Mieux connaître SYRIZA, origine, ascension, stratégie


Par Alex Moumbaris – Le 2 septembre 2015

En parlant de SYRIZA et de sa stratégie

Historique des composantes de SYRIZA par date d’intégration

En 2004 : Ανανεωτική Κομμουνιστική Οικολογική Αριστερά (AKOA) [Gauche novatrice communiste écologique] eurocommunistes, écologistes; Διεθνιστική Εργατική Αριστερά (ΔΕΑ) [Gauche internationaliste ouvrière] trotskistes; Ενεργοί Πολίτες [Citoyens actifs] gauchistes (démocratiques, patriotiques); Κίνηση για την Ενότητα Δράσης της Αριστεράς (ΚΕΔΑ) [Mouvement pour l’union de l’action de la gauche] communistes (unionistes), gauchistes; Κόκκινο [Rouge] trotskistes; Συνασπισμός της Αριστεράς των Κινημάτων και της Οικολογίας (ΣΥΝ) [Rassemblement de la gauche des mouvements et de l’écologie] eurocommunistes (marxistes).

En 2007 : Δημοκρατικό Κοινωνικό Κίνημα (ΔIΚΚΙ) [Mouvement démocratique social] socialistes, social-démocrates; Κομμουνιστική Οργάνωση Ελλάδας (ΚΟΕ) [Organisation communiste de Grèce] maoïstes.

En 2008 : Οικοσοσιαλιστές Ελλάδας [Éco-socialistes de Grèce] écologistes de gauche; Ρόζα [Rosa] gauchistes (radicaux).

En 2011 : Αντικαπιταλιστική Πολιτική Ομάδα (ΑΠΟ) [Groupe politique anticapitaliste] gauchistes (anticapitalistes); Ριζοσπάστες [Radicaux] gauchistes.

En 2012 : Ενωτικό Μέτωπο [Front unioniste] socialistes, social-démocrates.

Les élections de 2013

Aux élections de 2013 des 200 membres du comité central de SYRIZA, la liste dite Unifiée avait obtenu 135 sièges, la Plateforme de gauche 60 sièges et la Tendance communiste deux sièges.

Il est assez étonnant que cette mosaïque hétéroclite de marxistes, trotskistes, maoïstes, socialistes, social-démocrates, écologistes, gauchistes… qu’est SYRIZA, ait su en 2012 se transformer en parti politique. Qu’avaient-ils comme but commun qui les maintienne ensemble?

Transformer les orientations de chacune des organisations en une orientation résultante que toutes accepteraient, est – toutes proportions gardées – plus fragile, plus diffus pour une alliance que pour une organisation composée de membres ayant une orientation commune bien déterminée.

Une esquisse commentée des événements

Aux élections de 2009, face aux scandales et à l’incapacité de la Nouvelle démocratie (ND) de maintenir son électorat et payer les rançons que lui imposaient les «partenaires occidentaux», ses membres à la Vouli [Le Parlement grec] passèrent de 152 (102+50) sièges à 91. Le pouvoir est passé au social-démocrate PASOK qui obtint une majorité absolue en passant de 102 sièges à 160 (110 +50), le KKE (Parti Communiste) passait de 22 sièges à 21 et SYRIZA passait de 14 sièges à 13.

En juin 2010, s’est créé un parti social-démocrate (bis), le ΔIΜΑΡ (Gauche démocratique) provenant d’une scission de l’eurocommuniste SYNASPISMOS, vraisemblablement pour récupérer les naufragés d’un PASOK
qui s’affaiblissait considérablement.

La Vouli (Chambre des députés) est composée de 300 sièges, dont 50 sont attribuables au parti qui obtient le plus de voix aux élections. Il existe par conséquent une disparité constante entre le premier parti et tous les autres en vue de faciliter le fonctionnement du gouvernement en lui donnant une marge.

Les électeurs qui avaient été rassurés par les promesses préélectorales de Georges Papandréou 1 «l’argent existe», ont, quand celles-ci se sont évaporées devant la constance des «partenaires occidentaux», été outragés. Papandréou et son parti étaient arrivés à faire passer le premier mémorandum le 29 juin 2011 en dépit des manifestations et de l’usage de 2 200 grenades lacrymogènes [le ministre de l’Intérieur a dû en commander de nouvelles pour 900 000€ juste histoire de ne pas en manquer !]. En novembre 2011, décrédibilisé, Papandréou a démissionné tout en laissant en gestation un deuxième mémorandum à faire passer par son successeur Papadimos 2. Il a quitté le pouvoir sans jouer sa carte maîtresse, le référendum, avec lequel il menaçait les brigands occidentaux.

