L’Ukraine va-t-elle s’effondrer si elle met en application les accords de Minsk, soutenus par le Conseil de Sécurité de l’ONU ?


Par Andrew Korybko − Le 2 février 2022 − Source OneWorld Press

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Les cinq points énoncés ici démontrent que l’Ukraine ne va absolument pas « s’effondrer » si elle finit par mettre en œuvre les accords de Minsk ; dans le scénario le plus extrême, elle pourrait en revanche en sortir dotée d’une structure administrative très différente.


Alexey Danilov, qui dirige le Conseil National Ukrainien de Sécurité et de Défense, a émis ce lundi 31 janvier 2022 un avertissement : son pays risque l’effondrement s’il met en œuvre les accords de Minsk, soutenus par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Il a affirmé que « cela sera très dangereux pour notre pays », car « si la société n’accepte pas ces accords, cela pourrait déboucher sur une situation intérieure très difficile, et la Russie compte là-dessus. » Cette position ne reflète pas la réalité, mais les intérêts propres à l’élite en place en Ukraine, et ceux des parrains étrangers de cette élite.

Pour commencer, l’adoption par le Conseil de Sécurité de l’ONU d’une résolution en soutien des accords de Minsk a officiellement entériné ces accords au niveau du droit international, au vu de l’autorité dont dispose ce corps, tel que stipulé par la Charte de l’ONU. L’Ukraine a donc pour obligation légale de mettre en œuvre ces accords. Que les États-Unis refusent de contraindre leur mandataire à le faire est en contradiction avec les engagements internationaux pris par la super-puissance ; et l’Ukraine ne mettra probablement pas ces accords en application tant que la position étasunienne ne changera pas.

Deuxièmement, l’ancien gouvernement ukrainien avait volontairement ratifié les accords de Minsk, et ne l’avait pas fait sous la contrainte, ou « avec le pistolet russe sur la tempe », comme l’affirme Danilov. Cette description des événements est totalement fausse, comme le démontre le fait-même que le parrain étasunien de son pays a soutenu ces accords face au Conseil de Sécurité de l’ONU. Washington n’aurait pas agi ainsi sauf à estimer qu’il s’agissait d’une manière pragmatique de résoudre la guerre civile de son mandataire.

Troisièmement, le gouvernement ukrainien sortant est extrêmement autoritaire, et applique ses volontés à sa population en usant de contraintes, de la force, et de menaces. Cette observation objective infirme les craintes de Danilov, selon lesquelles la société va se révolter significativement contre une pleine mise en œuvre des accords de Minsk, car Kiev a bel et bien les moyens de contrer un tel scénario. Même si le gouvernement perdait le contrôle, ce serait d’ailleurs sa propre faute, et certainement pas celle de la Russie, ou d’un tiers.

Quatrièmement, l’élite ukrainienne en place semble de fait surtout préoccupée par l’idée que la clause accordant un certain degré d’autonomie à la province du Donbass pourrait déclencher une réaction en chaîne de décentralisation dans le pays. Si un tel scénario se déroulait à plein, l’Ukraine pourrait en sortir de jure comme un État fédéré, ce qui en pratique pourrait établir un scénario semblable à celui de la Bosnie, selon lequel diverses régions disposent d’une quasi-indépendance. Cela pourrait déboucher sur l’émergence de nouvelles élites, en mesure de défier celles qui sont en place.

Et cinquièmement, ces élites qui pourraient monter vers le pouvoir, au sein de leurs petits-États quasi-indépendants, pourraient se placer sous protection d’autres puissances étrangères que les pays occidentaux, États-Unis en tête. Par exemple, la Russie, la Chine, la Turquie et même le GCC, pourraient se mettre à parrainer des partenaires locaux, en poursuivant des objectifs partagés aux plans économiques et/ou stratégiques. Cela n’est pas mauvais en soi, ni de nature à intrinsèquement déstabiliser la situation, mais cela n’en menace pas moins l’influence occidentale, États-Unis en tête, sur l’Ukraine.

Ces cinq points démontrent que l’Ukraine ne « s’effondrerait » pas du tout en cas de mise en application pleine et entière des accords de Minsk, mais qu’elle pourrait, dans le scénario le plus extrême, se retrouver dotée d’une structure administrative très modifiée. Ce scénario serait désavantageux pour les élites en place du pays, et leurs parrains occidentaux, dont les États-Unis, mais l’on peut penser qu’il serait un facteur d’une meilleure stabilité à long terme, car les contradictions très profondes que connaît ce pays atteignent rapidement un point de rupture, comme les événements récents ont pu le montrer.

En particulier, les arrestations pratiquées par les autorités à l’encontre des personnes considérées comme conspirant dans tout le pays pour fomenter des émeutes démontrent le niveau de tension de la situation du pays. Il n’est pas possible pour l’instant de déterminer si ces mouvements constituent une véritable résistance populaire face à un gouvernement de plus en plus autoritaire, et/ou s’ils relèvent d’une Révolution de Couleur pilotée par les États-Unis, visant à punir l’Ukraine de ses liens économiques étroits avec la Chine, mais ce développement confirme néanmoins que les tensions intérieures sont proches d’un point d’ébullition.

La prédiction de Danilov, qui évoque une « situation intérieure très difficile » s’est déjà réalisée, et ce à cause des actions autoritaires de son propre gouvernement, et de ses différends inattendus face à son principal soutien, les États-Unis. En de telles circonstances, la meilleure suite serait bel et bien de mettre en œuvre sans délai les accords de Minsk, afin de désamorcer de manière pragmatique les tensions intérieures, afin que l’élite en place conserve au moins une partie de son influence, plutôt que de risquer de tout perdre si une révolte à grande échelle se déclenchait.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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