Nemtsov est un Boeing malaisien écrasé contre les murs du Kremlin

Par Mikhail Delyagin – Le 28 février 2015 – Source Fort Russ

Hello, chers amis,

Il est 3 heures du matin, donc je ne serai peut-être pas très cohérent.

Il y a trois heures et dix-sept minutes, une bonne personne et un très mauvais politicien, pas un politicien intelligent, Boris Nemtsov, a été assassiné.

J’ai été son son conseiller pendant un an et demi [lorsque Nemtsov était vice-Premier ministre de Russie dans le gouvernement Eltsine, qui a conduit le pays à la faillite et à une grave crise dans les années 1990 après les réformes libérales, Note de Kristina Rus] et, un jour avant le défaut de paiement, j’ai été viré, pas par sa faute, il a même essayé de me soutenir.

Ce qui est arrivé aujourd’hui est un sacrifice classique. Nemtsov ne comprenait pas à quoi il servait et où il était conduit. A mon avis, il n’a en tout cas pas compris ce qu’il lui arrivait.

L’Agneau du sacrifice, un classique

Le gars est apparu sur Echo Moscow, comme il l’a été brièvement rapporté, puis il est parti se promener avec son amie de Kiev qui venait d’arriver. Il ne se promenait guère tous les jours, mais pour aller d’Echo Moscow à chez lui, c’est tout droit, par le grand pont Moskvoretsky, là où il a été tué. Mais il passait rarement par là tous les jours, donc soit il était suivi si étroitement que sa décision impromptue a été immédiatement mise à profit par ses tueurs, soit il y a été amené pendant la conversation, je ne veux jeter aucun soupçon.

Mais le fait est là: un célèbre militant de l’opposition russe est tué pratiquement sous les murs du Kremlin. Très bientôt, nous verrons des caricatures de Poutine assis dans le pavillon d’Ivan le Terrible dont l’ombre s’étend sur le mur du Kremlin [Référence probable au fameux film d’Eisenstein, Ivan le Terrible, où l’on voit une scène semblable, NdT] en train de coordonner personnellement la police secrète qui va tuer Nemtsov.

Les commentaires sur le fait que l’héliport [celui de Poutine] depuis lequel il s’envole est à 50 ou 100 mètres du lieu du crime ont déjà commencé. La chaîne Open Russia l’a déjà montré. Voyez leur professionnalisme! Dans la nuit de vendredi à samedi, quand les gens se reposaient, 42 minutes après le meurtre, ils ont déjà commencé une diffusion en ligne. Soyez jaloux, ils ont appris à travailler comme ça.

C’est évident: il s’agit d’un Boeing malaisien abattu par les nazis sur les murs du Kremlin.

Juste avant le Maïdan du 1er mars [allusion à la manifestation prévue à Moscou par les libéraux, NdT], une correspondance des chefs des libéraux russes a refait surface, demandant que 200 militants nazis soient envoyés à Moscou pour faire monter la température. Peut-être qu’ils vont envoyer quelques tireurs d’élite pour qu’ils puissent tirer sur le Maïdan du 1er mars. Si Dieu le veut, ça n’arrivera pas. Mais ils ont déjà frappé Nemtsov.

Il est clair que toute la foule libérale accusera Poutine personnellement. Il est clair aussi que le moindre bulletin météo dira que c’est Poutine. Grâce à ça, ils pourront introduire davantage de sanctions, mais le principal est d’organiser un Maïdan sur le Grand pont Moskvoretsky, sur le lieu du crime, apportez des bougies, faites du cirque. Beaucoup viendront sincèrement, parce que Nemtsov était aimé, je l’ai dit, en tant que personne, et il était une bonne personne, mais ce qu’il faisait était différent.

Personne ne rappellera les enfants assassinés en Ukraine, personne ne rappellera les 50 000 Ukrainiens morts sur le front ou à proximité, en plus des 10 000 qui sont morts dans le reste de l’Ukraine.

Combien sont morts de faim, d’horreur et de folie, personne ne s’en soucie.

Personne ne versera une larme sur les millions de victimes des réformes libérales, y compris celles de Mister Nemtsov.

Cela n’a pas d’importance. Cet événement s’est produit, et il doit être utilisé.

L’idée d’un agneau du sacrifice a été introduite par Boris Berezovsky, quand il a essayé de changer les élections présidentielles en 2004. Tout le monde connaît l’histoire.

C’est un agneau du sacrifice classique, un cas d’école. Bon travail, les Américains, bon travail les nazis, bon travail les libéraux. Je ne sais pas lequel d’entre eux l’a fait. Mais c’était fait à merveille.

C’est une tête de Gongadzé [journaliste ukrainien d’origine géorgienne, enlevé et assassiné en 2000, NdT] qui a été apportée à Poutine sur un plateau d’argent.

Et maintenant, soit il va comprendre que l’Occident a prononcé une sentence de mort contre lui, pas juste comme Milosevic ou Kadhafi, mais justement comme Nemtsov. Si Poutine ne comprend pas et ne commence pas enfin à agir comme le président de la Russie, s’il ne cesse pas d’essayer d’être un gestionnaire du clan libéral et un représentant du business mondial en Russie, s’il ne change pas d’avis, il est cuit, c’est son problème, peu m’importe, mais la Russie disparaîtra avec lui.

Nous devons nous préparer au fait que l’Ukraine soit décalquée en Russie beaucoup plus rapidement que ce que je pensais encore récemment.

Avant, je pensais que nous étions à l’abri d’un Maïdan jusqu’en novembre. Maintenant, il est clair que les Maïdan peuvent s’allumer au printemps déjà. L’agneau du sacrifice a été tué, maintenant ce qu’il reste à faire est de travailler sur internet et sur les réseaux sociaux. De nombreuses personnalités de la TV Sobchak sont arrivées sur les lieux presque immédiatement – c’est peut-être une coïncidence, ou peut-être la technologie.

Bonne chance. De toute façon, nous gagnerons. Nous briserons ces monstres. La Russie ne veut pas être libérale, pour les mêmes raisons qu’elle ne veut pas être nazie, parce qu’elle est la Russie. Mais le chemin pourrait être plus ardu qu’il ne semblait il y a seulement trois heures et demie.

Bonne chance, nous allons gagner; avec ou sans Poutine, ou malgré lui, la Russie sera la Russie, et pas une ressource naturelle supplémentaire pour l’Occident. Nous le ferons. Mais ce sera difficile et mauvais. Bonne chance.

Mikhail Gennadyevich Delyagin

Mikhail Gennadyevich Delyagin, né en 1968, est un écrivain russe moderne, également politicien et économiste. Membre de l’Académie russe des sciences naturelles. Delyagin a participé à l’équipe d’experts au Conseil du Soviet suprême de 1990 à 1991 et a obtenu un diplôme universitaire d’économie en 1998. Directeur de l’Institut d’étude des problèmes causés par la mondialisation et ancien président du Conseil idéologique du parti politique Rodina.

Traduit du russe par Kristina Rus

Traduit de l’anglais par Diane et Lionel, relu par jj pour le Saker Francophone

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