Les élections de mai 2012, ont donné 108 (58+50) sièges à la ND (Andónis Samaras 3), contre 91 pour les élections précédentes, ce parti tout en ayant perdu 33 sièges était le mieux placé. De son côté le PASOK (Évangelos Vénizélos 4) passait de 160 (110+50) sièges à 41, soit une perte de 109 (59+50). Samaras n’ayant pas de majorité absolue pour constituer un groupe parlementaire a dû s’allier avec le PASOK et le DIMAR qui avait obtenu 19 sièges. SYRIZA obtenait 52 sièges, le nouveau parti de droite Grecs indépendants (ANEL) (Pános Kammènos 5) obtenait 33 sièges, le KKE 26 sièges et l’Aube dorée 21 sièges.

Aux élections de juin 2012, ND 129 (79+50), SYRIZA 71 sièges, PASOK 33 sièges, ANEL 20, Aube dorée 18, DHMAR 17, KKE 12.

Plus tard la DIMAR a quitté la coalition gouvernementale, en raison ou en prétextant la fermeture de la chaîne publique ΕΡΤ [Radio, télévision grecque] faite à l’instigation de la Commission européenne.

Devant une situation extrêmement tendue par les pressions externes, Andónis Samaras «on risque de ne plus avoir de système bancaire», sous la pression des partenaires occidentaux (en fait il s’agissait d’une demande expresse de la Commission européenne), a décidé fin décembre 2014, de demander à ce que le Président de la république, Károlos Papoúlias 6 [membre fondateur du PASOK] soit remplacé avant terme, par un homme à lui – l’ancien commissaire européen Stávros Dimas 7. L’échec, par 4 voix, de cette manœuvre a provoqué, règlementairement, des élections législatives anticipées.

Aux élections du 24 janvier 2015, les résultats ont sévèrement sanctionné sinon anéanti les partis politiques du pouvoir qui avaient collaboré avec les usuriers internationaux. La ND s’est retrouvée avec 76 sièges contre 129 (79+50), une perte de 53 (50+3) sièges. Le PASOK a perdu 20 sièges sur 33. Le DIMAR a perdu la totalité de ses 17 sièges.

Le mécontentement exprimé par les électeurs vis-à-vis des vieux partis a favorisé POTAMI le nouveau parti euro-fédéraliste du centre qui a marqué son arrivée avec un gain de 17 sièges. Évidemment le grand vainqueur de cette hécatombe a été SYRIZA de la gauche social-démocrate (tris), avec le suave Alexis Tsipras 8 qui, avec son sourire et sa négligence vestimentaire (absence de cravate), a su séduire les électeurs avec un langage radical bien dosé tout en calmant les craintes de le voir aller trop loin. Il était toujours question d’obtenir de meilleurs accords, et si certains voulaient croire que faute de cela, il ferait sortir la Grèce de l’euro et de l’UE, ils étaient libres de le croire. Il semble bien que SYRIZA ait pu – de même que POTAMI – récupérer des voix de déçus des partis de la gauche de la droite, de la droite à la gauche de la gauche, obtenant ainsi 149 (99+50) sièges, juste un peu court de 2 sièges pour la formation d’un groupe parlementaire. Le KKE avec 15 sièges et l’Aube dorée avec 17 sièges, l’un et l’autre, pour des raisons différentes, faisaient peur, bien qu’objectivement tous les deux s’opposaient catégoriquement aux memoranda, à l’euro, à l’UE et à l’OTAN.

