent les Palestiniens – c’est ce qu’Israël appelle la coopération sécuritaire –, et les États-Unis protègent Israël sur le plan diplomatique à l’ONU et dans d’autres institutions internationales. Par conséquent, pourquoi les Israéliens devraient-ils se retirer (des territoires occupés) ? Ils ont le beurre et l’argent du beurre: ils peuvent construire leurs communautés luxueuses sur les territoires palestiniens, voler les ressources aquatiques et la majorité des terres arables palestiniennes, ils peuvent se relocaliser dans les territoires palestiniens avec des subventions du gouvernement, et ils ne perdent absolument rien. C’est une Occupation qui ne coûte rien, et c’est probablement la première occupation gratuite dans l’histoire de l’humanité. Par conséquent, pourquoi les Israéliens devraient-ils se retirer ?
Il n’y a qu’une manière de parvenir à une solution à deux États : c’est de faire en sorte qu’Israël paie le prix de son occupation illégale, immorale et inhumaine des territoires palestiniens, qui dure maintenant depuis bientôt un demi-siècle.
[Gil Hoffmann prétend que les Palestiniens ont refusé une offre de paix juste d’Ehud Olmert en 2008.]
Norman Finkelstein : Le problème avec M. Hoffmann est qu’il compte sur l’ignorance de vos auditeurs, mais je suis désolé de vous dire, M. Hoffmann, que je connais parfaitement le détail des faits (historiques), et je vais les rappeler.
Premièrement, [Olmert] n’a pas offert 100% de la Cisjordanie : il voulait garder pour Israël ce qui est maintenant désigné comme 8,7% de la Cisjordanie, mais qui constitue en réalité les principaux blocs de colonies [Hoffmann : « J’ai dit ‘avec des échanges de territoires’ »], et qui inclurait les ressources aquatiques vitales qui reviendraient à Israël, ainsi que la meilleure partie des terres arables palestiniennes. Les Palestiniens auraient été coupés en deux au nord et également au centre avec le bloc de colonies de Ma’ale Adumim s’étendant de Jérusalem à Jéricho.
Vous prétendez qu’il a proposé d’accueillir des milliers de réfugiés. Mais considérons précisément ce qu’il a proposé : il a proposé d’accueillir 5 000 réfugiés, alors qu’il y a environ 5 à 6 millions de réfugiés palestiniens. Il a proposé d’accueillir 5 000 réfugiés, 1 000 par an sur une durée de 5 ans au titre de ce qui est appelé le regroupement familial.
Et en réalité, cette proposition a été avancée à titre informel et Olmert était déjà en train de quitter le pouvoir à cause de scandales de corruption. Il n’y avait donc aucune possibilité pour que cette offre absolument insatisfaisante et inacceptable [pour les Palestiniens] soit mise en œuvre.
Gil Hoffmann : Vous ne serez satisfait que lorsque l’État juif aura complètement disparu. Je vous connais, je connais votre passé
Norman Finkelstein : M. Hoffmann, si vous me connaissez, puisque vous prétendez me connaitre, vous savez que je suis très conservateur sur cette question : je suis en faveur de l’application du droit international qui préconise deux États sur les frontières de juin 1967 avec une solution juste de la question des réfugiés. C’est ce que l’Assemblée générale des Nations unies, comprenant environ 165 pays membres, soutient chaque année. C’est ce que la Cour internationale de justice soutient. C’est ce que les principales organisations de droits de l’homme soutiennent.
Gil Hoffmann : Si des millions de réfugiés viennent de partout dans le monde, il n’y aura plus d’État Juif.
[Interrogé sur une possible entente Obama–Netanyahu, Gil Hoffmann répond que le peuple américain ainsi que les Démocrates et Républicains soutiennent Israël, contrairement à Obama qui croit vainement pouvoir faire pression sur Netanyahou. Mais dès qu’Obama sera parti, ça ira mieux.]
Peter Lavelle : Norman, que répondez-vous à cela ? Est-ce que la relation US-Israël a vraiment des conséquences pour les Palestiniens ?
Norman Finkelstein : Voilà encore un autre exemple de la mentalité israélienne. «M. Obama essaie de faire pression sur Netanyahou» [mots de Gil Hoffmann]. M.Obama, les quatre autres membres du Conseil de sécurité permanent de l’ONU ainsi que l’Allemagne essayent depuis longtemps de négocier un accord diplomatique avec l’Iran. Il n’y a que deux pays au monde qui sont opposés à cet accord pacifique, deux États déments qui rejettent la diplomatie et veulent entrer en guerre
Gil Hoffmann : Le Canada et l’Australie ?
Norman Finkelstein : Ce sont les djihadistes wahhabis d’Arabie saoudite, et les djihadistes juifs d’Israël. Tels sont les deux seuls extrêmes : l’Arabie saoudite et Israël…
Gil Hoffmann : Et l’Égypte et les pays du Golfe.
Norman Finkelstein : …veulent entrer en guerre, et le reste du monde veut un accord diplomatique. Et ensuite, M. Netanyahou fait irruption au Congrès américain afin d’humilier M. Obama.
M. Hoffmann, encore une fois, je ne suis pas un nationaliste cocardier, mais vous pensez vraiment que le peuple américain a besoin que Netanyahou vienne brandir son illustration (issue des dessins animés) Looney Tunes à la Daffy Duck pour nous expliquer la diplomatie avec l’Iran ? Excusez-moi, mais nous sommes assez intelligents pour pouvoir comprendre ces questions…
Gil Hoffmann : J’ai les sondages pour les États-Unis, 70% des Américains soutiennent les positions de Netanyahou sur l’Iran, pas celles d’Obama
Norman Finkelstein : … sans les dessins Looney Tunes de M. Netanyahu.
Peter Lavelle : Très bien Messieurs, nous n’avons plus de temps. La plupart des Américains sont en faveur d’une solution à deux États. Merci beaucoup à mes invités à New York et à Jérusalem.