Clairement l’électorat grec avait besoin d’une alternative qui lui serait agréable à entendre, et le jeune SYRIZA s’est trouvé là pour prendre ce rôle.
SYRIZA, cette alliance fourre-tout d’organisations politiques disparates, sans colonne dorsale solide, ni orientation idéologique claire et convaincante tiendra ensemble semble-t-il par l’aura mystico-charismatique de Tsipras et de quelques-uns de ses compagnons dans un contexte ou les électeurs étaient en cours de radicalisation, y compris la base de SYRIZA. Les souffrances subies par la population se reflétaient dans sa révolte, ses manifestations massives et sa volonté d’engager le nécessaire combat libérateur. Au cours de ce processus et dans ces circonstances, les masses ne s’étaient pas tout à fait éveillées, ne se rendaient pas compte de leur mutation en combattants dans le cadre d’une lutte de classe et plus spécifiquement contre la bourgeoisie prédatrice, l’instrument national de l’impérialisme étranger. Plus clairement, la lutte pour l’indépendance et la souveraineté nationale contre l’exploitation et la répression par des puissances impérialistes étrangères est bien une forme de lutte de classe, et même, elle en est la forme la plus urgente.

Bien entendu, on trouve des organisations qui se réclament du communisme ou du marxisme-léninisme et qui trahissent les principes communistes, leur patrie et leurs peuples en militant en alliance, ne serait-ce qu’objective, côté à côte avec la bourgeoisie prédatrice de leur pays, les collaborateurs de l’ennemi impérialiste extérieur et tout particulièrement les Étasuniens et leurs vassaux. Un exemple récent parmi d’autres est celui des Parti communiste marxiste-léniniste de l’Équateur.

Une stratégie surprenante

À la surprise générale, SYRIZA, après sa victoire aux élections, de manière très significative, n’est pas allé chercher les députés qui lui manquaient pour former son groupe parlementaire ni au PASOK, ni à POTAMI, ni au KKE, mais chez un parti bien à droite, ANEL, qui depuis a été gratifié – entre autres – du ministère des Affaires étrangères.

Le choix d’ANEL, au début, a été ressenti comme un paradoxe, une anomalie, sûrement exceptionnelle… pas une constante et on n’a pas encore osé parler de trahison. Mais voilà que le ministre de la Défense, Pános Kammènos renforce les liens avec les États-Unis, l’Otan, fait participer la Grèce à des exercices aériens près de l’espace aérien russe et à des provocations via des exercices navals en mer Noire; participe et commence une idylle de collaboration avec les sionistes israéliens, trahit la Serbie en reconnaissant de facto le Kosovo par une visite officielle au gouvernement de cette région. Les prisonniers politiques grecs n’ont pas été relâchés et concernant les prisonniers politiques étrangers, turcs plus particulièrement, leur extradition se poursuit directement vers la Turquie, ou vers d’autres pays qui les renverront aussi là-bas. Ce qui est le cas avec notre camarade Erdoğan Çakir dont nous avons déjà parlé. De véritables caniches.

Mais les cadres et les membres de SYRIZA, alors, ne voyaient-ils rien ???!!!
Depuis les élections, Tsipras, Varoufakis 9… avaient durant des mois livré d’impressionnantes, de gigantesques batailles contre les dragons usuriers occidentaux, bien qu’entretemps le gouvernement grec ait continué de payer les dettes qui lui étaient imposées, diminuant ainsi les liquidités, vidant les caisses de retraite, argent qui lui aurait permis de tenir le coup lors d’une sortie éventuelle de l’eurozone. Pendant toute cette période, le gouvernement coupait les ponts, proclamait sa volonté de rester dans l’eurozone et affaiblissait ses capacités de réagir et de prendre une autre voie. En somme en se ligotant lui-même, il livrait délibérément la Grèce à l’esclavage.

Arrivé à ce point-là, on ne pouvait plus appeler cela de la naïveté, c’était délibérément une stratégie de collaboration et de trahison.

Au bout de ces quelques mois de mises en scènes hystériques, SYRIZA a fait quelque chose d’extraordinaire, ce que Georges Papandréou n’avait pas osé faire, il a appelé à un référendum le 5 juillet 2015 pour que le peuple grec décide lui-même, par un OUI ou par un NON, d’accepter ou de rejeter la proposition qu’avaient faite l’UE, la BCE et le FMI du 25 juin 2015, encore une intervention de l’UE dans les affaires de la Grèce. SYRIZA de manière caractéristique a appelé à répondre NON.

Au référendum du 5 juillet 2015, les électeurs inscrits ont voté à 61,31% pour le NON, 38,69% pour le OUI, 5,80% – un extraordinaire pourcentage confortait le mot d’ordre du KKE, qui considérait le référendum comme un choix bidon – a voté NUL ou BLANC et 32,05% se sont abstenus. Dès lors il ne faisait aucun doute que les électeurs grecs, par l’ampleur des résultats, s’opposaient farouchement non seulement à la proposition en question mais à tout mémorandum. Le gouvernement SYRIZA-ANEL ne s’attendait pas à tant, et même escomptait plutôt la victoire du OUI, mais la blague a de nouveau foiré. Pour conforter cette affirmation, on a vu Varoufákis démissionner le lendemain, et quelques jours plus tard le gouvernement entérinait le troisième mémorandum, en flagrante violation de la décision du référendum. De toute évidence le gouvernement espérait une victoire du OUI pour pouvoir affirmer hypocritement qu’en fin de compte c’était la volonté du peuple et pas la sienne.

À partir de là des choses extraordinaires commencèrent à se passer. Alors que le gouvernement continuait dans sa voie de soumettre la Grèce au troisième mémorandum avec, dès lors, le vote de l’opposition, une partie des députés de SYRIZA a commencé – il était temps – à se révolter ouvertement et davantage encore au sein de son comité central, demandant un congrès extraordinaire.

La perte de soutien de SYRIZA par un nombre important de ses députés – un fait peu commun, mais compréhensible – a fait que le nombre de députés qui lui restaient loyaux et les 13 dont disposait ANEL, ne suffisaient plus pour former une majorité. Tsipras après avoir fait voter le troisième mémorandum avec les voix de l’opposition – quelle honteuse trahison! – a posé sa démission et appelé à des élections législatives anticipées pour le 20 septembre 2015, une échéance très courte et qui ne permet pas aux autres partis d’organiser proprement leur campagne.

Il est parfaitement écœurant de lire 10 ce qu’écrivent des intellectuels tels que Státhis Kouvélákis 11, membre du comité central de SYRIZA, dirigeant de sa Plateforme de gauche, agrégé en philosophie de la Sorbonne, professeur à King’s College en Angleterre et auteur de nombreux livres qui, prétextant critiquer SYRIZA, blâme la stratégie suivie tout en faisant l’apologie de Tsipras, le déclarant «un grand tacticien». Kouvélákis n’est pas le seul à adopter cette position essayant de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Ce qui est clair est qu’à SYRIZA il y a ceux qui cherchent désespérément à sauver le navire et à rester au pouvoir pour encore un petit tour de trahisons, et ceux qui comme des rats qui ont soudain senti qu’il était grand temps de quitter le navire essayent de se refaire une virginité pour exercer leurs talents ailleurs, sous une autre étiquette. Il est à espérer que la colère du peuple grec répondra à cette question.

Le premier devoir du KKE est de sortir le peuple grec de ce labyrinthe. On ne peut pas avancer vers le socialisme sans cela et on ne peut pas le faire sans alliés. C’est la faiblesse qui, face à l’urgence des enjeux, impose d’avoir des alliés ; on n’est pas obligé de les aimer, les alliances ne sont que temporaires et ne servent que leur objet.

Il est très intéressant de voir les répercussions qu’aura cette situation, sur des partis tels que Podemos, le PCF, le Front de Gauche… qui se sont jetés avec un enthousiasme exalté dans l’apologie de SYRIZA.

Traduit par Alexandre MOUMBARIS, relu par Marie-José MOUMBARIS

Notes

  1.  Géórgios Papandréou: Amherst College États-Unis, London School of Economics, Royaume Uni
  2. Lucás Papadímou: Massachusetts College of Technology, États-Unis, Athens College, Grèce
  3.  Andónis Samarás: Athens College, Grèce, Amherst College, Harvard University, États-Unis
  4.  Évangélos Vénizélos: Université Paris 2 Panthéon-Assas, France
  5. Pános Kammènos: Université de Lyon, France
  6. Károlos Papoúlias: Université d’Athènes, Grèce, Université de Munich
  7. Stávros Dimas: Université d’Athènes, Grèce, New York University, États-Unis
  8. Alexis Tsipras: Université polytechnique nationale, Grèce
  9. Giánnis Varoufákis: University of Essex, University of Birmingham, Royaume Uni
  10. www.revue-ballast.fr/stathis-kouvelakis/
  11. Státhis Kouvélákis: Paris 10, Paris 8, France
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